L’Institut François Mitterrand et La Lettre ont souhaité rendre hommage à Pierre Mauroy en vous proposant cinq textes de personnalités qui l’ont connu à différentes périodes de sa vie :
L’Éditorial de Hubert Védrine (Président de l’Institut François Mitterrand), et quatre témoignages de Bruno Le Roux, Claude Estier, Michel Delebarre et Henri Nallet, qui lui a succédé à la présidence de la Fondation Jean Jaurès.
« Dans ce monde, il y a ceux qui restent chez eux
et puis il y a les militants »
Par Bruno Le Roux, Président de la fédération nationale Léo Lagrange, Président du groupe SRC à l’Assemblée nationale, Député de Seine-Saint-Denis
Pierre Mauroy aimait une phrase de Kipling. Il citait : « dans ce monde, il y a ceux qui restent chez eux et puis il y a les militants. » Pierre Mauroy n’était pas de ceux qui restent chez eux. Il était un militant, un militant politique, un militant associatif, un militant dans la vie, lui qui entraînait toujours autour de lui.
Oui, Pierre Mauroy croyait aux idées qui entrainent. Il savait que l’action politique, la persistance, l’engagement personnel, la conviction permettait de transformer notre société. Il ne savait pas être spectateur, il était toujours un acteur, sans toujours d’ailleurs s’accrocher au premier rôle.
Pierre Mauroy, c’était tout à la fois la solidité, la fidélité, l’imagination, l’enthousiasme, l’autorité, sans jamais se départir de sa gentillesse naturelle, de la bienveillance qui accompagnait tous ceux avec qui il était en rapport, de l’attention aux autres et notamment à ses collaborateurs.
Ce sont ces qualités qui ont fait de Pierre Mauroy l’homme d’Etat qu’il a été, tout en n’oubliant jamais l’homme du peuple qu’il est resté, cherchant toujours à s’adresser à tous, à ouvrir à chacun toutes les routes.
Bien sûr, il restera un grand Premier ministre, le premier de l’alternance, le réformateur obstiné faisant face à la réalité pour permettre le changement. Mais son rôle dans la création de la fédération Léo Lagrange est, pour moi, la meilleure illustration de ce que Pierre Mauroy était, de sa façon de faire progresser les causes qui lui semblaient essentielles.
La création de la fédération, c’est d’abord la conséquence de l’importance qu’il attachait à la jeunesse. C’était la première mission de la structure qu’il a créée : étendre la culture et organiser le loisir des jeunes, particulièrement par la création de clubs de loisirs. Permettre à la jeunesse de trouver un lieu d’éducation populaire et de loisirs.
Il lui en a fallu, de l’opiniâtreté, pour faire de ces premiers clubs de loisir la grande fédération d’éducation populaire qu’elle est devenue. Il lui en a fallu, de l’énergie, pour fédérer autour de lui les bonnes volontés qui ont permis à la fédération Léo Lagrange de passer les époques, de professionnaliser l’animation, de s’ouvrir à de nouveaux champs d’intervention, de garder comme fondement le droit aux loisirs et à la culture de chacun.
Pierre Mauroy était particulièrement fier de ce qu’est devenue cette structure, intervenant aussi bien dans le domaine du sport que de la culture, de la petite enfance, de la défense des consommateurs, de la formation professionnelle, du périscolaire, sans oublier bien sûr les loisirs et les séjours de vacances. Il était fier que nous ayons su garder depuis plus de soixante ans, « l’esprit Léo » qui fait la spécificité de notre action d’éducation populaire.
C’est à l’énergie de Pierre Mauroy pour les causes justes que nous devons aujourd’hui ce qu’est la fédération Léo Lagrange. A sa capacité de fédérer autour de lui toutes les énergies au service de ces causes. A l’enthousiasme qu’il générait en étant toujours en première ligne, toujours fidèle dans sa vie et dans sa relation aux autres, et notamment à ses collaborateurs, aux valeurs qu’il défendait.
J’ai eu cette chance d’être, quand il était Premier secrétaire du PS, l’un de ceux-là. J’ai cet honneur aujourd’hui de présider la structure qu’il a créée. Je dois à Pierre Mauroy beaucoup de ce que je suis aujourd’hui.
Nous avons dit « au revoir » à Pierre Mauroy le 7 juin. Mais il ne nous a pas quittés.
Mitterrand et Mauroy
Par Claude Estier
J’ai connu Pierre Mauroy au lendemain de la première campagne présidentielle de François Mitterrand en décembre 1965 d’où naquit la Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste (FGDS). La direction de celle-ci se réunissait Cité Malesherbes, au siège de la S.F.I.O. dont Mauroy étant alors le secrétaire général adjoint.
Ces réunions étaient souvent marquées par une certaine tension entre François Mitterrand et Guy Mollet et je remarquais que Mauroy intervenait le cas échéant pour apaiser le climat.
En fait, désireux de secouer la léthargie dans laquelle s’enfonçait le vieux parti fondé par Jaurès en 1905, Mauroy avait vite compris que l’arrivée de Mitterrand et de ses amis de la Convention des Institutions Républicaines était l’occasion d’ouvrir les fenêtres detde construire une nouvelle organisation. Conviction confirmée pour lui après l’échec assez pitoyable de la candidature de Gaston Deferre en 1969.
