Pour François Mitterrand, la paix qu’il faut sans cesse rechercher, ne s’installera pas durablement par le simple jeu d’un équilibre raisonné entre les deux blocs. Et surtout, à ce prix, tous n’en profiteront pas. Des conflits meurtriers ne cessent d’embrasser les régions les plus pauvres. Certains ont pris l’habitude d’appeler ces joutes par populations interposées, des « abcès de fixation ». Il récuse le cynisme de cette stratégie qui maintient des privilèges exorbitants et favorisent, à terme, une gestion désastreuse des ressources de la planète. Pour lui, la paix passe par l’affirmation de règles pour une économie équitable, l’éducation et l’épanouissement des différentes cultures ainsi que par une nouvelle prise de conscience dans laquelle l’éthique surplomberait les décisions techniques indispensables, parfois urgentes, que les puissants et les faibles devraient concevoir ensemble.
Il n’a cessé de marteler ce message tout au long des quatorze années de ses deux mandats, proposant à chaque fois des solutions et prêchant par l’exemple des initiatives de la France en ces domaines.
A peine est-il installé à l’Elysée, que le 1er septembre 1981, il prend la parole lors de la séance inaugurale de la Conférence de Paris sur les pays les moins avancés.
« Après l’époque des dominations coloniales, après l’espoir des années soixante, après et pendant le choc de la crise économique mondiale, nous voici au seuil d’un nouveau millénaire. Six milliards d’hommes habiteront la terre en l’an 2 000. » Et il interroge : « Laisserons-nous 4 milliards d’entre eux menacés sans cesse par la pauvreté ? Laisserons-nous 1 milliard d’êtres humains traqués par la famine, par le désespoir ? Tel est le problème fondamental auquel nous sommes confrontés.
Pour lui le problème se pose en termes abrupts : soit la communauté internationale, à vrai dire ceux parmi elle qui en maîtrisent les dogmes et les leviers, trouvera en elle-même « le désir et le ressort de relancer le dialogue et d’aborder les vrais débats ». Et il complète : « Sinon les différentes parties du monde s’en retourneront chacune chez elles, amères et déçues, pour s’attaquer dans la solitude aux problèmes de l’heure avec ce mélange de résignation et de désir diffus de revanche qui accompagne les grandes questions que l’on n’a pas jugé bon d’entendre. »
Paix indispensable, développement social par l’éducation, maîtrise des marchés pour ne pas épuiser les ressources de la terre et de ceux qui en vivent directement ? En de nombreuses occasions, il prévient que le temps est compté. Il ne se veut pas donneur de leçons. Réaliste, il propose des voies et des moyens. Il mesure les écarts qui se sont installés dans le temps et à travers les espaces. « Mais comment cent ou plus de cent nations accompliront-elles en quelques décennies le chemin du développement que les pays les plus avancés ont mis plusieurs siècles à parcourir ? Comment faire que chacun trouve sa voie propre dans un monde où les liens féconds et étroits qui existent entre nations recèlent aussi bien des contraintes et des dominations ? Comment bâtir pour tous un ordre économique international à la fois équitable et efficace qui place le développement au premier rang des priorités de tous ? »
Quand chacun est alors obnubilé sur les péripéties des rapports Est-Ouest, il met en avant les conséquences d’une relation Nord-Sud insuffisamment prise en compte. « Pour ce qui nous concerne toujours, avance-t-il, je ne peux en cet instant, ayant l’honneur de participer à cette séance et de présenter ce premier exposé, c’est dans cinq domaines principaux que nous Français nous entendons porter notre action.
Premièrement, mon pays souhaite que dans les rapports Nord-Sud un esprit de responsabilité partagée remplace la méfiance, l’indifférence. Une volonté nouvelle de se comprendre et d’agir doit se manifester. Les conversations au niveau des Chefs d’Etat qui se tiendront en octobre à Cancun contribueront à forger cette volonté. L’engagement de négociations globales lui permettra de se traduire par des actions concrètes correspondant à des intérêts mutuels. Avec ses partenaires, la France fera tout son possible pour que cette volonté se manifeste à brève échéance. »
Il propose ensuite des initiatives : « Deuxièmement, la France souligne l’importance d’aider concrètement les pays du Sud à surmonter les difficultés aiguës provoquées par l’alourdissement de leur facture énergétique. Elle a proposé à Nairobi l’établissement d’un inventaire économique des énergies nouvelles et renouvelables. Elle apporte son soutien entier au projet de création d’une «filiale énergie» de la Banque Mondiale qui associerait, à responsabilités égales, les pays du Nord et les Pays du Sud au développement énergétique du Tiers Monde. Troisièmement, la France reconnaît que tout processus de développement, surtout si son rythme est rapide, réclame d’importantes disponibilités financières. Sans elles, les projets resteront sans lendemain.
