Président de la République pendant 14 ans, François Mitterrand n’a jamais cessé, pendant qu’il était à l’Elysée, et chaque fois qu’il en avait l’occasion, de rappeler qu’il avait siégé au Parlement pendant 34 ans et qu’il tirait de cette exceptionnelle longévité une forte expérience et une vive attirance pour la vie parlementaire. Gardien des institutions entre 1981 et 1995, le Président Mitterrand a toujours été particulièrement attentif à la vie et à l’activité des assemblées et s’est constamment montré vigilant, et même sourcilleux, quant au respect de leurs prérogatives et de leur rang dans la République.
Il portait sur le mandat parlementaire un regard plus que compréhensible, presque tendre, et il aimait la compagnie des parlementaires qu’il rencontrait le plus souvent possible en privé ou en public.
Assiduité
Il aimait à rappeler qu’après un premier échec à Paris à la première Assemblée constituante en 1945, il avait été ensuite constamment élu député de la Nièvre de 1946 à 1958 et de 1962 à 1981, date de sa démission pour entrer à l’Elysée.De 1946 à 1981, il n’a subi dans la Nièvre qu’un seul échec : en novembre 1958, après le retour du général de Gaulle. Mais quelques mois plus tard, en avril 1959, il était élu sénateur de la Nièvre, mandat qu’il exercera jusqu’aux élections législatives de 1962 lorsqu’il revient à l’Assemblée nationale.
François Mitterrand fut toujours très assidu, suivant de très près les activités des assemblées où il siégeait, intervenant dans de très nombreux débats, souvent très techniques, s’intéressant particulièrement aux grands sujets que sont la construction européenne, la place de la France dans le Monde, la Défense, les institutions, les libertés fondamentales, la défense de la République et de ses grands principes. Assis à son banc, suivant attentivement de longues heures de débats, il était un orateur hors pair qui séduisait ses amis et subjuguait ses adversaires. Il usait de tous les artifices de la procédure, qu’il maîtrisait à merveille, comme on l’a vu lorsqu’il fut élu à la surprise générale et à la grande fureur du général de Gaulle rapporteur du projet de loi sur la Cour de Sûreté de l’Etat, ou lorsque à la faveur d’un simple rappel au règlement – sur la chute d’Allende au Chili par exemple – il lançait un extraordinaire message sur la liberté dans le Monde.
Sous la IVème Rèpublique, on retiendra ses positions courageuses sur la décolonisation, sur l’Europe, sur les institutions. François Mitterrand aimait le Parlement, où il avait noué de solides amitiés et un formidable réseau de relations personnelles. Toujours réservé à l’égard des excès de familiarité, il ne tutoyait volontiers que ses compagnons de Résistance et ceux avec lesquels il avait siégé au Palais-Bourbon sous la IVème République.
Parlementaire dans l’âme, opposé au régime présidentiel qui lui semblait inadapté à l’esprit français, à nos traditions et à la République, il était favorable au vrai régime parlementaire, c’est à dire à un régime équilibré dans lequel le Parlement tient sa place, toute sa place mais rien que sa place : hanté par le souvenir du régime d’assemblée qui a tué la IIIème et la IVème République, il s’est opposé à la Constitution de 1946 parce qu’elle faisait la place trop belle au Parlement et même à la seule Assemblée Nationale ; hanté aussi par les excès des régimes autoritaires où le Parlement est toujours trop faible, il vote contre la Constitution de 1958 parce qu’elle met un peu trop le Parlement au pas.
Au sein du Parlement, son orientation politique n’a pas cessé de glisser progressivement vers la gauche : fondateur et membre du groupe de l’U.D.S.R., issu de la Résistance, sous la IVème République, il siége ensuite à la Gauche démocratique du Sénat puis au Rassemblement démocratique de l’Assemblée nationale jusqu’à la création du groupe de la Fédération de la Gauche après l’élection présidentielle de 1965. Lorsque au lendemain de la défaite de la Fédération en 1968 le groupe parlementaire est dissous et remplacé par le groupe socialiste, François Mitterrand rejoint, un temps, les non-inscrits (mais vote constamment avec la gauche) jusqu’à Epinay où il est réintégré au groupe socialiste qu’il ne cessera pas de dominer avec Gaston Defferre jusqu’à son élection à l’Elysée en mai 1981.
