L’ouverture complète du site François-Mitterrand de la BNF en 1998 a été marquée par des difficultés dont la presse s’est, à l’époque, largement fait l’écho. Avec le recul, leurs causes ne semblent pas résider dans un défaut global de conception du site, mais plutôt dans le calendrier très tendu, la nouveauté des technologies employées et l’ambition – peut-être excessive – du système informatique.
Dix ans après, n’importe quel observateur de bonne foi peut constater que le site François-Mitterrand, né de la volonté personnelle de celui qui lui a donné son nom, a trouvé son régime de croisière. Grâce à l’engagement résolu des personnels et à l’effort financier consenti par la collectivité nationale, son fonctionnement est stabilisé, à la satisfaction des utilisateurs ; le rayonnement de la Bibliothèque s’est accru et contribue à l’ancrer dans le paysage culturel français et européen. Les enjeux pour l’avenir se situent désormais ailleurs : dans la maîtrise du développement de la numérisation, dans le projet de rénovation du quadrilatère Richelieu qui vise à mettre en sécurité les admirables collections qu’il abrite et à lui donner un souffle nouveau.Si la réussite d’un équipement culturel se mesure au nombre de ses utilisateurs, la BNF rencontre un succès incontestable. Elle accueille aujourd’hui, tous sites confondus, plus d’un million de lecteurs par an, soit près de quatre fois plus que les salles de l’ancienne Bibliothèque nationale. Aux lecteurs il faut ajouter les visiteurs d’expositions, le large public qui vient assister à des conférences et à des colloques ou admirer l’architecture du site.
Cette évolution s’accompagne d’une satisfaction accrue des « usagers ». La possibilité de réserver, à l’avance et même à distance, sa place et ses documents a constitué une révolution pour les chercheurs habitués à faire la queue dans la cour du site Richelieu. La BNF réalise régulièrement des enquêtes auprès de ses utilisateurs : la « note de satisfaction » attribuée par l’échantillon des personnes interrogées croît régulièrement depuis 2000. Bien entendu, comme dans tout établissement de cette taille, des points faibles demeurent, qui appellent des efforts constants d’amélioration : les plus fréquemment cités portent sur les possibilités de restauration des lecteurs, ou sur le dispositif de photocopiage.
Cette amélioration des services rendus au public ne s’est pas réalisée au détriment des autres activités de la Bibliothèque. En particulier le traitement (dépôt légal, acquisition, catalogage) et la conservation des collections fonctionnent de manière satisfaisante, grâce, notamment, à la mise en œuvre d’un système informatique qui, après les déboires de son démarrage, a atteint une pleine efficacité, tandis que les conditions de leur sécurité ont été redéfinies dans le sens d’une rigueur accrue.
La création du nouveau site a été l’occasion d’une remise à niveau des collections imprimées et audiovisuelles, par la constitution de nouveaux fonds, en libre accès. L’effort financier substantiel réalisé a permis de rompre avec la politique restrictive d’acquisitions dans certains domaines qui prévalait depuis 1920 et d’envisager un retour à l’encyclopédisme.
Ajoutons que les conditions de travail des personnels, à l’origine du conflit social de 1998, ont fait l’objet d’efforts systématiques et continus. L’enquête d’opinion menée en 2005 auprès des agents de la BNF, réalisée par le Credoc à la demande de l’établissement, montre que la satisfaction de ceux-ci, comme celle des lecteurs, a nettement progressé. Là encore de nombreux aspects de la vie quotidienne sur le site François-Mitterrand – dont la presse a décrit, à l’envi, les contraintes – méritent que l’effort soit poursuivi. Un nouveau quartier prend naissance autour des quatre tours de la Bibliothèque ; il accueillera prochainement l’université de Paris VII. La passerelle Simone-de-Beauvoir permettra très prochainement aux piétons de rejoindre la Cinémathèque française, de l’autre côté du fleuve. Une fois assuré le fonctionnement quotidien de la Bibliothèque, un effort systématique a été entrepris pour la mettre au service de la nation tout entière, consolider son assise et accroître son rayonnement en France et à l’étranger.
