La Convention des Institutions Républicaines appelée plus couramment la Convention ou CIR par les anciens Conventionnels naît officiellement en 1965, année de l’élection présidentielle et elle s’auto-dissout lors du congrès d’Epinay de juin 1971. Du fait de cette concordance de dates entre la vie de la Convention des Institutions Républicaines et les grandes dates de la Gauche française, certains anciens de la SFIO ou opposants de François Mitterrand des années 1980 y voient de l’opportunisme, de la manipulation de la part du député de la Nièvre de l’époque. Cette idée est reprise par Olivier Duhamel dans La Gauche et la Ve République quand il écrit : « L’ombre de de Gaulle se projette derrière l’UNR, l’ombre de Mitterrand derrière la rénovation de la gauche. UNR et CIR sont, avec le Centre démocrate de Lecanuet, mais sans un antécédent partisan aussi structuré que le MRP, les premiers partis français présidentialistes, c’est-à-dire constitués pour soutenir un président élu ou un candidat présidentiel »1. Peut-on soupçonner la CIR de n’être qu’un tremplin politique à l’ambition de François Mitterrand ou même «une coquille vide» au service de la carrière politique de son leader ?
LA NAISSANCE DE LA CONVENTION
Le choix du nom de la Convention est important et pose le programme de cette formation politique. Ce terme est certes très employé dans les années 1960, époque où la vie politique est rythmée par les Assises, les Conventions et les conférences-débats, cependant le nom de «Convention des Institutions Républicaines» par sa longueur peut sembler être un handicap. Louis Mermaz, premier secrétaire de la CIR explique que François Mitterrand a choisi ce nom: « Un certain nombre d’entre nous trouvions que cela faisait un peu socialisme de la chaire, cela faisait savant, pas très populaire. Il disait : «Oui, mais c’est en même temps rassurant »2.
La date de naissance de la Convention des Institutions Républicaines en 1965 n’est pas due au hasard, mais bien au contraire, elle répond à une logique. La conjoncture des années 1960 est propice à sa naissance. En effet, les clubs, sociétés de pensées et autres laboratoires d’idées foisonnent depuis la fin des années 1950. La CIR est née de l’initiative de deux clubs : la Ligue pour le Combat Républicain fondée au lendemain du 13 mai 1958 par François Mitterrand, Ludovic Tron, Emile Aubert et Joseph Barsalou comprenant également de nombreux membres de l’UDSR, et d’un club très influent, le Club des Jacobins créé le 12 décembre 1951 par Charles Hernu, Charles Briandet et Jacques Nisen. En mai 1963, les deux clubs décident de coordonner leur action au sein d’une nouvelle association, le Centre d’Action Institutionnel (CAI). A l’intérieur du CAI, se forme le noyau dur des compagnons de François Mitterrand qui lui resteront fidèles. En 1964, une première Convention préparatoire permet de dégager une motion finale qui devient la Charte de la Convention. En 1965, La Convention se réunit, le débat est très politisé puisque les élections présidentielles approchent.
Les objectifs de la CIR sont sans cesse repris et les Conventionnels se flattent d’y être restés fidèles. La CIR part d’une analyse de la société française de l’époque : le triomphe des nouvelles classes moyennes salariées porteuses d’un autre système de valeurs et d’aspirations, et le rôle croissant des femmes depuis 1945. La conséquence en est un discours très moderne sur la condition de la femme. Le rôle de Marie-Thérèse Eyquem et d’Yvette Roudy est essentiel dans l’inclinaison du discours de la CIR en faveur des femmes (contraception, congé de maternité, crèches). La CIR étudie également la vie politique des débuts des années 1960. Dès mai 1958, François Mitterrand s’oppose au retour du général de Gaulle et devient rapidement le chef de l’opposition au gouvernement. Le nom de la Convention des Institutions Républicaines exprime également le thème central de cette formation politique qui est la défense des libertés ; idée omniprésente dans Le Coup d’Etat permanent3.
Les Conventionnels poursuivent l’objectif de la rénovation de la Gauche française, en sachant que pour eux un Parti socialiste réellement nouveau et l’union de la Gauche vont de pair. Cette organisation se présente comme un objet politique nouveau par rapport aux partis politiques traditionnels accusés de tous les maux. Les principaux conventionnels ont en effet un rejet de la SFIO, telle Françoise Carle : « On n’aimait pas la SFIO depuis la guerre d’Algérie, Suez. C’était synonyme de trahison »4. La CIR se présente de 1964 à 1971 comme la nouvelle gauche, celle des forces vives. La vie de la Convention va donc être secouée de coups d’éclat contre le pouvoir personnel de de Gaulle, mais également contre la SFIO et son leader, Guy Mollet.