Et il met en garde contre l’inconséquence coupable des puissances et tente d’engager le mouvement engageant la France : « Les engagements pris par la Communauté internationale n’ont pas été tenus pendant les années de forte croissance et de prospérité. Il faudra pourtant les atteindre alors que les circonstances sont bien moins favorables. La France a décidé de rattraper son propre retard et de parvenir d’ici 1988, dans le cadre de son prochain plan de développement économique, à l’objectif de 0,7 % du PNB d’aide publique adopté par les Nations Unies. »
Stabiliser les recettes des pays les moins avancés
Soulignant que ces pays, les « moins avancés », cumulent les inconvénients et surtout celui de devoir naviguer à vue, il ajoute : « Il nous paraît indispensable d’apporter aux pays en développement dans leur ensemble et, particulièrement aux pays les moins avancés, plus de stabilité et de continuité dans leurs recettes. L’équilibre de nombreuses économies dépend des recettes d’exportation d’un seul produit. Pouvoir prévoir et planifier ces recettes, telle est la condition sine qua non du développement. Pour cette raison, la France se montre favorable à la stabilisation des recettes provenant de l’exportation des matières premières du Tiers Monde. Il s’agit d’une part, des accords de produits et nous profitons de cette occasion pour saluer les efforts de la CNUCED en ce domaine et redire notre attachement au Fonds Commun. »
Même point de vue, mais dans un contexte qui n’a fait que s’aggraver, dans son allocution lors de la cérémonie inaugurale de la 8ème session du Conseil des gouverneurs du Fonds international de Développement Agricole (FIDA), le 22 octobre 1984.
« A un moment où le dialogue Nord-Sud marque le pas, où s’accumulent les tragédies, il est important de démontrer que la lutte contre la pauvreté et la faim est possible, à condition d’agir sur les structures du monde rural. Le F.I.D.A. a su jusqu’ici concentrer ses moyens pour venir en aide aux populations les plus démunies, dans les pays les plus pauvres, en intégrant tous les aspects du développement – formation, recherche, vulgarisation, financement, organisation de débouchés. Mais cela ne suffit pas car une crise alimentaire sans précédent ébranle toutes les sociétés du sud, y compris celles qui, jusqu’à présent, paraissaient pouvoir demeurer à l’abri du fléau. On voit ainsi se développer en Amérique Latine, en Asie et surtout en Afrique, la malnutrition.
Des paysans de plus en plus nombreux, exploitent des ressources naturelles de plus en plus limitées. L’équilibre millénaire entre l’homme et la nature se trouve bousculé, bouleversé, avec pour sanctions l’érosion, le déboisement, je le disais, la désertification, et pour finir, la baisse rapide du potentiel de production.
Dans le même temps s’accentuent les instabilités. Les cours des matières premières oscillent au gré d’un marché sans règle, entraînant dans leur danse infernale les recettes d’exportation. Les taux d’intérêt record, l’instabilité injustifiée des monnaies augmentent la dette des plus nécessiteux. Et le chômage s’étend puisque l’investissement devient plus difficile. Après avoir stagné, le développement recule et la famine s’aggrave.
Voilà les faits. Vous les connaissez. »
Les faits? Les opinions publiques des pays riches s’en sont déjà saisies. Un mouvement se solidarité s’est alors dessiné en faveur de nombreuses régions des pays de la Corne de l’Afrique par exemple et plus particulièrement de l’Ethiopie ; au secours des pays du Sahel, dont le Niger. En Tunisie, du 27 décembre 1983 au 6 janvier 1984, des émeutes ont secoué la plupart des villes – ce qu’on a appelé les « émeutes du pain ». L’intervention de l’armée a fait une centaine de morts.
Les destins du Nord et du Sud sont liés
« Et vous connaissez aussi les mécanismes qui les sous-tendent, poursuit-il. La crise des agricultures s’inscrit dans le désordre général des économies du monde. Cette nécessité d’une vision plus solidaire, je l’ai rappelée depuis bien longtemps et d’abord à Paris, ici même, lors de la conférence des pays les moins avancés et aussi, vous avez bien voulu le rappeler M. le Président, à Cancun, c’était en octobre 1981, il y a déjà trois ans, lorsque les chefs d’Etat de 22 pays tentaient de donner des réponses communes aux problèmes urgents des pays du sud. Mon pays avait fait alors des propositions. Elles ont été approuvées, appuyées au moins verbalement. Que sont devenus les engagements précis que comportait le texte final de Cancun ? Que reste-t-il de l’analyse, unanime, du diagnostic sur l’ampleur de la pauvreté, la montée de la famine, la crise de l’endettement ? Qu’avons-nous entrepris pour relancer les négociations globales Nord-Sud, permettre une meilleure organisation des marchés mondiaux, pour stabiliser les cours des matières premières ? où en est la filiale énergie de la Banque Mondiale ? Qu’a-t-on fait pour enrayer l’endettement, relancer l’appareil productif bloqué dans presque tous les pays du tiers monde ; pour augmenter l’aide publique au développement, pour soutenir les efforts des plus pauvres parmi les pauvres ? Avouons-le, les résultats sont décevants, les engagements pour la plupart non tenus. A chaque occasion, j’ai tenté de sensibiliser l’opinion internationale à cet extraordinaire paradoxe qu’est l’abondance des surplus du Nord, tandis qu’au Sud la production agricole décroît. Et de même, je l’ai dit à la tribune des Nations Unies à New York, devant les ministres des finances et des affaires étrangères de l’O.C.D.E., à chacun des sommets annuels des sept pays les plus industrialisés. Et mon sentiment profond n’a pas varié. Je tiens à le redire devant vous : les destins du Nord et du Sud sont liés : il n’y a pas d’issue durable à la crise pour le Nord si le développement des pays du Sud n’est pas assuré. »
