Jean-Michel Gaillard, ancien collaborateur de François Mitterrand, nous a quittés le 19 juillet 2005, emporté à 59 ans par un mal foudroyant. Tous ses amis conservent le souvenir d’un homme chaleureux et d’une intelligence hors du commun, multiforme et pétillante.
Cette intelligence, il la mettait au service de convictions et de valeurs auxquelles jamais il ne dérogea. Sa famille, c’était la gauche, une gauche républicaine et sociale, éloignée de tout dogmatisme, humaniste et tolérante. C’était un enfant de la République, fils d’instituteurs communistes, petitfils de maçon, du temps où la République se souciait de ses enfants méritants et leur offrait la chance de sortir du rang. Il savait ce qu’il lui devait, à la République, et il le lui rendit bien en montrant un attachement constant au service public. C’était un esprit indépendant, indocile et non conformiste, tout le contraire d’un technocrate ou d’un courtisan.
On s’était connus un peu avant 68, à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, dans l’effervescence de ces années folles où l’on s’offrait encore le luxe de rêver. On préparait l’agrégation le jour, et le « grand soir » la nuit. Au milieu des années soixante-dix, l’agrégation en poche, alors qu’il amorçait à l’université de Rennes une carrière d’historien qui s’annonçait brillante, l’envie de se frotter à l’action publique le poussa vers la haute administration. À la sortie de l’ENA, il choisit les affaires étrangères. Deux ans plus tard, c’était 1981, la victoire de François Mitterrand. Notre vie basculait. Notre génération accédait enfin à l’exercice des responsabilités. Au Quai d’Orsay, les jeunes diplomates de gauche n’étaient pas légion. Rien d’étonnant à ce qu’il ait été rapidement appelé à la présidence de la République comme adjoint du conseiller diplomatique, Hubert Védrine.
En ce temps-là, l’Élysée était une ruche bourdonnante. Tout était à inventer. Jean-Michel Gaillard était parfaitement dans son élément. Il fut immédiatement jeté dans le grand bain. Les 7 et 8 octobre 1981, il assista à Latche à la rencontre historique entre Mitterrand et Schmidt qui jeta les bases du partenariat privilégié franco-allemand. Il revint ébloui de cette leçon de géostratégie appliquée. Pendant trois ans, la rédaction des projets de discours, les notes d’analyse, la participation aux entretiens, la préparation des voyages présidentiels, le dépouillement des télégrammes, la coordination avec les collaborateurs de Claude Cheysson, furent son pain quotidien. À ces tâches accaparantes, il apportait son sens de la synthèse, le recul de l’historien et un inégalable talent créatif. Comme l’a rappelé Hubert Védrine, c’est dans une de ses notes que le Président puisa la fameuse formule : « Les euromissiles sont à l’Est, les pacifistes sont à l’Ouest. » Nommé à la Cour des comptes en 1984, il reprit du service auprès de François Mitterrand lorsqu’il fallut, en 1986, renforcer le château pour affronter la cohabitation. Conseiller pour les régions, la décentralisation et l’innovation, il avait pour mission d’ausculter la France qui bouge et de repérer de nouveaux talents. Cela allait comme un gant à cet observateur aigu des passions françaises sur lesquelles il avait écrit, l’année précédente, un livre remarqué (Le Jeu de l’oie).
Après 1988, sa curiosité insatiable, son goût de la découverte le portèrent vers d’autres expériences, la télévision en particulier. À la direction générale d’Antenne 2, il tenta de démontrer, dans l’indifférence du pouvoir de tutelle, que le service public se devait d’être au moins aussi attentif à la qualité qu’à l’Audimat. Longtemps après, il s’enorgueillissait d’avoir, malgré tout, réussi à lancer Envoyé spécial.
Les années passant, il était revenu à ses premières amours : l’histoire, l’écriture. Sous une réjouissante drôlerie, se dissimulait un bourreau de travail. En témoigne l’oeuvre abondante qu’il laisse, livres, articles, scénarios pour la télévision. C’était un divulgateur-né qui rendait limpide tout ce qu’il touchait. Son sujet de prédilection, ce fut la Troisième République. On lui doit un Jules Ferry (1989) qui fait date ainsi que le scénario de téléfilms sur Georges Mandel et Léon Blum où la culture historique est subtilement filtrée par son expérience du pouvoir. Il avait commencé, jeune chercheur, par enquêter sur les mineurs de Carmaux. Il a conclu son oeuvre, prématurément, par un superbe Jaurès, présenté à la télévision trois mois avant sa disparition, dans lequel il campait, de façon saisissante, le président Loubet, ultime hommage à cette République injustement décriée.
Il avait encore beaucoup à nous donner. Sa musette était bourrée de projets qui ne verront pas le jour. C’était un ami attentif, fidèle et généreux. Jamais on ne frappait en vain à sa porte. Par ces temps de morosité ambiante, son humanité souriante et son intelligence tonique vont cruellement nous manquer.