LA MONTEE EN PUISSANCE DE LA CIR
La CIR va prendre de l’importance dès 1965 car elle attaque deux fronts simultanément. En faisant partie de la FGDS, elle veut obliger les différents partis de la gauche non communiste à travailler ensemble. De plus, en faisant jouer ses relations, François Mitterrand parvient à s’imposer comme candidat unique de la Gauche à la présidentielle. Ces deux combats sont importants pour la Convention pour plusieurs raisons. Elle démontre qu’elle est capable de passer à l’acte et ne se contente pas de discours. Les liens entre les Conventionnels se trouvent consolidés face aux enjeux importants. François Mitterrand sait qu’il peut compter sur des personnes compétentes, ne comptant pas leurs heures. Elle obtient également une notoriété grâce à l’appui de certains journaux et radios bienveillants. Enfin, la FGDS et la candidature de François Mitterrand en 1965 redonnent de l’espoir au peuple de Gauche, comme se souvient Stélio Farandjis : « Cet événement est un phénomène décisif, il a cristallisé des énergies, il a révélé une potentialité que les gens ne soupçonnaient pas »5. Si l’élection présidentielle aboutit à l’élection de de Gaulle, François Mitterrand arrivé au second tour, en sort renforcé. Il est président de la FGDS, de la Convention et leader de l’opposition.
La conséquence est un afflux d’adhérents à la Convention, qui reste une nébuleuse de clubs. Sur le plan idéologique, les discours de François Mitterrand clôturent rituellement les différentes assises. Marc Paillet rédige les textes les plus théoriques. De nombreuses commissions sont mises en place afin de maintenir la fonction de laboratoire d’idées comme en témoigne Yvette Roudy : « François Mitterrand nous faisait beaucoup travailler. Grand pédagogue, il distribuait du travail à chacun »6. La recherche de spécialistes et de forces vives est toujours prégnante.
Cependant, cette montée en puissance de la Convention qui lui permet d’obtenir 16 députés7 lors des législatives de 1967, ne va pas sans attirer la méfiance, voire l’hostilité de Guy Mollet. Les rapports entre le leader de la SFIO et le noyau dur des Conventionnels ne seront jamais chaleureux (le côté donneur de leçons et la gestion de la guerre d’Algérie étant les récriminations avancées par les conventionnels contre Guy Mollet).
LA TRAVERSEE DU DESERT AVANT L’APOTHEOSE
Mai 1968 bouleverse la France mais également les partis politiques. La FGDS ne survit pas aux tensions internes entre ses dirigeants et au discours de François Mitterrand du 28 mai jugé maladroit. Le député de la Nièvre, considéré comme responsable de la défaite électorale, se retrouve isolé à l’Assemblée nationale. La Convention commence une traversée du désert, mais son leader peut compter sur ses fidèles compagnons de route.
Même isolée, la CIR continue ses combats d’union de la Gauche et de création d’un Parti socialiste. Elle s’oppose fortement à Guy Mollet qui impose le congrès d’Alfortville et ne veut pas de François Mitterrand comme candidat de la Gauche à l’élection présidentielle de 1969. Pendant le Congrès d’Alfortville, la Convention tient un séminaire à Saint-Gratien. François Mitterrand y prononce le discours de la rupture : « Le nouveau parti socialiste n’a, à ma connaissance, d’existence nulle »8.
L’année 1970 sera une année de discussions officielles et officieuses afin de renouer les liens. Les Conventionnels savent que le Nouveau Parti Socialiste déçoit beaucoup de membres haut placés. Alain Savary trop hésitant, voulant harmoniser les points de vue ne fait pas avancer le parti. Le CERES de Jean-Pierre Chevènement s’agite, on le fait taire à coups de sanctions. Les relations se resserrent donc entre les membres du CERES et les Conventionnels, « Chevènement, Motchane, Sarre venaient voir Mitterrand rue Guynemer »2. Pierre Mauroy ne parvient pas à faire entendre sa voix dans ce nouveau parti.
En 1971, la marche commence vers le Congrès de l’unité. Une délégation nationale est mise en place afin d’accueillir la Convention au sein d’un Parti socialiste qui se voudrait foncièrement nouveau. Différentes motions sont proposées dont celle de Mermaz-Pontillon pour la Convention. Le congrès d’Epinay (11-13 juin 1971) composé de 800 socialistes, 97 Conventionnels et 60 nouveaux adhérents est un congrès de dupes. Même si François Mitterrand sait qu’il peut compter sur le CERES, les Bouches-du-Rhône et le Nord, il n’est pas certain d’avoir suffisamment de voix. Alain Savary et Guy Mollet ignorent tout de ces alliances. Pierre Joxe met en place un dispositif pour «enrayer la machine à frauder» de la SFIO. La CIR et ses alliés remportent un premier succès avec les nouvelles structures du Parti. Elle gagne ensuite sur le terrain de l’orientation du parti et les relations avec le Parti communiste. Le 16 juin, le Comité directeur se réunit. Les Conventionnels sont bien représentés avec François Mitterrand, premier secrétaire du PS, Claude Estier à la presse, Georges Fillioud à la propagande et Pierre Joxe à l’administration et à la formation.
