Ce jeudi 23 avril 1981, nous prenons au Bourget le Falcon qui va nous emmener à Marseille pour un meeting dans le fief de Gaston Defferre. Cette réunion est cruciale aux yeux de François Mitterrand, car le maire de Marseille est un de ses soutiens inconditionnels depuis le fameux Congrès d’Epinay, qui l’a porté à la tête du Parti socialiste en 1971.
Dans l’avion, François Mitterrand, comme à son habitude, est absorbé par son travail d’écriture et par la lecture des multiples notes qu’on lui transmet. Les passagers qui l’accompagnent ne le dérangent pas. Ils parlent évidemment de la campagne : l’ambiance, les derniers bruits, les sondages, les réactions aux précédents meetings ou les commentaires des médias.
Au cours de la conversation à bâtons rompus, Régis Debray me demande s’il est vrai que je compte organiser un grand meeting entre les deux tours au Parc des Princes. Assez fier de mon idée, je lui confirme que ce doit être effectivement le « point d’orgue » de la campagne du second tour. La réservation du stade est faite et les affiches déjà prêtes. Il m’explique alors que le projet lui semble dangereux, voire très risqué. Soutenu avec passion par Danièle Mitterrand, qui s’est jointe à l’échange, il me décrit les risques de provocation, de mouvement de foule non contrôlé, voire d’attentat. Je suis un peu étonné mais, connaissant l’histoire personnelle de Régis au contact des situations révolutionnaires d’Amérique du Sud, je me dis qu’il a peut-être tendance à dramatiser et pense que cette discussion n’aura pas de suite. Je me trompe.
A la fin du meeting de Marseille, vers 21 heures, avant de repartir pour l’aéroport, François Mitterrand me prend à part et me dit :« Régis et Danièle m’ont parlé de votre projet de meeting au Parc des Princes et je pense qu’ils ont raison. Il ne faut pas le faire. Ne prenons pas de risque inutile ». J’ai beau décrire les avantages, selon moi, de ce beau rassemblement populaire et objecter qu’on ne peut pas l’annuler, je sens vite qu’il ne faut pas insister : le meeting n’aura pas lieu !
Devant mon émotion et, pourquoi ne pas le dire, ma colère, François Mitterrand, qui sait combien je m’implique dans la direction de sa campagne, cherche à m’apporter une compensation. « Ecoutez, Quilès, puisque vous pensez que je vais gagner, eh bien, vous organiserez une grande fête pour ma victoire ! » Cette formule est une sorte de taquinerie et de plaisanterie entre nous, parce qu’il sait que je ne fais pas partie de ceux qui tergiversent, contrairement à d’autres socialistes, parfois même parmi ses amis fidèles. Certains d’entre eux se demandaient encore il y a quelques mois si cette troisième candidature de François Mitterrand à l’élection présidentielle était bien raisonnable.
La perspective d’organiser une fête, comme me le suggère François Mitterrand, ne compense pas immédiatement l’immense déception que représente pour moi l’annulation du meeting du Parc des Princes. Je reviens donc, furieux, à Paris et, dès le lendemain, j’annonce la décision à l’équipe de campagne. En revanche, je ne dis rien sur l’idée de la fête, sauf quelques mots à Béatrice Marre, en promettant de lui en reparler la semaine prochaine….(à suivre!)
Source : http://paul.quiles.over-blog.com/2021/05/il-a-40-ans-pas-de-parc-des-princes.html