Dans les deux assemblées d’aujourd’hui, il reste encore beaucoup d’ « anciens » – députés, sénateurs, fonctionnaires – qui conservent le souvenir du grand parlementaire que fut François Mitterrand.
Collaborateur du groupe socialiste de l’Assemblée nationale de 1962 à 1981, j’ai eu l’honneur et le privilège de connaître François Mitterrand à cette époque, de le côtoyer et de travailler souvent avec lui, notamment pour préparer les notes et dossiers nécessaires à ses interventions à la tribune, à ses discours au Parti et dans le Pays, à sa chronique hebdomadaire de l’ « Unité. »
Souvenirs
Voici peu, j’ai évoqué une partie de mes souvenirs dans la préface d’un ouvrage consacré aux « Pensées, répliques et anecdotes de François Mitterrand », paru aux Editions du Cherche Midi.
En voici quelques passages, qui ne donneront qu’une modeste idée de l’activité de celui qui fut parmi les grands parlementaires et les grands orateurs de la République, et dont il faudra bien un jour écrire la riche Histoire dans nos assemblées :
« L’œuvre écrite de François Mitterrand n’est pas seulement faite de livres, d’articles de presse ou de chroniques de revues, d’éditoriaux ou encore de quelques mots bien sentis jetés à la hâte sur le ‘Livre d’Or’ de lieux plus ou moins connus. on y trouve aussi – paradoxe – ses innombrables interventions prononcées à la Tribune des Assemblées de la République, comme député, sénateur ou ministre, depuis sa première élection dans la Nièvre au lendemain de la guerre jusqu’à son entrée à l’Elysée le 21 mai 1981. Sans oublier ses messages au Parlement sous les deux septennats. Car ces textes, figurant dans le ‘compte-rendu intégral’ des débats, publié par le Journal Officiel, sont en fait des écrits qui ne ressemblent que bien peu – quant à la forme – à ce qu’on a entendu dans l’hémicycle. Il faut savoir en effet que François Mitterrand, forgé à l’école de la tradition parlementaire léguée par la IIIème République, a toujours consacré une attention particulière à la révision de la sténographie de ses discours. Bien qu’il comptât parmi les meilleurs orateurs parlementaires, le Président déplorait, la plupart du temps, que ses discours, retranscrits tels quels, fussent illisibles. »
Un français parfait
Certes, tous ceux qui l’écoutaient reconnaissaient qu’il maniait, brillamment, un français parfait. Mais l’irruption, au cœur de l’exposé, de clameurs, d’approbations ou, le plus souvent, d’insultes ou de vociférations de ses détracteurs, donnait toujours lieu, en dépit des efforts méritoires du personnel chargé de la transcription, à un résultat qui hérissait le pointilleux François Mitterrand : « Mais je ne peux tout de même pas donner le ‘bon à tirer’ à ce pathos » !
Alors, aux côtés d’autres collègues, ou de collaborateurs anonymes des cabinets, relisant à la hâte leurs discours, ou ceux de leurs ministres, le voyait-on s’installer à un coin de table d’un salon du Palais-Bourbon, ou à la bibliothèque, avant de s’excuser en souriant auprès des sténographes auxquels il tendait un texte entièrement réécrit, à la virgule près : « Pardonnez-moi de vous donne du travail, mais je suis un incurable pinailleur » !
Seuls subsistent donc, dans l’ « Officiel » des Chambres, le fond de ses propos ainsi que ceux de ses mots ou de ses flèches qui avaient cueilli son auditoire : par exemple le surnom « miraculé de Kaboul » dont il avait affublé le Premier ministre Georges Pompidou en Mai 1968.