Des résultats faibles, des moyens insuffisants
Nombreux sont les pays qui ont reconnu avec nous l’urgence de l’organisation des marchés mondiaux, de l’augmentation des aides publiques, de la mise en oeuvre d’un développement moins dépendant et, bien sûr, de la lutte contre la faim. Or, aujourd’hui, dans tous ces domaines, les résultats restent faibles parce que les moyens sont insuffisants quand ils ne déclinent pas. La crise de l’endettement est telle qu’elle finit par absorber les ultimes énergies. La France – et elle n’est pas la seule – ne peut pas souscrire à une conduite de renoncement. Au cours de ces dernières années, la coopération entre les institutions financières internationales, entre les grands pays créanciers, les pays débiteurs, les banques, a sans doute permis d’éviter le pire. Et plusieurs pays très endettés ont vu s’améliorer leur situation au détriment de leur niveau de vie. Il reste que les grands problèmes demeurent. Et que celui de l’endettement, dont je parle, ne peut être résolu par les seuls rééchelonnements de la dette, même si ceux-ci couvrent plusieurs années. Les ajustements – indispensables au rétablissement des équilibres et à l’assainissement de l’économie – ne peuvent suffire. Ils ne peuvent garantir la reconstruction d’un potentiel productif, capable d’engendrer durablement des exportations et donc des recettes en devises nécessaires au paiement des charges de la dette. »
Ses analyses et ses propositions d’alors sont encore aujourd’hui d’une terrible actualité :
« Partout, au sein de l’Association Internationale pour le Développement, de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire International, de la Communauté Economique Européenne, nous plaidons pour un accroissement des ressources, pour le développement et pour une harmonisation entre les impératifs immédiats de l’équilibre et les nécessités à plus long terme du développement. Ainsi, nous suggérons que les prêts de la Banque Mondiale soient mieux adaptés aux besoins et nous plaidons vigoureusement en faveur d’une nouvelle allocation de droits de tirages spéciaux. La France aurait souhaité que, lors de la dernière assemblée du Fonds Monétaire et de la Banque Mondiale, qui s’est tenue à Washington le mois dernier, des progrès substantiels fussent accomplis en ce sens, et cela n’a pas été possible. Pourtant, l’augmentation des ressources de l’Association Internationale pour le Développement est indispensable si l’on veut maintenir le volume des prêts à très bas taux d’intérêt accordé aux pays les plus pauvres et notamment à ceux d’Afrique. Le refus de certains d’augmenter leur contribution a conduit à fixer les ressources à 9 milliards de dollars seulement, c’est-à-dire que la septième A.I.D. sera amputée du quart des ressources qui lui auraient été nécessaires.
Devant cet échec, j’ai demandé qu’au moins un Fonds Spécial pour l’Afrique soit mis en place. Ce continent, le plus déshérité, frappé par la sécheresse, s’enfonce de plus en plus dans le sous-développement. Mais il n’a pas été, là non plus, possible d’aboutir. La France est prête à constituer ce Fonds Spécial avec ceux des pays qui le voudront. En tout cas, elle a décidé, malgré son effort propre de rigueur budgétaire, d’y consacrer déjà plus de 500 millions de francs pour 1985. »
Une approche régionale ou sectorielle
Et cette fois, comme il le fera encore à de nombreuses reprises par la suite, il avance l’idée que certains problèmes seront mieux traités dans une approche régionale ou sectorielle qui seules permettraient aux partenaires locaux de faire entendre l’originalité de leurs voix et le caractère spécifique de leurs besoins.
« Je voudrais ainsi souligner clairement l’importance que nous attachons au renforcement des institutions multilatérales, au soutien de leur action, à la coordination de leurs interventions. Au moment où se dessine la nouvelle convention de Lomé, cadre d’une coopération exemplaire entre dix pays du nord et 64 pays du sud. »
Quand le 10 juillet 1987, il prend la parole à l’occasion de la VIIème Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement à Genève, l’économie mondiale subit des désordres partiellement engendrés par une mauvaise application des « accords de Plaza » signés par les membres du G5 (le G7 moins le Canada et l’Italie) en septembre 1985 pour intervenir sur le marché des changes afin d’organiser un repli du dollar. Pour enrayer la baisse de cette monnaie devenue excessive que ces accords ont enclenché, les pays du G6, rejoints par le Canada, ont signé à Paris les accords du Louvre, le 22 février 1987. Les échanges internationaux se développent dans un climat d’incertitudes qui atteint plus que les autres les économies des pays les plus pauvres. Ajoutons pour parfaire le tableau que nous ne sommes alors qu’à quelques mois de ce qu’on a appelé le « lundi noir », le grand krach boursier du 19 octobre 1987.
