L’obsession de la lutte contre le chômage, lié au niveau de formation insuffisant d’une bonne partie du salariat français en 1981, a placé la formation professionnelle au coeur des débats économiques et sociaux sous les deux septennats de François Mitterrand.
Le cadre des discussions est cependant resté celui de la loi du 16 juillet 1971, elle-même issue de l’accord interprofessionnel national du 9 juillet 1970. Ce cadre maintient une spécificité française, la séparation de la formation professionnelle initiale, assurée par l’Education nationale, et de la formation continue, qui relève du droit du travail et des partenaires sociaux.
Au cours du premier septennat, les gouvernements Mauroy et Fabius respectent cette tradition, en s’efforçant d’améliorer chaque domaine. La loi Rigout du 24 février 1984 oblige à une négociation de branche tous les cinq ans sur les objectifs et les moyens de la formation professionnelle. De multiples accords en sortiront et les comités d’entreprise seront consultés chaque année sur le programme de formation des années à venir, et sur le bilan de l’année écoulée.
La chute des effectifs
Pour la formation initiale, la priorité de fait donnée aux études abstraites aussi bien par le corps enseignant que par l’opinion publique se traduit par une chute brutale des effectifs des lycées professionnels (- 14 % entre 1985 et 1990, soit – 110 000 élèves).
Le CAP ou le BEP, objectifs quasi exclusifs de ces lycées, apparaissent dépassés par l’évolution des métiers. Jeunes et familles se tournent vers l’enseignement général des lycées qui gagne 363 000 élèves pendant les mêmes cinq années.
Conscient des risques liés à ce transfert massif et soucieux de donner un sens équilibré à l’objectif des « 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac », Roland Carraz, secrétaire d’Etat auprès de Jean-Pierre Chevènement, crée en 1985 le baccalauréat professionnel, préparé dans les lycées professionnels en deux ans après le CAP ou le BEP. Malgré les fortes réticences des syndicats enseignants (le SNES parle de bac au rabais, la CGT et le SNETAA craignent de perdre la base ouvrière que représentaient les professeurs techniques adjoints), Carraz passe en douceur en présentant le « bac pro » comme expérimental et en s’appuyant sur les jeunes professeurs issus de l’Université.
Le bac pro sauvera l’enseignement professionnel en l’adaptant à la réalité d’un travail plus autonome et plus évolutif, et en motivant les équipes d’enseignants. L’allongement des études permettra en outre de maintenir les effectifs malgré des flux d’entrée toujours plus faibles au sortir de la troisième.
Expérience et efficacité immédiate
Au cours du second septennat, la séparation entre formation initiale et formation continue apparaît de plus en plus insupportable, surtout avec la recrudescence de la crise et du chômage à partir de 1991. Même diplômés à un bon niveau, les jeunes sortant du système scolaire se voient préférer à l’embauche leurs aînés au nom de l’expérience acquise et de l’efficacité immédiate dans l’exécution de leurs tâches. Ce constat légitimait déjà depuis 1981 la multiplication des stages (les TUC en 1984, les SIVP en 1985…). Leur demi-échec montre qu’il faut aller plus loin.
L’impulsion décisive viendra d’Edith Cresson. Quand elle m’appelle le 17 mai 1991 pour me proposer de devenir Secrétaire d’Etat à l’enseignement technique, mutations dans la formation professionnelle initiale, elle me dit : « Je veux que tu développes l’apprentissage, et que tu en élèves le niveau. Prends contact avec les allemands pour voir ce qui marche chez eux » . Nous travaillerons en liaison étroite avec Lionel Jospin, ministre de l’Education nationale, et Martine Aubry, ministre du Travail, pour remplir ce programme.
L’apprentissage en mutation
L’apprentissage en France n’était pas prêt pour cette mutation. Cantonné depuis des décennies à la préparation de CAP vieillots dans les métiers de l’artisanat et du commerce, il stagnait depuis trente ans à un recrutement annuel d’environ 110 000 jeunes et méritait trop souvent une réputation de médiocrité des contenus et d’exploitation des apprentis. Tous les métiers en développement dans l’industrie et les services ignoraient la tradition de l’apprentissage.
1970/1971 | 1980/1981 | 1990/1991 | 2000/2001 | |
Apprentissage Total |
233 000 | 223 000 | 226 000 | 365 000 |
formations niveau bac et au-delà |
– | – | 15 000 | 122 000 |
Lycées professionnels Total |
651 000 | 773 000 | 697 000 | 700 000 |
1ères et 2èmes |
– | – | 94 000 | 175 000 |
Enseignement supérieur Total |
851 000 | 1 181 000 | 1 717 000 | 2 161 000 |
préparation BTS | 27 000 | 67 000 | 205 000 | 249 000 |
préparation IUT | 24 000 | 54 000 | 74 000 | 119 000 |
préparation Ecoles (ingénieurs-commerce-art et architecture-social …) |
130 000 | 215 000 | 265 000 | 415 000 |
Trois objectifs furent poursuivis en parallèle :
– l’amélioration du salaire des apprentis, en particulier au-delà de 18 ans, pour attirer des jeunes de bon niveau. Cela relevait des partenaires sociaux, où CNPF et syndicats étaient déjà convaincus ( accord du 3 juillet 1991) d’une nécessaire revalorisation ;
– la rénovation des CAP, qui restaient la base de la formation professionnelle ( plus de 400 000 candidats en 1990). Une négociation intense avec les représentants des métiers concernés permit d’en supprimer plusieurs centaines ultra-spécialisés et sans débouchés, et de moderniser le contenu de formation de ceux qui subsistaient ;
– enfin le développement de l’apprentissage, et plus largement de la formation en alternance entre lycées ou universités et entreprises, pour préparer les diplômes de niveau bac, BTS, jusqu’à ingénieur et DESS. Pour obtenir une main d’oeuvre hautement qualifiée et efficace, l’apprentissage à ces niveaux exige la coopération Education nationale-entreprises. Il s’avère vite que les vieilles préventions réciproques ont fondu au feu de la crise. Nous obtiendrons même assez aisément que les stages en entreprises des élèves préparant un diplôme professionnel (bac pro, BTS, DUT etc.) soient fortement allongés, souvent en passant d’un mois à trois mois sur deux ans.
Energiquement relayée par Jean Glavany dans le gouvernement de Pierre Beregovoy, cette affirmation de l’alternance et d’un apprentissage de haut niveau est devenue consensuelle dès 1993, et donc poursuivie après l’alternance par François Bayrou. L’apprentissage y trouve un souffle nouveau, passant entre 1990 et 2000 de 226 000 à 365 000 apprentis, grâce à l’apparition de plus 120 000 apprentis préparant baccalauréats professionnels, BTS, DESS et diplômes d’ingénieurs. Cette oeuvre de modernisation mérite attention. Elle a sauvé à la fois l’enseignement professionnel et l’apprentissage, réorienté l’enseignement supérieur, et a aidé à défendre et développer de larges secteurs de notre économie et de l’emploi. On peut seulement regretter qu’elle n’ait pu vaincre les réticences profondes de l’opinion à s’engager dans les formations scientifiques et techniques, et qu’elle n’ait pu réussir à mieux répartir l’effort de formation continue entre les cadres et techniciens, grands bénéficiaires, et les ouvriers et employés, qui en ont autant besoin, mais restent peu concernés.