En commençant ce texte depuis mon refuge de confinée, au cœur d’un monde sens dessus dessous, j’essaie d’imaginer ce qu’en aurait pensé Michel et ce qu’il en aurait dit. L’exercice n’est pas facile car l’homme était rarement là où on l’attendait.
Ce dont je suis à peu près certaine c’est que j’aurais reçu un de ses sms affectueux par lesquels il prenait régulièrement de mes nouvelles et qu’il terminait invariablement par un « plein de bises ! » qui me manque déjà.
Et puis le temps passant, sans doute plus lentement pour lui qui aimait tellement l’action, nous nous serions appelés.
Et j’aurais ri. Là sans aucun doute. Car je n’ai pas un souvenir de Michel qui ne soit joyeux et rieur.
Avec lui, on avait droit à toute la palette, du rire qui éclatait à l’une de ces histoires irrésistibles dont il avait une collection unique, à celui, plus grinçant, à l’évocation d’une anecdote où la nature humaine repoussait encore les limites du ridicule ou de la bassesse.
Michel savait faire rire et excellait à conter parce qu’il portait sur son temps et ses contemporains un regard qui ne laissait rien passer, le regard acéré du moraliste… mais sans la leçon qui vient à la fin.
Je n’ai jamais pris Michel en flagrant délit de contradiction sur ce point essentiel de vivre et laisser vivre.
Et combien il aimait vivre !
Voilà une chose qui me plaisait tellement chez lui. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui prônent la liberté pour eux et réussissent à la tolérer vraiment chez les autres.
Je tire le fil de mes souvenirs et derrière le rire et ces récits -véridiques ou imaginaires- qui donnaient tant de saveur à nos moments parisiens ou auvergnats, je trouve la pudeur et la générosité.
Michel parlait fort, prenait beaucoup de place et de lumière mais ce n’était jamais pour se mettre en scène, lui. Il était de ces discrets qui organisent le tapage pour mieux se protéger de la curiosité.
De nos petites cérémonies où le très bon vin et l’amitié coulaient à flots, il était le maître. Dans la poche intérieure de sa veste, coincés sous la bretelle, il y avait toujours 4 ou 5 cigares à distribuer à la ronde. Ce qu’il voulait, c’était que nous passions tous ensemble le meilleur moment possible et il y mettait tout son cœur. Un grand cœur.
Bien sûr, Michel s’était construit un personnage et il avait cette politesse, ou cette coquetterie, de ne jamais risquer de décevoir son public en étant un peu moins gouailleur, un peu moins provocateur, un peu moins, tout simplement. Il avait son emploi, comme on dit à la Comédie Française, et il décevait rarement dans ce registre. Avec une attention toute particulière pour ses ennemis dont la détestation semblait lui faire l’effet d’un carburant.
Bannir l’esprit de sérieux, ne pas peser, laisser son petit tas de secrets au vestiaire pour se consacrer au plaisir d’être ensemble : je ne sais pas si c’est à une ligne de conduite ou au sang auvergnat qui coulait dans ses veines qu’on le doit, mais cela faisait de lui un sacré bon camarade.
Son cœur, il le mettait aussi tout entier dans ses coups de gueule contre tout ce qui, de près ou de loin, menaçait ce à quoi il tenait : la République vide de curés, la Liberté, la mémoire de François Mitterrand, la fidélité en amitié, Puy Guillaume centre du monde…
J’avais 20 ans, puis 30, puis 40. Nous avions l’Auvergne en commun mais c’est à Paris que je l’ai connu alors que j’étais étudiante et qu’il invitait notre petite bande à ripailler dans des endroits hyper chaleureux où l’on était toujours, avec lui, reçus comme des rois. Des années plus tard, je nous revois à la fin du mois d’août, au Lac Chauvet, pour une ces journées pêche-casse-croûte-tarte aux myrtilles, avec, dans un coin de l’auberge, le couffin où dort mon fils âgé de trois semaines. Et cette table chez Lipp, tout près du zinc, avec vue imprenable sur le ballet des serveurs et la comédie parisienne…
Penser aujourd’hui à ces moments de partage où nous étions tout simplement mais tellement heureux de nous retrouver, prend une saveur bien particulière. Michel est parti et rien ne va plus, nous voilà séparés, isolés, confinés… Quand nous le pourrons, il sera urgent de célébrer et de cultiver cet appétit de vivre et cette espièglerie existentielle dans lesquels il excellait. Ce sera le plus bel hommage.
Anne Auchatraire
Le 14 avril 2020