Le développement des services à distance, la richesse du site internet et, en particulier, la mise en ligne de Gallica, bibliothèque numérique qui permet d’accéder gratuitement à 80 000 ouvrages libres de droits et à autant d’images, contribuent à l’évidence à ce rayonnement.
La croissance rapide de la fréquentation de son site (plus de 8,5 millions de visiteurs par an – à comparer au million de lecteurs qui fréquentent les salles de lecture -, 1,5 million de documents consultés chaque mois) en est l’illustration. Au-delà de ce développement spectaculaire, la BNF a tissé un étroit réseau de relations avec de nombreuses bibliothèques françaises, regroupées sous le label « pôles associés ». La volonté de développer l’influence de la BNF dépasse le monde des bibliothèques et s’adresse à tous les acteurs de l’imprimé (éditeurs, grands titres de presse, associations professionnelles) et de la connaissance (universités, instituts de formation, grandes écoles…). Au cours de ces dix dernières années, la BNF a renforcé ses liens avec ses homologues à travers le monde. Elle coopère avec les bibliothèques nationales francophones et apporte notamment son soutien et sa compétence à celles des pays en développement, entre autres par son offre de stages internationaux en privilégiant les accueils de longue durée, propres à tisser un réseau d’amitiés durables à travers le monde.
Le projet de bibliothèque numérique européenne s’inscrit pleinement dans cette volonté de rayonnement international. Né d’une réaction à l’annonce par Google de son intention de numériser et d’offrir aux internautes quinze millions de livres, en partenariat avec plusieurs grandes bibliothèques anglo-saxonnes, cette grande ambition, dans laquelle la BNF joue un rôle central, se développe autour de quelques axes essentiels, en collaboration étroite avec les autres bibliothèques nationales européennes. S’inspirant des principes fondateurs de Gallica, la BNUE sera une large bibliothèque multilingue, accessible à tous sur la Toile, constituée d’une sélection de livres et de journaux numérisés dans plusieurs pays européens et organisée autour des grands thèmes fondateurs de l’identité européenne : mouvement de la pensée, patrimoine culturel, démocratie et liberté, construction de l’espace européen.
Un autre axe majeur porte sur la reconnaissance du rôle central qu’occuperont les ayants droit puisque bibliothèques et éditeurs aspirent à proposer à un large public un site de référence dans lequel seraient également consultables des ouvrages protégés par le droit d’auteur. Enfin, la réflexion autour du financement est évidemment cruciale : l’argent public est indispensable, mais il peut être nécessaire d’y associer des ressources privées, selon un plan de financement original.
Dix ans après son inauguration par François Mitterrand, la BNF, en particulier son nouveau site, a pris toute sa place : celle d’une grande institution patrimoniale, d’un outil au service des chercheurs et du grand public, d’un pôle de diffusion culturelle, dont les diverses manifestations (expositions, conférences, colloques) marquent la vie artistique et intellectuelle du pays. Elle est maintenant confrontée à deux enjeux majeurs. Le premier concerne les documents numériques : le développement de Gallica aujourd’hui, en particulier à travers un vaste plan de numérisation de la presse quotidienne, de la BNUE demain, le projet de dépôt légal des sites de la Toile, la production toujours croissante de documents numériques imposent à la BNF de mettre en œuvre un grand plan d’archivage et de préservation sur le long terme de ces données numériques, tout en assurant un accès confortable et pérenne à ses lecteurs.
Le deuxième enjeu constitue une préoccupation taraudante pour l’établissement. Le site historique de Richelieu a vu ses collections imprimées et audiovisuelles transférées sur le site François-Mitterrand. Il abrite aujourd’hui des collections très précieuses de manuscrits, d’estampes, de photographies, de cartes anciennes, etc. Or la vétusté de ses locaux (dans certaines zones, l’électricité est encore en 110 volts !) met quotidiennement en péril ces trésors. Repoussée d’année en année, promise à l’échéance de 2013, la rénovation complète du bâtiment constitue pourtant la deuxième étape indispensable de la modernisation de la Bibliothèque nationale de France, si brillamment engagée avec l’annonce, en 1988, par le Président François Mitterrand, d’une « bibliothèque d’un type entièrement nouveau ».