« Au moment en effet où s’aggrave la crise mondiale, où le chômage ne connaît pas ses limites, où la dette de nombreux pays atteint un niveau que l’on n’imaginait pas, aucun discours ne peut prétendre agir sur le réel, ne peut, dans l’immédiat, changer le cours des choses. Même si l’on peut douter de la volonté de la communauté internationale de saisir l’occasion de cette conférence pour lancer une offensive décisive contre le sous-développement, votre conférence cependant doit permettre d’accomplir des progrès substantiels pour les sujets traités, je veux dire pour le commerce et le développement. En effet, qui n’a pas espéré au sortir de la deuxième guerre mondiale que nous serions capables d’assurer la paix grâce à l’Organisation des Nations Unies ? et Dieu sait si j’en suis moi-même partisan, si je veux qu’elle soit encore mieux respectée, que l’ensemble des pays du monde qui participent, s’y rencontrent davantage. »
Les rendez-vous manqués
Qui n’a pas espéré que la croissance économique sans précédent, historique, que nous avons connue entraînerait les nations les plus pauvres, les peuples, les individus, irrésistiblement vers la prospérité ? Et pourtant des couches sociales toutes entières, sinon des continents, ont manqué jusqu’ici le rendez-vous du développement.
Qui n’a pas espéré que les ouvrages, les machines, les technologies, les universités, les systèmes d’information du Nord iraient partout jusqu’aux endroits les plus reculés du Sud et parviendraient à accroître la capacité de ce dernier – le Sud – pour produire davantage, pour savoir, pour s’organiser, puisque telle est la situation du monde ? (mes propos ne visant à rien le degré des cultures qui pour être différentes n’en sont pas moins aussi riches ici que là si les moyens matériels restent très inégaux). Or, quarante ans et plus encore nous démontrent qu’à quelques exceptions près, le fossé technologique augmente au lieu de diminuer entre les plus développés et ceux qui le sont moins.
Qui n’a pas espéré que seraient maîtrisées les variations erratiques des cours des matières premières ? Or, ces cours n’ont peut-être jamais été aussi faibles qu’aujourd’hui, au grand dommage des pays producteurs, sans bénéfices sensibles pour les consommateurs. (…)
Qui n’a pas espéré qu’en favorisant le commerce international, on favoriserait du même coup davantage ceux qui ont plus que ceux qui ont moins ? Paradoxe supplémentaire, les mesures protectionnistes passives ou actives n’ont cessé de se renforcer, frappant les pays semi-industrialisés du Sud tout en jouant un rôle négatif pour l’ensemble de l’économie mondiale.
Bref, au cours de ces cinq dernières années, pour m’en tenir là, les pays en voie de développement ont connu, à l’exception des pays asiatiques, une régression de leur produit par tête, et cette année le produit par tête de l’Afrique sub-saharienne – pour choisir un cas bien précis – sera inférieur de 13 % à ce qu’il était en 1980.
Une telle régression a deux conséquences, que vous voyez tout aussitôt : les besoins essentiels des populations les plus pauvres sont de moins en moins bien couverts et les pays où elles vivent ne peuvent pas se développer, ne peuvent même pas développer leurs investissements productifs. Combien sont incapables de consacrer 10 % d’un produit national brut déjà très faible à leurs investissements productifs ! Ce chiffre est inférieur à 5 %, voire même négatif dans certains des pays les moins avancés…
Autre facteur qui s’ajoute à ceux que je viens d’évoquer : la création de richesses, dont j’ai dit qu’elle était de moins en moins liée au développement industriel, mais qui l’est de plus en plus aux jeux financiers et aux jeux monétaires. Le mouvement des capitaux engendre plus de profit que l’industrie et le commerce. Aussi le département financier des entreprises devient-il plus important que les ateliers, que les chantiers, et les investissements productifs diminuent au bénéfice d’opérations financières dont il faut dire qu’elles sont souvent spéculatives.
Cette triple évolution pénalise le Sud tout en semblant favoriser le Nord qui se tromperait bien s’il pensait qu’au total ce profit serait pour lui durable. Le Sud, c’est vrai, riche de son sous-sol et de ses bras innombrables, n’a pas la capacité – sinon marginalement – de participer aux grandes manoeuvres des grandes places financières. Bref, plus qu’hier, tout risque de se passer hors de son champ d’influence.
Des «Nord» et des «Sud»
« Vous avez remarqué que j’ai déjà plusieurs fois employé les termes trop simples, qui ne recouvrent pas ma pensée : le Nord, le Sud. Faut-il encore dire le Nord et le Sud ?
