Singulière époque que la nôtre, où des hommes politiques, des leaders promis la veille encore aux plus hautes destinées, sont comme anéantis par une élection perdue et ne craignent pas de laisser ou de confier à leurs compagnes le soin de prendre la plume pour déplorer l’injustice du sort.
Comme tout un chacun ici bas, François Mitterrand a connu des revers. S’est-il jamais abaissé à jouer les incompris ? Il n’hésitait pas à s’expliquer quand c’était nécessaire, pas plus qu’il ne répugnait à rendre à ses mandants des comptes qu’ils n’ont jamais attendus en vain ; mais il n’eût pas souffert qu’on le fît à sa place, et jamais il ne s’est plaint d’un rendez-vous manqué avec les électeurs ou avec l’Histoire. Il avait, en toute chose, « cette pudeur d’honnête homme qui a horreur de parler de soi ».
Lui est-il jamais arrivé de se raconter, si ce n’est, d’outre-tombe, dans un ouvrage qui ne vise qu’à rétablir deux ou trois vérités ? Quand des proches s’en sont mêlés, il eut tôt fait de prendre ses distances, ainsi qu’en témoigne, par exemple, son refus de lire le manuscrit des « Verbatim » de Jacques Attali.
On pourra juger de la retenue de François Mitterrand en lisant l’allocution qu’il a prononcée à l’Hôtel de Ville à l’occasion du 50ème anniversaire de la libération de Paris et que nous publions en hommage à la mémoire d’Henri Rol-Tanguy. En dehors d’une brève allusion à l’arrivée du général de Gaulle à l’Hôtel de Ville, « où nous l’accueillîmes », ce discours pourrait être celui d’un des milliers de Parisiens qui se pressaient sur le parvis de l’Hôtel de Ville le soir du 25 août 1944 ; il n’y est fait aucune mention du rôle confié à François Mitterrand, dès l’instant de la Libération, dans le « gouvernement des secrétaires généraux », ni, d’ailleurs, de la part qu’il avait prise à l’évènement lui-même.
De même que la précédente, et pour les mêmes raisons, la Lettre de ce trimestre évite les sujets d’actualité ; elle est consacrée, pour l’essentiel, aux rapports de François Mitterrand avec le sport. Chacun sait que le Président aimait le sport ; il l’aimait comme art de vivre, il ne l’aimait pas moins comme spectacle, il en connaissait parfaitement le décor et les acteurs : le texte chaleureux d’Edwige Avice, qu’on lira plus loin, en porte témoignage.
Des premiers jours du premier septennat aux derniers temps du second, l’intérêt que François Mitterrand portait aux activités sportives ne s’est jamais démenti : on en jugera par les paroles qu’il adressait à Fernand Sastre lors de la finale de la Coupe de France de 1981, cinq ou six semaines après son accession à la Présidence, et par l’interview que, treize ans plus tard, il a donnée au « Midi Olympique » à l’occasion de la finale du championnat de France de rugby. Il était déterminé, dès 1981, à faire en sorte que le sport ne soit abandonné ni à l’ambition des uns, ni à l’affairisme des autres. Qu’il n’y soit pas entièrement parvenu est une autre histoire ; mais c’est bien la loi Avice, de juillet 1984, qui a montré la voie.
Assez froides au début, cependant, les relations du Président avec le monde des sports ont mis quelque temps à se réchauffer : peut-être est-ce l’effet de préventions partisanes, peut-être François Mitterrand était-il trop attentif à ne pas confondre ses inclinations personnelles avec les devoirs de sa charge pour être entendu d’emblée par des milieux peu coutumiers de la litote. Quelle qu’en soit la raison, c’est seulement vers la fin du premier septennat, Michel Platini en témoigne dans l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder, que se sont établies, avec le C.I.O. et les fédérations, des relations confiantes qui n’ont pas tardé à porter leurs fruits, comme l’attribution à la France des Jeux d’hiver ou de la Coupe du Monde de football.
François Mitterrand a beaucoup donné au sport, il en a beaucoup reçu ; mais – est-il besoin de le dire ? – il a toujours évité de se parer de lauriers acquis sur les stades, sur les courts ou sur les greens. D’autres, par la suite, ne s’en sont pas privés.