La Villa du Cap d’Antibes recelait un mystère, celui de la “chambre du président”, ainsi désignée par son constructeur, M. Pellerin. Qui donc pouvait bien être ce “président” ? M. Gattegno s’est chargé de nous l’expliquer sur dix grandes colonnes abondamment illustrées (“Le Monde” des 8 – 9 décembre, pages 12 et 13).
La dénomination de “chambre du président” ne pouvait être qu’un indice, intéressant certes, mais insuffisant pour un enquêteur aussi scrupuleux que veut l’être M.Gattegno: tous les Français, on le sait, sont ou ont été présidents de quelque chose, ou bien ont vocation à le devenir. Plus significative, en revanche, était ” l’immense bibliothèque en poirier ” qui jouxtait la chambre et témoignait d’une exceptionnelle ” passion des livres “: un président qui prend le temps de lire des livres, ça se trouve, mais c’est déjà beaucoup plus rare. Enfin, ce président amateur de livres ne pouvait se rendre à des rendez-vous qu’on lui proposait invariablement, d’une semaine à l’autre, le mercredi matin. Le voile est tombé: tout désigne le président qui referme à regret son livre, le mercredi à 10 heures, pour ouvrir la séance du conseil des ministres, ce Moriarty que notre justicier poursuit inlassablement depuis des années.
La démonstration aurait pu en rester là: elle avait de quoi satisfaire la curiosité des lecteurs habituels de M.Gattegno, qui ne sont pas très difficiles et n’auraient demandé qu’à le croire; mais la chance sourit à notre enquêteur, qui découvrit, dans les archives de la D.D.E. des Alpes-Maritimes, que la maquette du bâtiment put enfin être présentée au “président” le mercredi 29 novembre 1989. Voilà le détail qui couronne la démonstration, la preuve matérielle qui confirme les indices patiemment réunis par M.Gattegno; le mystère est enfin éclairci et Moriarty définitivement confondu.
Le malheur fut que notre ami André Rousselet savait que le Président de la République avait passé la journée du 29 novembre à Athènes en compagnie du Premier ministre grec, M.Xénophon Zolotas, comme M.Gattegno aurait pu s’en apercevoir lui-même s’il avait pris la peine de consulter la collection du “Monde”: le conseil des ministres du mercredi
29 novembre 1989 avait été avancé de 24 heures pour permettre à François Mitterrand d’achever, par un voyage en Grèce, la tournée des capitales qu’il avait entreprise quand se préparait la réunification de l’Allemagne (” Le Monde ” du 1er décembre 1989).
Nous publions ci-après la lettre qu’André Rousselet a adressée à M.Jean-Marie Colombani le 10 décembre dernier, telle qu’elle a paru dans le “Monde” daté du 13.
On remarquera que la lettre d’André Rousselet ne doit d’avoir été rendue publique qu’à la qualité d’exécuteur testamentaire de son auteur. D’autres correspondants de M.Colombani n’ont pas eu ce privilège: l’un d’eux, M.Marcel Delport, un ancien du cabinet de Pierre Mendès-France, nous a permis de faire connaître à nos lecteurs une lettre adressée au directeur du “Monde” et restée sans écho: ce n’est sans doute pas la seule.