Dans les leçons d’Histoire léguées par F. Mitterrand, je retiens la force des valeurs qui restent puissamment d’actualité nous permettant de nous mobiliser pour l’avenir.
La première de ces leçons, c’est la volonté de porter l’espoir. Ne disait-il pas dans sa déclaration d’investiture : « il n’y a qu’un vainqueur le 10 mai, c’est l’espoir ». Porteur d’espoir, il l’était pour ces jeunes et ces ouvriers, pour ces cadres moyens et ces employés qui avaient majoritairement voté pour lui. Il avait eu raison de tenir bon et de garder son cap sans jamais douter que l’histoire est aussi ce que la volonté en fait.
Au soir de sa vie, en 1994, c’était encore le message qu’il adressait aux socialistes réunis à Liévin : « La victoire vous ne la rencontrerez que si vous la forcez. C’est une affaire de volonté, de continuité et de clarté d’esprit dans la fidélité aux engagements. La chance, c’est vous qui la forgerez de vos mains ».
La seconde, c’est la fidélité à des valeurs solidement ancrées. Pour qu’advienne ce 10 mai, il fallut d’abord à F. Mitterrand l’audace de croire aux chances de la gauche quand elle était au plus bas et de rebâtir un nouveau Parti Socialiste en phase avec son temps. Il a fallu vouloir avec la même détermination les socialistes unis et toute la gauche unie. Il lui fallut affronter la calomnie et, avec elle, l’épreuve de la solitude. Il lui fallut l’ample vision et la fidélité à quelques idées forces pour triompher de l’adversité et ouvrir un nouveau chemin : une ambition pour la France, le souci de son indépendance, un engagement européen enraciné dans l’expérience de la guerre, l’intelligence des bouleversements du monde, un socialisme de liberté et de justice sociale.
La troisième leçon, c’est le courage. De la jeunesse à la vieillesse, il fut un homme de courage : dans les évasions, obstinément recommencées jusqu’à la réussite, dans la Résistance, dans le combat politique. Courage pour l’abolition de la peine de mort. Courage face à la maladie. Courage d’évoquer au Kremlin les dissidents emprisonnés et à la Knesset le droit des Palestiniens à un Etat.
La quatrième leçon, c’est l’amour de la France : « On ne peut rien faire avec la France, disait F. Mitterrand, si on ne la connaît pas ». Il ne fut jamais de ceux qui attisent les peurs. Il préférait en appeler « à la part noble, à la part fraternelle, à la part généreuse que le peuple français porte en lui ». Il rappelait souvent que la France n’est jamais aussi grande, entendue, respectée que lorsqu’elle porte un message universel et y conforme ses actes.
La cinquième leçon : il fut l’artisan inlassable de libertés nouvelles : une extension sans précédent des libertés publiques, un défenseur sourcilleux de l’équilibre de nos institutions, des grandes lois de décentralisation, un gardien de la séparation des pouvoirs, bien éloignée de leur actuelle confusion.
La sixième leçon, c’est le soutien à un défectible combat des femmes et au droit à l’égalité. Il nomma, en mai 81, la première femme Ministre d’Etat puis, plus tard, la première femme chef de gouvernement. Je sais d’expérience combien lui était étrangère l’idée qu’une femme fût moins capable qu’un homme.
La septième leçon : F. Mitterrand avait de la tenue, de l’allure et du charisme dans l’exercice du pouvoir. Il avait le trait parfois féroce mais uniquement contre les puissants. En revanche, il détestait les vulgarités de langage, les familiarités déplacées, le laisser-aller. Il avait le même charisme lorsqu’il s’adressait à un paysan de la Nièvre ou du Salon de l’agriculture que sur la scène internationale.
Huitième leçon, il fut écologiste avant l’heure. Et cela non plus n’était pas commun pour un homme de sa génération et pour un socialiste d’alors. Etait-ce parce qu’il était familier d’une nature qu’il aimait passionnément contempler ? Pour sauver le Marais Poitevin d’une autoroute destructrice, il fit de la protection et du développement de cette « Venise verte », la cathédrale de verdure, seul projet rural inscrit au nom des grands travaux présidentiels.
La neuvième leçon, c’est celle d’un F. Mitterrand visionnaire mais lucide. On sait avec quelle détermination inflexible, il a relancé la construction d’une Europe qu’il avait trouvée quasi-paralysée. Sa ferveur européenne ne l’a jamais aveuglé. Il avait une conscience vive, très vive de ce qui risquait d’advenir si l’Europe échouait à protéger les siens et à peser dans le monde. Une Europe déséquilibrée, livrée aux marchés sans être suffisamment politique et maîtresse de ses choix, trop timorée en matière de progrès social et de protection due à ses peuples, s’exposerait, disait-il de manière prémonitoire, à ce que « les travailleurs détournent la tête et leurs regards absents livrent la Communauté à la solitude des mourants ». Nous y sommes, c’est dire le combat européen qui nous avons à construire.
La dixième leçon de F. Mitterrand, c’est donner du temps au temps. Il disait que l’Histoire n’est pas toujours au rendez-vous : il lui arrive de prendre son temps, de faire faux bond aux impatients, mais aussi de surprendre ceux qui ne l’attendaient pas. Il y excellait à savoir laisser le temps au temps sans perdre de vue l’objectif, mais aussi à savoir empoigner l’événement quand il permet d’accélérer le mouvement pour assurer la transformation de ce qui doit l’être pour améliorer la vie quotidienne des Français, pour renforcer la puissance de la France et c’est cela le cœur et la raison de l’action politique.