La crise que va connaître la France de 1981 à 1984 à propos de l’école vient de loin. En 1972, une année donc après le congrès d’Epinay, le Parti socialiste rend public son programme de politique générale. Intitulé « Changer la vie », il consacre un chapitre à l’école et y annonce « une école au service du peuple ».
Dans le prolongement des positions défendues par la SFIO, faisant écho aux revendications de son allié le CNAL, le PS affiche alors que « les socialistes entendent créer un grand service public laïque et gratuit d’enseignement, d’éducation permanente et de formation professionnelle, géré à tous les niveaux par les pouvoirs publics, les représentants du personnel, les représentants des usagers. » Et pour bien enfoncer le clou, il y précise que « ceci implique qu’il doit être procédé à la nationalisation de l’enseignement. Tous les établissements scolaires (ayant reçu ou non des fonds publics) seront intégrés. »
Avec un tel programme, un pas semble franchi dans une direction qui déborde celle qu’envisageait précédemment la Convention des institutions républicaines et son leader François Mitterrand.
Laïcité et pluralisme
Celui-ci redoutait en effet, dès 1965, que la décision prise alors de financer le privé n’entraîne la gauche, de façon mécanique, sous la pression des milieux laïques, à en réclamer la nationalisation. C’est cette prévention profondément ancrée et argumentée aussi souvent que nécessaire, qui avait inspiré le Contrat socialiste élaboré par la Convention des institutions républicaines. On y proposait en effet, en même temps que l’abrogation de la loi Debré, « une grande université laïque » dans laquelle seraient intégrés les personnels et les établissements ayant reçu des fonds publics. Cette orientation se distinguait nettement de celle qui prévalait alors dans les milieux militants laïcs, du CNAL en particulier, dans la mesure où elle prévoyait que cette grande université laïque serait « pluraliste », permettant « à toutes les familles spirituelles de coexister, dans le respect des consciences ».
En affichant pour objectif la nationalisation, le programme du PS semble franchir un palier décisif, quand bien même il précise que « les objectifs et les structures de l’enseignement laïque garantiront son ouverture à toutes les familles spirituelles dans le respect de la liberté de conscience. » Cette formule, reprise du programme de la Convention des institutions républicaines, marque plus qu’une nuance: le service public sera certes nationalisé mais il sera pluraliste.
Dans l’ambiance d’exacerbation provoquée par la décision de Georges Pompidou de prolonger un des aspects provisoires de la loi Debré (les contrats simples plus favorables que les contrats d’association sont reconduits), ce distinguo n’est guère perçu à gauche.
Dans un même élan, dès le mois de mai 1972, au cours d’un colloque sur le thème « une autre politique d’éducation », l’ensemble des participants (dont le PS) adoptent un texte dans lequel ils s’engagent à tout mettre en oeuvre pour aboutir à la nationalisation. Et deux mois plus tard, le programme commun de gouvernement des socialistes, communistes et radicaux, affirme que « tous les secteurs de l’enseignement initial et une part importante de l’Education permanente seront réunis dans un service public unique et laïque dépendant du ministère de l’Education nationale. » Ce texte est en retrait par rapport aux positions du CNAL et au programme du PS puisqu’il ne s’engage à nationaliser, en quatre années, que les établissements ayant reçu des fonds publics et précise qu’ils ne seront nationalisés « qu’en règle générale », ce qui signifie que des accommodements demeurent possibles. Cette réserve, pourtant importante, passe relativement inaperçue, les uns et les autres mettant derrière le mot « nationalisation », puisque le vocable est désormais solidement installé, ce qu’ils souhaitent le plus entendre.