La Convention des Institutions Républicaines joue un rôle important dans l’union de la Gauche et la création du Parti socialiste et, même si elle se dissout en 1971, «l’esprit conventionnel» continue après cette date. Des Conventionnels sont à la direction du Parti socialiste, ils ouvrent la négociation du Programme commun sous l’impulsion du CERES. L’entente entre Pierre Joxe et Jean-Pierre Chevènement fera avancer rapidement les négociations avec le Parti communiste. François Mitterrand restera reconnaissant aux fidèles qui ont vécu l’expérience de la Convention à ses côtés et qui ne l’ont pas abandonné lors de la période d’isolement de 1969. Quand il devient président de la République en 1981, s’il n’a pas pu partager cette victoire avec Georges Dayan et Marie-Thérèse Eyquem, décédés avant, François Mitterrand n’oublie pas d’appeler tous ses anciens fidèles à ses côtés. Ils ont tous eu un poste soit de ministre, de secrétaire d’Etat ou de Haut commissaire. La Convention est certes une formation politique souvent mal organisée à tous les échelons, qui manquait de finances, mais elle avait un leader qui savait où il allait. L’obstination de ce chef de file à ne pas aller à la réunion d’Alfortville puis celle d’Issy-les-Moulineaux a dérouté beaucoup de membres de la formation. Cependant il était entouré de cercles de fidèles, dévoués, plein d’espoir en l’avenir de la Gauche. La CIR est peut-être davantage ceci, une rencontre humaine, d’amateurs en politique qui avaient les mêmes objectifs : l’union de la Gauche et un Parti socialiste véritablement nouveau, confiants en un leader charismatique, François Mitterrand.
- Olivier Duhamel, La Gauche et la Ve République, Presses Universitaires de France, p288.
- Entretien entre Louis Mermaz et Nadia Ayache, le 23 février 2010
- François Mitterrand, Le Coup d’Etat permanent, éd Julliard, janvier 1996, 317p.]], contemporain de la CIR ainsi que dans les discours du député de la Nièvre à l’Assemblée nationale. Louis Mermaz explique l’importance de ce thème : « C’était le rééquilibrage des institutions, les droits du Parlement, une justice indépendante, un combat contre ce que l’on appelait le pouvoir personnel : le pouvoir ultra concentré entre les mains d’un président prestigieux, de Gaulle »[[Entretien entre Louis Mermaz et Nadia Ayache, le 23 février 2010.]]. Les Conventionnels n’ont de cesse de demander le respect des corps intermédiaires. Ils refusent un président de la République omnipotent, avec une majorité écrasante à l’Assemblée et tenant toutes les institutions, appuyé par un parti qui tout en s’appelant l’UNR, est le parti gaulliste. « Il fallait retrouver des corps intermédiaires, des libertés communales, les libertés des départements où les préfets se comportaient, disait Mitterrand, comme des petits Napoléons »[[ibidem.
- Entretien entre Françoise Carle et Nadia Ayache, le 25 novembre 2009.
- Entretien entre Stélio Farandjis et Nadia Ayache, le 21 décembre 2009.
- Entretien entre Yvette Roudy et Nadia Ayache, le 21 novembre 2009.
- Les députés conventionnels élus en 1967 sont F. Mitterrand, G. Fillioud, G. Dayan, L. Mermaz, R. Dumas, A. Rousselet, J. Maroselli, B. Leccia, P. Créricy, A. Fouet, L. Périllier, A. Labarrère, M. Dreyfus-Schmidt, G. Vinson, C. Estier et J. Maugein.
- Discours de Saint-Gratien, Fonds Françoise Carle, OURS.]]. Logiquement la Convention n’est pas allée à Alfortville, elle n’ira pas à Issy-les-Moulineaux, « un pseudo-congrès qui ne serait que la répétition de la mascarade d’Alfortville »[[Lettre de Claude Estier, datée du 23 juin 1969, Fonds Françoise Carle, OURS.]]. Le Nouveau Parti Socialiste naît donc sans les dirigeants de la CIR. Même si 3 500 Conventionnels ont préféré rejoindre le NPS et si beaucoup d’adhérents quittent la CIR, François Mitterrand et son groupe de fidèles continuent le combat. Les assises de Saint-Denis de décembre 1969 ayant pour thème «Le socialisme dans la vie quotidienne» sont le siège de la véritable conversion de la CIR au socialisme. François Mitterrand y harangue ses troupes, dans un climat maussade : « Je crois en la Convention comme force permanente d’unité et je vous demande de tenir bon »[[Louis Mexandeau, François Mitterrand le militant, éd. Le cherche midi, p140.