A partir de là, il a travaillé activement au rapprochement entre les membres de la C.I.R. et les rénovateurs de la S.F.I.O., je me souviens de réunions – presque clandestines – que nous tenions au restaurant « Le Petit Margery » proche de la cité Malesherbes. Elles contribuèrent à la préparation de ce qui allait être, en juin 1971, le congrès d’Epinay au cours duquel Pierre Mauroy et sa Fédération du Nord jouèrent – avec Deferre – un rôle décisif dans la victoire de la motion Mitterrand sur celle d’Alain Savary, soutenu par Guy Mollet.
Dans l’esprit de Mitterrand ce rôle décisif devait logiquement conduire Mauroy à devenir le premier secrétaire du nouveau parti, poste qu’il n’envisageait pas pour lui-même, à l’instar de Léon Blum qui avait été l’inspirateur mais jamais le chef de son parti .
Mais Mauroy qui de préparait à succéder à Augustin Laurent à la Mairie de Lille, avait décliné la proposition. Ce qui avait conduit François Mitterrand à occuper le poste de premier secrétaire qu’il allait conserver jusqu’à la campagne présidentielle de 1981.
Pendant toutes ces années, les deux hommes collaborèrent étroitement, leur relation se fondant à la fois sur des convictions communes et sur une grande estime réciproque. Ce qui n’empêcha pas une surprise entre eux en avril 1979 au congrès de Metz où Mauroy avait fait alliance avec Michel Rocard.
La réconciliation vint cependant très vite, avant même d’être officiellement candidat Mitterrand avait annoncé à Mauroy – qui me l’a confié plus tard qu’il en avait été très surpris – que s’il était élu, il ferait de lui son premier ministre, ce qu’il fut effectivement le cas.
Et le poids de ce premier ministre des réformes sociales et institutionnelles de 1981 à 1982 ne fut pas mince quand, en 1983, avec le tournant de la rigueur, il réussit à convaincre Mitterrand de ne pas sortir le Franc du système Monétaire Européen (S.M.E.) comme le lui conseillaient certains de ses amis.
L’affaire de la loi avortée sur l’enseignement obligea Mauroy à quitter Matignon en juillet 1984 mais jamais ne fut rompue la relation affective qui liait les deux hommes et que symbolise une « dernière journée d’intimité » qu’ils eurent le 24 août 1993 à Hardelot. En quittant Mauroy. Mitterrand lui avait glissé cette phrase un peu mystérieuse : « vous mettrez du bleu au ciel ». Il m’a dit un jour qu’il n’avait pas vraiment compris le sens de cette phrase mais elle l’avait pourtant suffisamment marqué pour qu’il en fasse le titre du livre de ses Mémoires, paru dix ans plus tard.
Mitterrand par Mauroy
Par Michel Delebarre
Sénateur-Maire de Dunkerque, Ancien Ministre d’Etat, Directeur de Cabinet de 1982 à 1984 de Pierre Mauroy -1er Ministre de François Mitterrand
Prétendre faire « parler » de François Mitterrand par Pierre Mauroy même si c’est pour évoquer des souvenirs est une ambition trop grande. Il en a parlé lui-même dans ses divers écrits.
Dès lors, qu’ajouter ?
Un témoignage, une impression pour avoir souvent retrouvé Pierre au sortir d’un rendez-vous, d’un entretien avec François Mitterrand dans la voiture où je l’attendais ou dans son bureau à l’Hôtel Matignon.
Ce sentiment mélangé fait de respect, d’admiration et de complicité admirative lorsque sur une question ils s’étaient trouvés en phase.
Je ne me souviens pas de l’avoir retrouvé énervé ou impatient et s’il n’avait pas gagné à sa cause son interlocuteur il avait su percevoir si les choses en resteraient là ou si une autre chance pouvait se présenter.
Il avait une réelle patience dans ses échanges avec le Président et je pense que l’inverse était pour beaucoup dans l’admiration qu’il lui témoignait.
«Vous mettrez du bleu au ciel»
Par Henri Nallet, ancien ministre,
président de la Fondation Jean-Jaurès
Pierre Mauroy évoquait souvent les nombreux souvenirs marquant le chemin qu’il avait parcouru avec François Mitterrand. Il l’avait connu en 1965 lors de sa première campagne présidentielle.
Ensemble, ils avaient rêvé et réalisé, avec d’autres bien sûr, la rénovation du mouvement socialiste français, condition indispensable pour parvenir à un succès électoral qui a permis de rendre à la gauche sa fierté et d’assurer la mise en œuvre des mesures de justice sociale attendues depuis de si longues années à partir de 1981. C’est dans ces combats communs que s’est forgée entre eux une relation d’amitié et de confiance qui ne s’est jamais démentie parce que fondée sur une même volonté et une même perspective politiques.
En 1993, ils se retrouvent pour la dernière fois dans l’intimité à Hardelot, au bord de la mer. François Mitterrand, après un long moment de contemplation face à la beauté du paysage, se retourne vers Pierre Mauroy, et lui glisse doucement, en guise de dernier adieu « Et vous, continuez à mettre du bleu au ciel ». Cette phrase, Pierre Mauroy la choisit pour le titre de ses Mémoires publiées en 2003, comme un symbole de cette part d’utopie et d’espérance qui donne aux socialistes la mission de rechercher inlassablement le bonheur des hommes.