Au confluent de deux traditions
En 1974, candidat à l’élection présidentielle, François Mitterrand continue à souligner les nuances du texte sur lequel se sont engagées les formations politiques rassemblées autour de lui. Il s’engage à « garantir partout la liberté de pensée et de pratique religieuse en donnant à cette liberté les moyens de s’exprimer. » Dans une interview au journal « La Croix », il précise que « la définition que donne le programme commun de la nationalisation (…) n’est en aucune manière de nature à inquiéter les chrétiens. » Tout au long de cette campagne, le candidat François Mitterrand en appelle explicitement aux deux grandes traditions auxquelles il est attaché : il s’affirme laïque, « esprit libre » en même temps que profondément respectueux de ceux qui ont la foi. En fait, le thème de l’éducation est relativement peu abordé tout au long des débats, ni à droite, ni à gauche. Il n’apparaît pas alors comme un enjeu central.
Il faut en fait attendre 1976 pour que cette question de « l’école » revienne avec force devant l’opinion publique. La préparation confiée à Louis Mexandeau et Roger Quillot d’un projet de plan socialiste pour l’éducation fournit l’occasion à certains milieux de droite de relancer et d’amplifier la polémique. Le document préparatoire au débat qu’ils ont élaboré n’a pas encore été soumis au parti qu’il se retrouve, par fuites, abondamment cité et commenté dans la presse. Celle-ci le présente, non comme ce qu’il est, un projet qui doit encore être discuté par le PS, mais comme le plan qu’appliqueraient les socialistes s’ils arrivaient au pouvoir. Relayée et alimentée par la puissante Union nationale des associations de parents d’élèves de l’école libre (UNAPEL), l a campagne prend immédiatement de l’importance. Même s’ils se montrent plus modérés, l’épiscopat et le secrétariat général de l’enseignement catholique entre également dans ce jeu. Le projet de nationalisation est interprété et déformé. L’amalgame est fait sans vergogne par quelques uns avec le programme de nationalisation d’un certain nombre d’entreprises. Le PS et, au premier rang, François Mitterrand sont accusés d’avoir l’intention de s’attaquer à la religion elle-même. Selon ses détracteurs, il s’agirait d’une remise en cause des « valeurs fondamentales humaines et spirituelles. » Blessé, celui-ci réagit dans un article confié à « L’Unité ». Il y récuse « toute idée d’école officielle ». Il y réaffirme sa conviction « que le pluralisme des idées, des croyances, des cultures, des ethnies, que le droit à la différence peuvent et doivent s’exercer au sein du service public d’éducation. » Pour lui, la liberté d’enseignement n’est pas nécessairement liée à deux écoles vivant en parallèle, financées par l’Etat, dont l’une serait orientée à droite et l’autre considérée comme de gauche. Il décèle même un danger dans la persistance de cette situation. Il précise que la nationalisation envisagée ne sera pas imposée mais négociée. Et il conclut : « J’ai dit (…) qu’il n’était ni possible ni concevable de nationaliser les esprits. J’en reste là. »
Tout est dit et redit dans cet article de ce qui avait toujours été la conviction de François Mitterrand et qui allait le demeurer par la suite.
Loi Guermeur : la bataille politique
Il n’empêche. La campagne politique, abondamment reprise dans la presse, se poursuit avec virulence, tandis qu’au parlement la droite commence à préparer ce qui sera la loi Guermeur. Son objectif principal : accroître l’autonomie de l’enseignement privé pour rendre plus difficile la nationalisation au cas où la gauche parviendrait au pouvoir.
Jusque là encore prudent et circonspect, le secrétariat général de l’enseignement catholique publie alors un ouvrage dans lequel il accuse François Mitterrand de vouloir attenter à une liberté des plus précieuses, d’avoir pour projet d’étatiser et d’instaurer un monopole. Mises au point et communiqués du PS n’y changent rien. Les appels au dialogue restent vains. L’UNAPEL, encouragée par la confusion ainsi créée, se dévoile complètement : « Nous sommes engagés dans la bataille politique, déclare alors son président, avec toute la force de notre mouvement de huit cent mille adhérents. »
Les décrets de la loi Guermeur sont publiés avec une rare rapidité. Il s’agit de donner à cette loi ses outils d’application avant les élections législatives de 1978, échéance que redoute la droite. Les syndicats manifestent leur hostilité avec force, la FEN allant jusqu’à démissionner du conseil supérieur de l’Education nationale. L’UNAPEL multiplie déclarations et réunions appelant à « choisir la liberté » et à faire barrage à la gauche aux législatives que celle-ci perd effectivement, contre toute attente. Pour l’essentiel, ce scrutin se sera joué autour de la « querelle scolaire ».
