Croire au ciel ou ne pas y croire ? Longtemps cette question intime n’était pas posée aux hommes politiques, surtout de la gauche, du moins de façon directe. Elle était républicainement laissée de côté. Le cas de François Mitterrand faisait exception à cette règle. Sa relation avec la foi ou la religion a suscité des interrogations et la curiosité des biographes ou journalistes, ils étaient souvent les deux à la fois. Et jamais il ne s’est dérobé. L’insistance avec laquelle ceux-ci revenaient à la charge peut laisser supposer qu’ils n’étaient pas complètement satisfaits par ses réponses. Sans doute auraient-ils aimé l’assigner en un lieu précis, dans un paysage religieux aux contours bien définis.
Cela révélait une insuffisante compréhension de la personnalité de l’enfant de Jarnac et du collégien d’Angoulême. S’il a été profondément imprégné par son éducation catholique, celle-ci ne prenait pas sa source dans les rites ou les dogmes. La religion de son enfance ne l’a pas enfermé. Elle était ouverte sur le monde et ses tracas, et les transformations de la société française. Elle exprimait une foi sincère autant qu’une générosité sociale.
S’il s’en est éloigné, autour de ses vingt ans, c’est peut être que l’Eglise lui semblait alors faire trop peu de cas des misères et des injustices du siècle, ou qu’elle ne répondait pas à ses attentes nouvelles, ou bridait sa liberté ? Il ne s’en est jamais expliqué.
Jamais, pourtant, ce détachement n’a signifié oubli chez cet homme de fidélité. L’empreinte de son éducation avait laissé sa marque. Catholique à une époque où le christianisme inspirait tant d’écrivains et de penseurs, mais détaché du dogme, allergique au catholicisme en politique, y compris à gauche, il n’a jamais cessé de se frayer un chemin entre le doute et la foi. Dans ce domaine, là encore, l’infatigable marcheur n’a jamais accepté le repos. Inlassable visiteur des églises, des chapelles et des lieux inspirés, qu’attendait-il de ses conversations, entre autres avec Jean Guitton, de son pèlerinage annuel auprès de Père Roger à Taizé, de sa relecture de la Vie de Jésus, de Renan ? Lui qui aura laissé à la fin ce mot : “une messe est possible”, après avoir souvent averti “J’aime ceux qui cherchent, je me méfie de ceux qui trouvent”. Et on n’a pas oublié la petite église nivernaise en fond, derrière la “Force tranquille”.
Tout en étant le leader incontesté de la gauche …
La Lettre ne pouvait ignorer cette question.
Dans ce même numéro, le président de la république italienne, M. Napolitano nous livre, grâce à l’amical concours de Claude Estier, ses souvenirs de François Mitterrand. Membre du PCI, dont il anima longtemps le courant rénovateur et social-démocrate, puis du PDS, parlementaire européen, sénateur à vie, avant d’être élu au Quirinal au printemps dernier, M.Napolitano est, après Mario Soarès, un de ces grands témoins auxquels la Lettre de l’IFM continuera dans les prochains mois de donner la parole.
Au moment où nous bouclons cette Lettre nous apprenons avec tristesse le décès de notre ancien président et ami Jean Kahn. Nous lui rendrons dans la prochaine Lettre l’hommage qu’il mérite.