Par Philippe Foussier
À propos de : Gérard Delfau et Martine Charrier, Je crois à la politique, préface de Bernard Cazeneuve, L’Harmattan, 2020, 660 p., 28 €
L’ancien sénateur Gérard Delfau dresse dans son dernier ouvrage le bilan d’une vie d’engagements au service de solides convictions. Né en 1937, enseignant dans le secondaire dans les années 1960 puis à la Sorbonne dans les années 1970, il s’engage dès 1965 auprès de François Mitterrand – auquel il demeura fidèle jusqu’au bout – et deviendra maire en 1977 puis sénateur en 1980, mandats qui prendront fin en 2008. Les champs d’investigation et de compétences de Gérard Delfau sont nombreux. Jeune agrégé, il publie sur Jules Vallès ou Karl Marx. Plus tard, élu, il mène des combats résolus en faveur des services publics – la Poste notamment –, du droit au travail, des personnes handicapées, pour devenir à partir du centenaire de la loi de Séparation un auteur prolifique sur la laïcité et même directeur de la seule collection – débats laïques – consacrée à ce sujet dans le monde éditorial.
C’est par le truchement de Georges Dayan que Gérard Delfau rencontre François Mitterrand. Nous sommes en 1965. L’auteur relate de manière captivante l’action du futur président pour reconstruire le Parti socialiste, et en particulier les séquences du Congrès d’Epinay, de la campagne présidentielle de 1974 et des Assises du socialisme, observant d’ailleurs ces dernières avec circonspection. Et puis il raconte aussi son propre parcours au sein des instances du PS, depuis la structure Démocratie et université jusqu’à son investissement plus intense encore au sein du bureau exécutif et du secrétariat national, où il est chargé de la formation. Cette profonde transformation du Parti socialiste voulue par François Mitterrand conduira à force de persévérance ce courant au pouvoir en 1981 : « Ce ne fut pas sans états d’âme ou crises de conscience chez beaucoup d’entre nous. Cependant, y avoir réussi est en soi une revanche considérable de l’histoire de la gauche dans ce pays ». Les premières années de la gauche au gouvernement sont vécues positivement par Gérard Delfau mais au début des années 1990, il s’investit avec une énergie redoublée sur le terrain, et notamment dans la bataille pour l’emploi. « Désormais, c’en est fini pour moi des courants, des congrès et des motions, chiffons de papier qui ne survivent pas à la mise en place d’un nouveau comité directeur et qui sont si peu en prise avec la réalité sociale… ».
Dans ce livre dense, composé d’entretiens avec la journaliste Martine Charrier, Gérard Delfau ne se contente pas de balayer les sujets. Pour ceux qui auraient à se documenter sur la vie d’un élu local et d’un parlementaire, sur l’harmonie entre l’action et les convictions, cette fresque qui couvre un gros demi-siècle de vie publique est une excellente source. De la bagarre de 25 ans pour le contournement routier de la commune dont il est maire, St-André-de-Sangonis, aux dégâts de la crise viticole dans le Languedoc, de la mobilisation pour la présence des services publics en milieu rural à l’engagement dans les comités de bassin d’emploi en passant par les enjeux d’urbanisme et d’aménagement du territoire, on comprend que Gérard Delfau ait foi en la politique, comme l’affirme fièrement le titre du livre. Car il démontre qu’elle peut en effet changer la vie, si tant est que ceux qui disposent d’un ou a fortiori de plusieurs mandats fassent le choix de l’action, munis de courage et prémunis contre le clientélisme.
Le sens de l’Histoire
Tant déconsidérée aujourd’hui, y compris même par ceux qui en vivent, la démocratie représentative est ici célébrée de la meilleure manière qui soit : par l’exemple de ce qu’elle peut encore accomplir. Car quand les élus du peuple deviennent peu à peu dépossédés de leurs capacités de décision par des instances non élues, des observatoires d’experts autoproclamés, des autorités prétendument indépendantes, des conventions dites « citoyennes » ou d’une démocratie « participative » devenue quintessence du triomphe des intérêts particuliers, il en est heureusement qui continuent à croire au primat du politique. Cette évolution apparue depuis une trentaine d’années n’a pas peu fait pour démotiver le citoyen d’accomplir son devoir civique : à quoi bon voter si les choix sont arbitrés ailleurs ? Pour résister à cet air du temps toxique à terme pour la démocratie, afin le jour venu d’entreprendre le combat pour la restauration du primat du politique sur l’économique, la technostructure, le gouvernement des juges et celui des groupes de pression, il faudra pouvoir s’appuyer sur des démonstrations solides. Le livre de Gérard Delfau y contribue avec éloquence.
Ancré au Parti socialiste durant des décennies, Gérard Delfau finira par le quitter pour rejoindre le Parti radical de gauche au tournant du siècle. Le contexte local n’y est pas pour rien : il y rappelle des batailles incessantes avec le maire de Montpellier, Georges Frêche, aspirant à régner sans partage sur « sa » Septimanie. Les évolutions du Parti socialiste non plus, et l’auteur ne manque pas d’exercer son droit d’inventaire sur son évolution après 1981. Gérard Delfau démontre aussi sa capacité à conserver ses convictions de gauche quand d’autres se laissent porter par les vents dominants. C’est vrai bien sûr s’agissant de la laïcité, qu’il promeut avec une énergie salutaire. Face aux zélateurs du revenu universel, c’est vrai également du droit au travail qui permet, par son affirmation, de ne pas couper la gauche des employés et des ouvriers, ce qui semble pourtant un horizon révolu pour de larges fractions de ce camp politique : « La gauche a perdu le sens de l’Histoire. Dès lors apparaissent les principaux ressorts de la crise de la politique qui sévit aujourd’hui », observe Gérard Delfau. Assurément, on trouvera dans ce livre des pistes pour ne pas s’y résigner.
Philippe Foussier