Désormais, sur ce terrain, jusqu’en 1981, deux camps sont en présence qui se surveillent et n’entendent pas désarmer.
Négociation, sans spoliation ni monopole
A la fin du mois de janvier 1981, dans les 110 propositions du programme du candidat à l’élection présidentielle le terme de « nationalisation » est abandonné. La proposition 90 de ce programme annonce : « Un grand service public, unifié et laïque de l’Education nationale sera constitué. Sa mise en place sera négociée sans spoliation ni monopole. Les contrats d’association d’établissements privés, conclus par les municipalités, seront respectés. Des conseils de gestion démocratiques seront créés aux différents niveaux. »
C’est cet objectif que défendra François Mitterrand tout au long de sa campagne. Le sujet est des plus sensibles, ce qui explique la fréquence de ses interventions sur ce sujet. En février 1981, lors des Assises de la laïcité organisées par le Grand Orient de France, il développe ce qu’est sa conception de la laïcité : « La première loi de l’esprit laïque, c’est la refus d’être soumis à la pensée d’autrui.(…) Libre débat, discussion, cela suppose d’abord une conquête, résister, être d’abord soi-même…..La seconde loi : si je refuse d’être soumis à la pensée d’autrui…j’entends respecter tout autant la liberté des autres. Résistance et tolérance. Voilà les deux maîtres mots. (…) Nous pensons que c’est un des points importants de la politique française que de parvenir à réconcilier au sein d’un grand service national public de l’Education nationale les formes d’esprit les plus diverses qui devront être également respectées. Qu’on ne traduise pas ces propos en disant que nous entendons que ce grand service public de l’Education nationale s’érige en monopole. »
Le 15 mars suivant, François Mitterrand présente, lors d’une réunion à Evry, « dix propositions pour l’école » dont l’une reprend, dans les mêmes termes, celle qu’il avait déjà faite au mois de janvier précédent. Dès le lendemain, le camp catholique attaque et entre à nouveau, comme en 1978, dans la bataille électorale. Le secrétaire général de l’enseignement catholique n’hésite pas déformer la proposition du candidat socialiste en déclarant que François Mitterrand a l’intention « d’étatiser l’enseignement privé ». Et, à partir de ce jour, comme lors des précédents rendezvous électoraux, tout est mis en branle pour entretenir un climat d’inquiétude de façon à détourner les parents d’élèves de l’enseignement privé et l’ensemble de la communauté catholique du candidat socialiste.
L’unité nationale
François Mitterrand est élu le 10 mai 1981 et dispose, dans la foulée, d’une majorité très importante à l’Assemblée nationale. Face à une droite anesthésiée par sa défaite, il bénéficie d’une large marge de manoeuvre que quelques-uns, à gauche, aimeraient le voir utiliser pour brusquer les choses sur ce dossier brûlant. Conformément aux engagements qu’il a pris, ce ne sera pas sa méthode. Il est vrai qu’il y a d’autres problèmes plus importants, en particulier dans le domaine de l’économie et des finances, auxquels il convient de faire face sans tarder. En nommant Alain Savary réputé fin négociateur, et non Louis Mexandeau, comme ministre de l’Education nationale François Mitterrand marque, pour ceux qui n’auraient pas voulu le comprendre, son intention d’aboutir avec l’assentiment des parties concernées. Comme promis ce dossier sera donc traité par la négociation et celle-ci durera tout le temps nécessaire pour aboutir sans contraindre.
