Retrouvez ci-dessous l’interview d’Hubert Védrine à France Culture, 15 avril 2021.
FRANCE CULTURE. Génocide des Tutsis au Rwanda : « Pour François Mitterand, c’est dès 1990 qu’il y a un risque énorme » explique Hubert Védrine.
La Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi a remis au président ce 26 mars 2021 son rapport. Ce dernier pointe des « responsabilités accablantes » pour la France.
Les Matins de France Culture recevait le 29 mars Vincent Duclert, historien, chercheur titulaire à l’Ehess. Il a dirigé la commission qui a remis au président Emmanuel Macron un imposant rapport de 1225 pages (annexes comprises), La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994). La commission conclut à « un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes pour la France », tout en écartant l’idée d’une complicité de génocide.
Ce 15 avril, Hubert Védrine est l’invité des Matins. Il était secrétaire général de l’Élysée entre 1991 et 1995. Il dirige aujourd’hui l’Institut François Mitterrand.
La France et les accords d’Arusha
"Je ne voudrais pas attribuer tout le mérite des accords à la France. Plusieurs pays africains y ont contribué. L’Union africaine y était tout à fait favorable. Mais la France joue un rôle important de 1990 et 1993, notamment avec l’action d’Alain Juppé. Et si la France n’avait pas été militairement présente, il n’y aurait même pas eu de négociations. C’est l’intervention initiale de la France en 1990 pour bloquer la guerre civile qui oblige les parties à négocier, alors que chaque camp, des gens ne veulent rien « donner ». Hubert Védrine
"Après les accords d’Arusha en 1993, tout le monde a cru que la question avait été réglée. Je n’ai joué aucun rôle particulier à l’époque, mais à la longue je suis devenu une sorte de spécialiste du sujet." Hubert Védrine
L’ouverture des archives
"Aucun autre pays n’a ouvert ses archives, la Grande-Bretagne, les États-Unis, l’Ouganda, le FPR, le Rwanda… C’est normal qu’il y ait une concentration disproportionnée sur la seule France, qui a eu le mérite d’ouvrir ses archives. Je ne dis pas que les autres doivent faire repentance, parce que je ne suis pas sur ce concept religieux et politique, mais on aura une vision complète quand les autres pays protagonistes auront accepté d’entrer dans un échange." Hubert Védrine
Les mises en garde de la DGSE sur le projet génocidaire
"Les projets génocidaires on les connaît, ce sont les résultats de la guerre civile et des attaques du FPR, ça rend dingue une partie du système en face. Je ne veux pas mettre ces choses sur le même plan, mais il y a tout de même un enchaînement. Sur la DGSE, on peut se reporter à la déposition de Monsieur Claude Silberzahn, qui a dirigé la DGSE, devant la commission Quilès (1998, ndlr). Il expliquait qu’il n’y avait qu’un ou deux agents occasionnels au Rwanda, mais dont l’indépendance – c’est un euphémisme – n’était pas tout à fait assurée. Les sources principales (de la DGSE sur le Rwanda, ndlr) étaient l’Ouganda, le FPR, les Belges. Donc il n’y a rien, ça ne veut rien dire ces notes. Il y a un point de vue FPR dans ces notes. Les notes de la DGSE, d'inspiration ougandaise, en fait, n'ajoutent rien." Hubert Védrine
Les livraisons d’armes
"Je vais me reporter au rapport Duclert, qui comporte quand même quelques éléments exacts. D'après les documents à notre disposition, il n'y a plus de cessions, payantes ou gratuites, au-delà de mars 1993." Hubert Védrine
La France a-t-elle évacue, ou protégé des génocidaires ?
"Faites une enquête sur les coups d'État, les putschs, les guerres civiles en Afrique… À chaque fois, les puissances principales ont évacué les familles présidentielles. Ça n’est peut-être « pas bien ». Les juger relève des tribunaux, et d’ailleurs, beaucoup de génocidaires ont été jugés en France. Par ailleurs, puisqu’on s’interroge sur les évacuations, précisons que l’opération Amaryllis permet d’évacuer beaucoup de Tutsi comme de Hutu." Hubert Védrine
La France a-t-elle une responsabilité dans le génocide ?
"Je réponds responsable de quoi? D'être intervenue en 1990 ? Il aurait fallu ne pas intervenir, laisser des guerres civiles atroces se dérouler ? Il y aurait eu un procès en non-intervention. Ou alors carrément soutenir le FPR ? Qui est maintenant présenté de façon cocasse comme étant non un parti tutsi mais comme un petit parti démocratique d’opposition ?"