Je suis le premier à juger l’insuffisance de ces termes. Il faut parler au pluriel. A l’intérieur des deux hémisphères, les situations sont très diverses : il existe plusieurs Nord et plusieurs Sud. Dans des instances comme celles-ci, parce qu’il y est question de commerce et de développement, apparaissent aussitôt des différences de situations qui appellent, par conséquent, des différences d’approches et des différences de réponses. Je crois pourtant qu’il faut, à des problèmes globaux, apporter des solutions globales : je veux dire des solutions d’ensemble aux problèmes communs aux pays du Sud. Ce qui est une façon d’aborder les problèmes du Nord.
Si nous n’y arrivions pas – pour préciser ma pensée, je le dis aux pays du Nord, à eux qui sont industrialisés dans le Nord et qui peuvent peser sur l’évolution économique du monde, c’est aussi – et ils ne savent pas assez – c’est aussi leur propre avenir qui est en cause, leur propre destin, ils risqueraient d’épuiser les propres sources de leurs richesses s’ils ne comprenaient que le monde est devenu une planète rétrécie et que les termes de l’échange engagent tout homme, toute femme, tout producteur, tout consommateur sur la terre. Si l’on n’y prenait garde, pardonnez-moi pourtant d’énoncer de telles évidences, mais quand ces évidences ne paraissent pas comprises il faut bien les répéter, c’est le monde tout entier qui sombre dans la crise. Tout ce qui change, tout ce qui changé quelque part dans le monde se répercute ailleurs en une traînée, une chaîne de réactions et d’adaptations successives. Et nul n’est à l’abri. Nous sommes dans une situation de solidarité obligée si nous ne voulons pas d’une solidarité voulue, désirée et choisie, une solidarité obligée..
Imaginez qu’un continent ou l’autre soit laissé en marge, réduit à sa misère et à ses désordres : qu’arrivera-t-il aux autres ? Car nous sommes tous – directement ou non – responsables du plus petit arpent de la terre vivante, luttant contre toutes les formes de désert, ceux de la nature comme ceux de l’esprit. Nous sommes responsables de notre biosphère atteinte par des pollutions de toutes sortes, de tout espace marin menacé par nous-mêmes, par l’homme, comme de l’homme – l’individu dans sa famille ou bien dans sa cité – le plus accablé, traqué par ce que vous savez, le cortège de la faim, de la misère et de la mort.
Alors que faire ? Faut-il baisser les bras – vous n’êtes pas là pour ça, au contraire – laisser jouer les lois du marché, organiser, comment dirai-je, subir, la loi de la jungle, se contenter d’être spectateur de conflits inéluctables ? Non, bien entendu. Alors il faut agir au plus profond des choses. Et le temps est venu depuis déjà… que de temps perdu !… Bref le temps est venu de mettre en place un système de règles, de penser à un effort concerté d’abord de ceux qui échappent aux pires dommages, à l’Ouest comme à l’Est, au Nord comme au Sud. (…) »
Une action internationale tenace
« Mais je me demande si ce qui manque le plus pour les mettre en oeuvre n’est pas la volonté politique, une volonté politique également partagée.
Une solution ou des solutions progressives dépendent d’une action internationale tenace. Alors il faut en parler. C’est ce que vous faites au cours de ces journées mais ce que l’on n’a pas assez fait dans le cours des années, du moins depuis longtemps – cinq ou six ans – j’y viendrai tout à l’heure.
Je crois utile à vos délibérations de suggérer un certain nombre d’orientations que j’exprime au nom de la France.
La première serait celle ci. Les pays riches en particulier, ceux qui disposent d’une certaine marge de manoeuvre grâce à leurs excédents commerciaux, devraient stimuler la croissance mondiale. Je pense à des pays dont j’admire les réussites et le caractère, comme le Japon. Je pense à l’Europe dont mon pays fait partie, aux organisations européennes qui prennent corps de plus en plus : ils devraient se lancer plus hardiment dans de grands projets porteurs de croissance. (…)
Deuxièmement, la mise en place d’un système monétaire international pour mieux stabiliser les taux de change, fixer à un niveau raisonnable les taux d’intérêt. Je me souviens que la France en a parlé – je crois qu’elle a été la première après les événements de 1971 – en 1982 lors d’un Sommet des Pays Industrialisés qui se tenait à Versailles, et depuis lors quelques progrès ont été réalisés dans cette voie. Ce que nous souhaitions dès 1982, c’était d’aller plus loin et de maintenir les principales monnaies à l’intérieur de zones de référence. On n’y est pas encore, mais la direction prise au cours d’un certain nombre de conférences qui se sont tenues, soit aux Etats-Unis d’Amérique, soit en France ou ailleurs, est la bonne. Les récents accords de Venise sont allés dans cette direction en réaffirmant la nécessité d’une surveillance et d’une coordination des économies industrialisées et en soulignant la grave menace que représentent les déficits budgétaires extérieurs des plus grands pays, non seulement pour eux-mêmes mais pour l’ensemble des pays sur la terre. Comment voulez-vous faire si en l’espace de quelques jours sont détruites les bases sur lesquelles étaient édifiés les plans de croissance des pays qui luttent contre la pauvreté, qui s’imposent déjà d’importants sacrifices et qui voient leurs efforts anéantis, simplement parce que tel taux d’intérêt reste inaccessible, attire les capitaux dans un seul endroit, alors qu’il les interdit aux pays moins avancés et même en voie de développement dont les efforts sont souvent remarquables ? Ils ne peuvent pas suivre la course. »
Combattre le protectionnisme
En troisième lieu, combattre le protectionnisme : mieux ouvrir le marché des pays riches aux produits des pays qui le sont moins.