Aussitôt en fonction, Alain Savary, fidèle a sa réputation, entreprend de consulter, à tous les horizons, ceux qui peuvent être concernés. Dans une conférence de presse, le 24 septembre 1981, François Mitterrand précise les contours exacts du dossier tel qu’il entend le voir traiter par le gouvernement : « Mon devoir à moi, et celui du gouvernement est de veiller à ce que soit préservée l’unité nationale. Certain d’entre nous pensent que l’unité nationale sera d’autant mieux servie qu’un grand service de l’Education nationale laïque réunifié aura été bâti. Mais on ne construira pas cette unité en commençant par la défaire. Voilà pourquoi la démarche que je préconise est celle de la négociation fraternelle, le mot »fraternel » étant là comme un sorte de défi aux passions qui s’opposent. » En choisissant cette position, François Mitterrand ne peut ignorer qu’il permet aux catholiques de refuser le projet qui viendra à l’issue des négociations s’il leur paraît inacceptable. Pour bien faire comprendre ses intentions, il réaffirme à monseigneur Vilnet, président de la conférence épiscopale, le 9 novembre 1981 : « Il n’est pas question de toucher à l’originalité statutaire de l’enseignement privé. »
Une année durant, jusqu’au milieu de l’été 1982, Alain Savary ne cesse de consulter, d’écouter, de peser les positions des antagonistes. Pour faire pression, chacun des deux camps se lance dans des démonstrations de force. Ainsi, à l’appel des catholiques, 100 000 manifestants sont dans la rue à Paris le 24 avril 1982. Puis, le 9 mai suivant, ce sont les laïques qui rassemblent près de 200 000 personnes au Bourget pour la célébration du « centenaire des lois laïques ».
Trois mois plus tard, le 4 août, Alain Savary présente au Conseil des ministres les grandes lignes de ce qu’il propose de soumettre à la négociation. François Mitterrand décide alors que le communiqué qui sera rendu public à l’issue du Conseil ne retiendra pas l’expression « grand service public unifié et laïque ». Ce communiqué précise ce sur quoi s’engage désormais le gouvernement, à savoir une adaptation de la législation dans quatre domaines : la carte scolaire (c’est-à-dire les conditions fixées pour les ouvertures et fermetures de classes qui sont différentes pour le public et le privé), le statut des enseignants, le caractère des établissements (qui est laïque dans le public mais « propre » dans le privé), les activités éducatives qui prolongent l’enseignement au sens strict. A ce point, tout devrait être désormais clair, si cela ne l’avait pas été déjà : il n’est question ni de nationalisation ni d’intégration de l’enseignement privé dans le secteur public. Alain Savary l’a parfaitement compris qui va s’atteler, par la voie de la négociation, à l’élaboration de propositions pour un rapprochement des modes de gestion du public et du privé.
Rassurés, les dirigeants catholiques acceptent alors de discuter de ces quatre grandes orientations.
Dans le respect des consciences
Les rencontres qui suivent avec les responsables des deux bords permettent à Alain Savary d’afficher des propositions dés le mois de décembre 1982. Pour rapprocher les modes de gestion des deux secteurs, sans minorer l’un ou l’autre, il avance plusieurs innovations dont les plus marquantes sont la titularisation dans la fonction publique des enseignants du privé qui le souhaiteraient et la création d’ « établissement d’intérêt public ». Cette structure nouvelle permettrait le regroupement, chacun conservant son identité, des établissements privés, des établissements publics et des collectivités territoriales pour définir en commun des règles de gestion des affaires scolaires.
Sans attendre, les catholiques font connaître leur désaccord avec ces propositions qui, selon eux, conduiraient à « une mainmise de la puissance publique sur l’ensemble de la vie scolaire des écoles catholiques. » Alain Savary annonce alors au Conseil des ministres qu’il va reprendre les négociations. En fait, aucuns des deux camps n’est satisfait de ce qui a été mis sur la table.
