Est-ce que vous pensez qu’il y a une démarche pour la réunification de l’Allemagne ?
Le Président : Assurément. Réunifier l’Allemagne est la préoccupation de tous les Allemands. C’est assez compréhensible. Ce problème posé depuis quarante cinq ans gagne en importance à mesure que l’Allemagne prend du poids dans la vie économique – c’est fait, dans la vie politique – c’est en train de se faire.
La République fédérale d’Allemagne pourra-t-elle être tentée de regarder beaucoup plus à l’Est que dans les pays de la Communauté ? Une sorte de bascule allemande vers les pays de l’Est ?
Je ne le pense pas. Que l’Allemagne fédérale veuille entretenir de meilleures relations avec l’Union soviétique et les pays qui l’entourent, qui s’en étonnera ? La géographie et l’histoire les y poussent. Je ne vois pas là matière à scandale. L’Allemagne n’a pas intérêt à renverser ses alliances, ni à sacrifier sa politique européenne pour une réunification à laquelle l’URSS n’est pas prête. Elle n’en a pas l’intention non plus, du moins je le crois.
Vous en avez parlé avec le président Gorbatchev ?
L’aspiration des Allemands à l’unité me paraît légitime. Mais elle ne peut se réaliser que pacifiquement et démocratiquement.
Mais le veto soviétique est le même selon vous ?
Je ne sais si on peut appeler cela un veto. Reportez-vous au texte du communiqué publié à l’issue de la rencontre à Bonn entre MM. Gorbatchev et Kohl. Il me semble avoir perçu que l’amélioration du climat entre les deux pays n’entraînerait pas de modification de fond dans leur diplomatie.
Monsieur le Président, est-ce que vous pourriez vous imaginer que la question allemande puisse se régler sans l’accord de tous les pays européens ?
Non. Pas en dehors des puissances qui ont la charge de veiller actuellement à l’application des traités et à la sécurité de l’Allemagne fédérale. Il est juste que les Allemands aient la liberté de choix. Mais le consentement mutuel entre l’Union soviétique et les puissances de l’Ouest supposera un vrai dialogue.
Est-ce que la discussion qui a été relancée à nouveau depuis la visite de M. Gorbatchev en Allemagne sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est le bon chemin pour arriver à une solution ?
Ce qui est certain, c’est que ce droit indéniable n’entrera pas dans les faits au forceps – pour employer une expression médicale -. Il faudra d’abord que les deux gouvernements allemands soient d’accord. Aucun des deux pays allemands ne peut imposer ses vues à l’autre. Cet aspect interallemand est fondamental. Et les dirigeants d’Allemagne fédérale, ceux que j’ai rencontrés, n’ont jamais prétendu obtenir l’unification en accroissant les tensions internes de l’Europe.
La République fédérale n’est-elle pas en train de dériver par rapport à l’Ouest ?
Est-ce qu’elle n’essaye pas de jouer un rôle particulier, ce que l’on a appelé le « Sonder Weg », c’est-à-dire en regardant plus vers la « Mittel- Europa » et l’Union soviétique même avec des risques de neutralisme ? Les bons observateurs de l’Allemagne fédérale notent un réel mouvement de l’opinion. Je ne puis apprécier que d’après ce que je lis et ce que j’entends. Mais rien ne me permet de dire que les responsables politiques élus, le gouvernement, le chancelier aient changé de position. D’autant plus que la politique européenne de la République fédérale au sein de la Communauté des Douze continue d’être active. Dois-je répéter ce que je vous ai déjà répondu sur la situation géographique de l’Allemagne, sur son passé historique ? La France est portée à mener une politique méditerranéenne parce qu’elle a une fenêtre ouverte vers la Méditerranée, l’Afrique et le Proche-Orient. Qui pourrait reprocher à l’Allemagne d’avoir un regard sur l’Est, sur la Pologne, l’Union soviétique, la Tchécoslovaquie ? L’Allemagne redevenue une grande puissance économique, une des plus importantes du monde, a naturellement tendance à souhaiter voir son rôle politique grandir. Rien de tout cela ne surprend. J’intègre cette donnée dans l’idée que je me fais de la politique européenne et mondiale et cela m’incite du même coup à renforcer les moyens et la présence de la France dans le concert des nations.