Quel souvenir gardez- vous de F. Mitterrand comme président de la République?
Les relations de François Mitterrand avec le sport restent marquées par un paradoxe. C’est un homme politique qui aimait le sport – je le savais à l’époque, sans avoir entretenu de rapports personnels avec lui – mais il en a très peu parlé dans ses discours officiels. A mes yeux, durant son premier septennat, il ne se distinguait guère de ses prédécesseurs et de la quasi-totalité des hommes politiques français pour qui le sport était le cadet de leurs soucis, à l’exception notable de Philippe Séguin.
Est-ce que ce sentiment était partagé par d’autres que par vous?
Au moment où j’ai commencé ma carrière sportive, au début des années 1970, la France sortait d’une longue période de vaches maigres sur le plan des résultats. Le football français vivait sur le souvenir de la demi-finale perdue de la coupe du monde de 1958. Nous avons été quelques-uns à former une nouvelle génération qui a brisé l’image stéréotypée et un peu condescendante que le monde de la politique ou de la culture se faisait du sportif français, cet éternel perdant qui ne comprend rien au monde dans lequel il vit.
Quels étaient les sportifs qui partageaient à l’époque cette idée?
Serge Blanco, Jean-Pierre Rives, pour le rugby, Yannick Noah pour le tennis, d’autres encore. Avec eux, je pensais que les succès que des joueurs ou des athlètes français remporteraient dans des compétitions internationales, auraient des effets heureux bien au-delà du sport et que la réussite d’un pays passait par là, aussi bien que par le théâtre ou le cinéma. Cette idée qui est devenue banale aujourd’hui, peu de gens la défendaient alors.
Vous aviez tout de même des contacts avec des hommes politiques?
La première fois que j’ai été reçu par M.Giscard d’Estaing à l’Elysée, c’était au moment de la coupe du monde en Argentine en 1978. Comme il me demandait comment allait le football professionnel, je lui ai répondu spontanément que ce serait mieux si les joueurs n’étaient pas écrasés d’impôts. Il m’a promis de régler la question avec son ministre des finances. Depuis cela n’a guère évolué.
N’avez-vous pas le sentiment qu’il s’est produit parmi les hommes politiques un déclic au moment de la demi-finale de coupe du monde à Séville, qui a été perdue contre l’Allemagne en 1982? Vous étiez l’animateur de cette équipe étonnante.
Dans les premiers temps, ce match formidable n’a eu aucune conséquence. Quelques joueurs ont été décorés de la légion d’honneur et on n’en a plus parlé. Je situe plutôt le grand tournant aux alentours de 1987. Pour moi, ce qui manifeste qu’on entre dans une ère nouvelle, c’est la volonté des pouvoirs publics de pousser la candidature de la France pour l’organisation des Jeux olympiques ou de la Coupe du Monde. on regarde les sportifs d’un autre œil. La preuve en est donnée par la décision de confier la présidence du comité d’organisation des jeux olympiques d’Albertville à un sportif, Jean Claude Killy, sur un pied d’égalité avec un politique, Michel Barnier. C’est une période au cours de laquelle je vois pour la première fois un Président de la République intervenir directement dans des affaires sportives, par exemple pour que la candidature de la France soit retenue pour l’organisation du mondial de 1998. D’ailleurs, j’ai su que c’est François Mitterrand qui a poussé ma candidature. Pourtant, il savait très bien que je n’étais pas socialiste.
Lorsque vous vous remémorez la Coupe du Monde de 1998, de quoi êtes-vous le plus fier?
Au-delà de la fierté d’avoir vu triompher pour la première fois dans cette compétition la France et ce, dans un stade construit spécialement pour l’événement, j’ai surtout éprouvé de la satisfaction dans de nombreux domaines. Pourtant, tout n’a pas été facile pour autant. L’Etat a longtemps douté de nos capacités. Il a fallu affronter beaucoup d’immobilisme. Avec Fernand Sastre et Jacques Lambert, mon directeur général, il a fallu combattre sans cesse pour faire accepter nos idées. Nous avons d’ailleurs été récompensés de nos efforts lorsque nous avons présenté un bilan financier positif. Ce n’est qu’au moment de l’annonce d’un bénéfice de 500 millions de francs, donc bien après la fin du Mondial, que Bercy a signé une convention fiscale. Mais malgré quelques tracas, c’est vrai que le bilan a été très positif. J’ai en effet été particulièrement heureux de voir que le pays tout entier avait vibré durant la compétition. J’avais souhaité que ce Mondial soit une fête et cela en fut une. Mais il y eut également ce plaisir de travailler avec des gens venus d’horizons divers, cette joie de pouvoir compter sur des milliers de volontaires qui méritent le respect de tous et enfin l’immense satisfaction d’avoir supervisé une organisation qui n’a recueilli que des avis positifs.