Je sais bien que c’est une sorte de refrain que l’on chante sur toutes les tribunes internationales. Il m’arrive de dire à d’autres, y compris aux miens : du protectionnisme, nous en faisons tous ! On ne parviendra à réduire cette menace mortelle sur le commerce international, et particulièrement sur le développement que si l’on met tout sur la table. Il ne sert à rien de désigner celui-ci plutôt que celui-là.
Des comparaisons peuvent être faites – je suis en mesure de les faire à cette tribune : je ne les ferai pas, toujours par discrétion – pour montrer qu’en réalité le protectionnisme est ici plus hypocrite, mieux dissimulé, que là il est plus franc mais pas plus tendre. On peut faire une description de l’ensemble : vous parlez de l’Europe, vous parlez des Etats-Unis d’Amérique, vous parlez du Japon, enfin bref vous parlez de tout ceux qui pensent qu’il faudrait réduire les protections là où l’on veut vendre et accroître les siennes quand on doit acheter ; phénomène d’égoïsme bien connu mais qui n’est plus supportable longtemps. Des négociations sont engagées dans le cadre de ce que l’on appelle l’Uruguay Round. Elles ont précisément pour objet de combattre ce protectionnisme. Mais soyons clairs, le protectionnisme est partout. (…)
La mode est à l’agriculture. C’est vrai que cela intéresse au premier chef un certain nombre de grands pays beaucoup plus modestes, en développement, qui peuvent être ou qui sont déjà producteurs de céréales par exemple et qui voient se fermer les marchés extérieurs protégés par des hautes barrières. De la même façon, on voit, pour des raisons politiques, de politique intérieure, des catégories d’agriculteurs subventionnés pour supporter les concurrences mondiales et fausser les prix. Il existe des organisations – et je suis très fier d’appartenir à l’organisation de la Communauté Européenne – qui se sont fondées sur la nécessité d’agrandir leurs marchés à six, dix, onze, douze pays, tout en se protégeant d’une certaine façon à l’égard des autres. Tout doit être mis sur la table. On ne peut pas espérer parler de l’agriculture sans aussi parler de l’industrie et sans parler aussi – même si cela embarrasse un certain nombre des pays ici représentés – des services, sous prétexte d’avancer plus vite dans tel ou tel domaine. Lorsque l’on propose, c’est arrivé, de s’éloigner du programme de travail, accepté d’un commun accord lors de la Conférence de Punta Del Este et réaffirmé récemment encore à Venise, on ne fait que retarder le moment où les protections directes et indirectes seront démantelées. Je vous demande Mesdames et Messieurs, et je le demande à nos partenaires, hâtons le pas. La France y est prête et le souhaite. Elle est prête à faire son propre examen de conscience mais ne saurait évidemment s’engager sur ce terrain sans être assurée que les voies du commerce international lui seront ouvertes dans les mêmes conditions.
En quatrième lieu, agir pour stabiliser les cours des matières premières. Je sais comme vous-même qu’il y a débat sur ce point en raison de l’expérience vécue depuis vingt ans. C’est vrai que le problème se pose. Peut-on le résoudre ? Est-il même raisonnable de le rechercher ? En tout cas, je constaterai devant vous que, par exemple, les accords par produit : café, cacao, caoutchouc, intéressent un nombre important de pays parmi les plus pauvres. Continuons de les encourager. Il est souhaitable que l’on parvienne à réaliser, tout en tenant compte de l’évolution des réalités économiques, les objectifs du Programme Intégré pour les Produits de Base. Pourquoi ? Par exemple, c’est une suggestion, ne pas engager sans attendre davantage les actions prévues pour diversifier et valoriser les productions. Je n’invente rien. C’est déjà décidé, c’est déjà proposé, les plans sont parfaits, mais le reste ne suit pas. Pourquoi attendre ? Je pense à l’utilisation anticipée des ressources prévues au titre du «deuxième guichet» du Fonds Commun des Produits de Base.
Ce sont les termes qu’emploient les spécialistes, on n’y comprend souvent pas grand chose, il faut traduire plusieurs fois mais enfin on y arrive avec un peu d’application. En effet, il faut ajouter à la diversité des langues ici représentées, des langages codés de quelques spécialistes qui s’y complaisent pour garder le prestige de la spécialité. Il m’arrive même de constater dans mon propre Conseil des Ministres l’emploi de sigles et d’abréviations, dont quelques-unes sont assez connues, type O.N.U., alors que quelques autres atteignent un degré de raffinement qui fait que nul n’ose dire qu’il n’y a rien compris.