Le 2 janvier 1983, de sa maison de Latché, François Mitterrand, interviewé par Antenne 2, tente de rassurer les uns et les autres : l’enseignement privé continuera d’exister mais il est normal que l’Etat se donne la capacité de contrôler l’usage des fonds qu’il lui attribue. Il insiste sur le fait que sa philosophie consiste à n’imposer aucune contrainte et à « respecter les consciences. »
Rien n’y fait. En février 1983, une pétition catholique, avec un million et demi de signatures, réclame au Président de la République que soient respectées « les conditions de la liberté effective de l’enseignement ». En dépit de cela, Alain Savary parvient à renouer les fils du dialogue avec eux mais il écrit, le 11 avril, à François Mitterrand que, s’il a le sentiment que ceux-ci ont une réelle volonté de parvenir à un accord, il s’inquiète de l’attitude des laïcs.
Deux nouveaux conflits viennent détériorer un peu plus un climat déjà très lourd. Tout d’abord, au cours de l’été 1983, quelques chambres régionales des comptes, saisies par les établissements scolaires privés, concluent que les villes ont le devoir de financer les frais de fonctionnement de ces établissements et recommandent aux préfets de les y inciter. Cette injonction met en ébullition les municipalités gérées par la gauche. Peu après, à l’automne, les députés décident d’inscrire au budget de l’Etat les crédits qui permettront de titulariser quinze mille enseignants du privé. Cette fois ce sont les élus de droite et les catholiques qui sont irrités.
Au cours de cette période, Alain Savary ne cesse de réécrire, selon les recommandations de François Mitterrand, son projet de nouvelles propositions : « Ne pas essayer de concilier l’inconciliable. Avancer pas à pas, pratiquement », telles sont les recommandations données au ministre. Un texte est enfin rendu public le 19 octobre 1983 tandis que les esprits continuent à s’échauffer. Il a le mérite d’inverser la perspective en se donnant pour axe principal la rénovation de l’enseignement, tant public que privé, avec des établissements plus autonomes chargés d’élaborer des projets d’éducation adaptés à leur population scolaire, la redéfinition du statut de l’enseignement privé venant s’inscrire dans cette évolution générale. Cette nouvelle mouture est refusée par les deux antagonistes. Les manifestations, à l’initiative des deux camps, se succèdent dans les villes de province.
Le compromis impossible
François Mitterrand est alors persuadé que son ministre n’a plus de solution par la recherche d’un compromis, qu’il va donc falloir trancher sans rechercher l’assentiment de tous.
Dans le camp laïque, la période est aux déclarations sans trop de nuances. Au congrès du PS, c’est Jean-Pierre Chevènement qui déclare : « La négociation, oui ! Le pragmatisme, oui ! La paix scolaire, oui ! Mais pas sur les décombres de nos convictions. » Lionel Jospin, Premier secrétaire du parti, manifeste son inquiétude : « Continuer à convaincre les autres, les représentants de l’école privée, pourquoi pas ? Mais risquer de perdre les nôtres en chemin, alors sûrement pas ». Mais le Président n’a pas l’intention de céder à la radicalisation réclamée par le camp laïque et il le dit à Mgr Vilnet, président de la conférence épiscopale. « Nous allons laisser se dérouler le jeu logique des interventions du ministère, du Parlement. (…) Comptez sur moi, je veille. »
Le Premier ministre, Pierre Mauroy, annonce alors que le gouvernement va prendre ses responsabilités et préparer un projet de loi à soumettre au Parlement au printemps 1984. Ce projet, porté à la connaissance des parties intéressées, semblent pouvoir être accepté par les uns et les autres, sauf sur deux points. Le premier qui prévoit l’obligation pour les communes de financer les écoles privées, est rejeté par les laïques, le second qui décide de la titularisation des maîtres du privé, est repoussé par les catholiques.
