Le 15 septembre dernier, Georges Fillioud est décédé des suites d’un cancer. Il était âgé de 82 ans. Proche de cet ancien journaliste, Michèle Cotta livre pour l’institut François Mitterrand un témoignage en forme d’hommage.
J’ai rencontré pour la première fois Georges Fillioud à la Convention des Institutions Républicaines dans les années 60. Je n’étais pas encore journaliste politique, il était grand reporter à Europe 1 : le fait qu’il soit engagé derrière François Mitterrand le différenciait de ses confrères. C’est ainsi que je l’ai connu. Il passait pour avoir du caractère, et le démontrait chaque jour à ses supérieurs. Nous n’étions alors pas vraiment des amis, pas encore des collègues.
1966 marqua le premier tournant de sa carrière : son engagement de gauche ne l’empêchait pas d’avoir été nommé rédacteur en chef adjoint d’Europe 1, après y être entré dix ans plus tôt. Tant qu’il ne les affichait pas, ses convictions paraissaient compatibles avec son métier. En revanche, il a suffi qu’il signe, en 1966, le texte d’un appel lancé par le mouvement pour qu’il soit jugé gênant par sa direction, et qu’il doive abandonner son poste.
C’est plus tard que nous sommes devenus proches. Engagé derrière François Mitterrand il s’était implanté dans la Drôme, en devenant député de la CIR en 1967, et en gagnant par la suite, sous l’étiquette socialiste, la mairie de Romans. J’ai un souvenir très précis d’une de ses interventions à Romans, où une fabrique locale de sacs et de chaussures en cuir battait de l’aile. Nous sommes une bonne douzaine de journalistes à avoir été appelés au téléphone par Georges Fillioud, qui furent chargés, avec bonne humeur, d’assurer la vente et la distribution des stocks de Romans. C’est ainsi que nous fûmes nombreuses, cette année-là, à porter les sacs de Fillioud. Ce fut le cas de la plupart des journalistes de l’Express.
Dès 1978, se posa le problème de la liberté audiovisuelle, de la fin du monopole d’Etat dans ce secteur, de l’ouverture aux radios libres, qui ne demandaient qu’à émettre, mais restaient interdites par le gouvernement.
Georges Fillioud, chargé par Mitterrand de mettre à l’étude un projet de loi au cas où.., fut un des premiers à lancer l’idée d’une radio libre socialiste, située au siège du Parti, à laquelle les forces de l’ordre mirent un terme immédiat, juste avant l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République.
Tout naturellement, devenu ministre de la communication, c’est lui qui mit en ordre la loi. Nommée en 1981 présidente de Radio-France, j’ai eu de nombreuses occasions, alors, d’être informée, et même d’aider à son élaboration. Tout de suite, nous avons trouvé une façon particulière de collaborer, faite d’amitié et d’estime, de déjeuners avec nos collaborateurs dans le jardin du ministère de la communication, qui, dans l’été 1981, nous accueillait souvent. Les échanges souvent continuaient le soir, car il nous paraissait à la fois difficile et pourtant nécessaire, de ménager la place de la radio publique au milieu de l’explosion des radios privées.
Très vite, la fonction de ministre de la communication apparut politiquement exposée : beaucoup de socialistes attendaient de Georges Fillioud qu’il dirige l’information, que, tel Alain Peyrefitte en d’autres temps, il dicte leurs sujets aux journalistes du service public. Ce qu’il ne faisait pas, connaissant les journalistes et sachant qu’on ne peut les manier à la baguette.
En revanche, en se battant pour faire exister les radios libres et exploser un monopole resté unique en Europe, il apparaissait comme créateur d’un nouveau monde que personne ne pourrait jamais complètement maîtriser.
Et puis, il y avait parfois ses coups de gueule, filmés de trop près à la tribune de l’Assemblée nationale, ou dans des meetings et autres congrès politiques qui ont donné de lui une image totalement contraire à son personnage, convaincu et luttant avant tout pour la liberté de la presse.
Son bilan reste finalement unique : non seulement il a ouvert les portes de l’audiovisuel, fait passer la France dans une ère nouvelle, non seulement il s’est déclaré favorable à l’éclosion des radios, mais encore il a voulu l’existence de la Haute autorité, instance indépendante pour réguler le monde des médias.
Pour dire la vérité, il ne souhaitait pas que j’en soie la Présidente, car il voyait bien que les fonctions différentes nous opposeraient tôt ou tard. J’aurais pour ma part préféré rester à Radio France. François Mitterrand ne nous en laissa pas le choix. Aussitôt les choses ont été différentes entre nous, il représentait l’Etat, et moi j’étais chargée de la régulation des médias. Souvent nos points de vue officiels s’opposaient, notamment lorsqu’il fut question du financement des radios privées. Auraient-elles droit à la publicité ou pas ? Georges Fillioud, comme moi, nous pensions qu’il n’était pas possible de le leur interdire, à moins d’être considérés comme des briseurs de liberté. Pierre Mauroy en décida autrement. Tenu par la solidarité gouvernementale, Georges Fillioud s’inclina. J’étais plus libre de mon action. Nous nous évitâmes un moment.
Lorsque François Mitterrand donna lui-même aux radios privées l’accès à la publicité, nous reprîmes la conversation comme auparavant, ayant tous les deux décidé, à ce moment, que notre amitié résisterait à toute nouvelle discorde.
Georges Fillioud était un homme bon, profondément attaché à François Mitterrand. J’ai le souvenir de tant de dîners ensemble, même après notre départ du ministère et de la Haute autorité. Avec ses lapsus qui n’en étaient pas, Danielle Evenou, son épouse, ravissait l’assemblée : je me rappelle avoir vu une camionnette de gendarmerie, quand Georges n’était plus ministre depuis longtemps, s’arrêter pour nous dépanner, en plein hiver, rue Daviel : les gendarmes avaient reconnu Danielle, la contractuelle célèbre de la Télé, et pas lui.
Il a marqué son temps, et il a fallu qu’il meure pour qu’on le découvre.