Et j’ai admiré le Ministre des Affaires étrangères d’Italie qui lors du dernier Sommet européen après une discussion de deux heures très savante – et ce Ministre des Affaires Etrangères, est l’un des hommes les plus cultivé que je connaisse – a dit : «Finalement vous avez beaucoup parlé mais moi je n’ai pas saisi un traître mot de ce qui a été dit». En cinquième point, la dette. Il me paraît de simple bon sens que les politiques financières telles qu’elles résultent d’accords entre les institutions internationales et les Etats ne remettent pas en cause le développement. Pour pouvoir investir, et il faut qu’ils investissent, les pays du Sud ont besoin d’apports nets en capitaux. Une dette est une dette, Mesdames et Messieurs, je m’exprime au nom d’un Etat créancier, une dette est une dette. Les pays endettés savent ce que vaut la créance de l’autre et l’engagement moral et pratique que représente une dette, et souvent le pays endetté doit lui-même se retourner en dedans de lui pour voir s’il ne peut pas davantage lutter contre sa bureaucratie, s’adapter davantage aux conditions modernes de la production, des échanges. Mais évitons de faire la leçon aux uns plutôt qu’aux autres. On a vu déjà dans l’histoire bancaire bien des prêteurs aménager leurs créances par simple prudence afin d’éviter de succomber avec leurs débiteurs, et je ne crois vraiment pas que nous ayons encore exploré toutes les voies dans cette direction.
Il faut être juste : les pays du Nord, directement ou par le canal des institutions internationales, ont déjà accompli un effort de transfert qui n’est pas négligeable, mais les résultats restent décevants.
A Venise, la France a mûri une proposition concernant la facilité d’ajustement structurel du Fonds monétaire international. Je retrouve sans m’en être aperçu le langage décrié il y a un moment, mais vous avez quand même compris : – en général, quand on dit ajuster, on veut dire augmenter – ajuster structurellement les moyens du Fonds Monétaire International, spécialement pour les pays les plus pauvres, les plus touchés par la baisse des matières premières. Eh bien, il devrait pouvoir aller vers le triplement dans les trois prochaines années. Neuf milliards de DTS, de droits de tirages spéciaux, seraient alors consacrés à des prêts qui pourraient être de 0,5 % à 10 ans, et dans ce contexte les banques commerciales pourraient accroître leurs prêts à ces pays, tandis que le capital de la Banque Mondiale serait lui-même augmenté dès que possible.
Un sixième et dernier point : le Sud a besoin d’une aide durable à long terme. J’ai été très satisfait de constater que la délégation française avait pu, dans la Conférence évoquée à Venise, obtenir de ses voisins les pays les plus riches, un engagement qui jusqu’alors avait été évité sinon dans les Assemblées Internationales, à l’égard du Tiers Monde : pour la première fois dans cette instance – instance décisive – a été affirmé et écrit, à la demande de mon pays, l’objectif de porter l’aide publique au développement à 0,7 % du produit national brut. Il faut maintenant le réaliser dans des délais raisonnables. Parmi les sept pays qui se trouvaient là, j’avais, il faut le dire, fierté, mais fierté modeste, de constater que la France était le premier des Sept, tout en considérant que cet effort devait être poursuivi; ne devait pas fléchir comme on pouvait le craindre afin d’atteindre les 0,7 % en peu d’années. Nous étions en 1981 à un peu moins de 0,3 %, niveau où en sont encore des pays comme les Etats-Unis d’Amérique ou le Japon qui sont simplement à un peu plus de 0,2. Pour la première fois, ils ont consenti à reconnaître l’objectif déjà proclamé par les institutions internationales.
J’ai une certaine réserve, je dois le dire, à l’égard de certaines politiques d’aide urgente lorsqu’elles tendent à confondre ce qu’il convient de faire dans des situations particulières de famine et ce qu’il convient de faire dans des politiques durables. Bien entendu, lorsqu’une personne ou une population se trouve en péril, le devoir d’assistance s’impose, et un certain nombre de pays n’y manquent pas en apportant le concours de surplus agricoles lorsque c’est nécessaire. Mais il ne faut pas confondre cette intervention immédiate avec les politiques durables.(…)
De tout cela, il faudra reparler. Je parviens au terme de mon exposé qui a déjà suffisamment duré. Je voudrais simplement dire ceci : la France est prête à accueillir en 1990, par exemple la Conférence destinée à examiner l’état de la réalisation du Nouveau Programme Substantiel d’Action pour les Pays les moins avancés.
Je pense – et je le dis en ma qualité de Président de la République Française – qu’il serait utile que l’on participât à toute réunion qui rassemblerait dirigeants du Nord et du Sud – et au plus haut niveau – sur de tels sujets, cela fait trop longtemps que l’on n’a pas parlé.