Ceux-ci, conscients que le débat parlementaire ne leur permettra pas de bloquer ce point, réagissent en organisant une série de manifestations en province, puis aux portes de Paris, à Versailles, où le 4 mars défilent plus de huit cent mille personnes. Le thème principal scandé et affiché tout au long du cortège est la mise en accusation de liberticide. François Mitterrand qui a le sentiment d’avoir agi pour garantir la liberté de l’enseignement, d’avoir tout fait pour que la sérénité conduise aux décisions en est blessé.
Le 18 avril 1984, le projet de loi relatif aux rapports entre l’Etat, les communes, les départements les régions et les établissements d’enseignement privé est adopté en Conseil des ministres. Il donne satisfaction aux tenants du privé sur deux points : respect du caractère propre de leurs écoles et obligation de financement des écoles sous contrat par les collectivités locales. En contrepartie, l’Etat programme la titularisation progressive et volontaire des maîtres du privé. La recherche laborieuse d’un équilibre entre les deux pôles n’aboutit finalement qu’à ce que « Le Monde » qualifie alors « d’équilibre des frustrations, d’équité dans l’insatisfaction ».
Le 24 mai, le texte est adopté en première lecture avec, entre autres, deux amendements majeurs. L’un introduit la possibilité de titularisation pour tous les maîtres de l’enseignement privé à l’issue d’une période de six ans d’application de la loi. L’autre établit un lien entre l’obligation de financement des communes et la titularisation. Un mois plus tard, 1 300 000 personnes manifestent à Paris à l’appel des catholiques.
Un référendum ?
Le 29 juin, le sénateur Charles Pasqua dépose une motion demandant au président de la République d’organiser un référendum sur le projet Savary. Le calcul est limpide : le Président de la République ne pourra refuser aux Français de s’exprimer sur un sujet qui les passionne et il se fera brutalement désavouer par un « non » massif comme l’indique alors l’ensemble des sondages. Le 5 juillet, le Sénat adopte cette motion. Le débat change alors de nature et de terrain. Il se transporte sur le champ constitutionnel : est-il possible de faire un référendum sur la question scolaire ?
Le Président estime qu’un référendum sur l’école est inenvisageable puisque l’article 11 de la Constitution limite les cas où un référendum est autorisé. Donc, pour organiser celui-ci, il faudrait d’abord modifier la Constitution, et ce par voie référendaire, pour obtenir que soit ajouter à cet article la possibilité d’organiser un référendum sur des questions sociales.
Le 12 juillet, à vingt heures, François Mitterrand annonce dans une déclaration radiotélévisée : « Le moment est venu d’engager la réforme constitutionnelle qui permettra au Président de la République de consulter les Français sur les grandes questions que sont les libertés publiques (…). C’est pourquoi le Parlement sera saisi d’un projet en vue de réviser l’article 11 (…). De son côté, le gouvernement déposera un nouveau projet de loi sur la question scolaire. »
Dans la presse cette déclaration est accueillie de façon positive. Les catholiques se disent rassurés. Les laïques ne se manifestent guère. Dans son allocution du 14 juillet, le Président confirme le retrait du projet Savary. Celui-ci, se sentant désavoué, décide de démissionner et l’annonce le 17 juillet. Pierre Mauroy prend alors la décision de partir. Le soir même, l’Elysée fait savoir que le Président a accepté la démission du gouvernement et qu’il a nommé un nouveau Premier ministre, Laurent Fabius.
L’initiative présidentielle sème davantage encore la confusion dans les rangs de la droite. Après avoir réclamé un recours au peuple, elle fait marche arrière. Comme prévu, le Sénat, où elle est majoritaire, refuse de voter le projet de loi constitutionnelle. Le référendum n’est plus d’actualité.
Jean-Pierre Chevènement, nommé ministre de l’Education nationale, va désormais s’orienter, par la voie réglementaire, vers des « mesures simples et pratiques » souvent reprises du texte Savary.