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs, je ne prétends pas avoir apporté ici une solution miracle. Il n’en existe pas aux problèmes que vous allez étudier. Mais il existe, ou il peut exister, une volonté continue, une analyse claire et une certaine audace pour briser les conventions, pour dépasser des intérêts souvent mal compris par ceux qui se refusent à pratiquer la solidarité. »
Il est une idée qui revient souvent dans les discours de François Mitterrand, c’est celle que la France était en mesure de porter au monde le langage de l’universalité et que cette légitimité lui était acquise par l’expérience politique et sociale unique qu’a été la Révolution de 1789.
Cette idée traverse par exemple, tout le discours (dit de Cancun) qu’il prononce lors de son voyage officiel au Mexique les 19, 20 et 21 octobre 1981.
« Aux fils de la Révolution mexicaine, j’apporte le salut fraternel des fils de la Révolution française. Ni le Mexique, ni la France ne peuvent se détourner des sources vives de leur passé révolutionnaire sans se renier et, à terme, sans se scléroser. Adultes, maîtres d’eux-mêmes, en pleine ascension, nos deux pays n’ont pas seulement pour mission de faire entrer des principes dans la vie, chez eux, mais de les faire connaître partout où ils sont bafoués.(…) Chacun admet que votre pays se distingue, dans le contexte qui est le sien, par deux traits remarquables : la stabilité politique et l’élan économique. Si l’on y regarde de près, ces deux mérites qui vous honorent sont porteurs de messages qui intéressent le monde entier et, en particulier, je crois, le continent américain.
Le premier message est simple mais, apparemment, il n’est pas encore entendu partout. Il dit ceci : Il n’y a et ne peut y avoir de stabilité politique sans justice sociale. Et quand les inégalités, les injustices ou les retards d’une société dépassent la mesure, il n’y a pas d’ordre établi, pour répressif qu’il soit, qui puisse résister au soulèvement de la vie. (…) Le second message du Mexique, à valeur universelle, je l’énoncerai volontiers ainsi : il n’y a pas de développement économique véritable sans la préservation d’une identité nationale, d’une culture originale. Le Mexique a fondu dans son creuset trois cultures et leur synthèse a donné à votre pays la capacité de rester lui-même. (…) Mais nos héritages spirituels, plus vivants que jamais, nous font obligation d’agir dans le monde avec un esprit de responsabilité. Chaque nation est, en un sens, son propre monde : il n’y a pas de grands ou de petits pays, mais des pays également souverains, et chacun mérite un égal respect. Appliquons à tous la même règle, le même droit : non ingérence, libre détermination des peuples, solution pacifique des conflits, nouvel ordre international. De ces maîtres-mots qui nous sont communs, la France et le Mexique ont récemment tiré la conséquence logique. Je veux parler du Salvador. »
Ce discours est effectivement accompagné d’une initiative sans précédent concernant ce pays. Au moment de cette prise de parole, cela fait plusieurs années que celui-ci subit une guerre civile qui met aux prises forces gouvernementales et guérilla. Par ailleurs, au Nicaragua, les sandinistes, d’obédience marxiste, sont au pouvoir après le renversement en 1979 du dictateur Somoza. Ronald Reagan, qui vient d’être élu, entend mettre fin par la force à ces « expériences subversives ». Le Mexique craint que Washington, avec ce type d’initiative, mette à feu toute la région. Des contacts franco-mexicains se sont multipliés sur ce sujet. Ils aboutissent, le 28 août 1981, à la remise en commun au Président du Conseil de Sécurité de l’ONU d’une déclaration qui reconnaît les diverses composantes de l’opposition armée salvadorienne comme « forces politiques représentatives » et estime qu’il serait « légitime que la gauche salvadorienne participe à la solution politique de la crise ». Première intervention d’un Etat européen dans les affaires inter-américaines depuis la doctrine Monroe, cette déclaration prend de court et irrite profondément Washington.
On retrouve cette référence à la Révolution française dans de nombreuses occasions. Par exemple, devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 29 septembre 1988. En conclusion du discours qu’il prononce sur le désarmement – plaidant pour une réduction prioritaire des armes conventionnelles – sur l’évolution des conflits régionaux et, aussi, sur les déséquilibres dont souffre le tiers-monde, « pires que la guerre », il évoque les principes qui ont fondé la République française :« Il y a deux siècles, la France a entrepris une révolution, sa révolution, qui a marqué le cours de l’Histoire. Elle a, de la sorte, pris rang dans la bataille jamais gagnée et toujours nécessaire pour plus de liberté, d’égalité et de fraternité. Au moment où nous nous apprêtons à fêter ce Bicentenaire, déclare-t-il, défendons donc plus que jamais les Droits de l’Homme, des plus anciennement reconnus aux plus nouveaux Droits de l’homme, droits des peuples, droits de l’humanité. »
Dix mois plus tard, il réunira sur le Parvis des Libertés et des Droits de l’homme, pour la célébration du Bicentenaire de la Révolution, une trentaine de Chefs d’Etat et de gouvernement, avec au premier rang George Bush, Helmut Kohl, Margaret Thatcher, la Philippine Cori Aquino, l’Indien Rajiv Ghandi, l’Egyptien Hosni Moubarak ou le Canadien Mulronney.