Lorsque François Mitterrand entre à l’Élysée pour son premier mandat, la scène internationale est figée depuis l’après-guerre mondiale dans le face à face de la guerre froide. Le paysage est clair : un monde bipolaire et un tiers-monde. Et cette situation semble devoir durer indéfiniment.
La course aux armements qui semblait avoir ralentie durant quelques courtes années a repris depuis 1975. L’URSS semble gagner en influence et marquer des points sur presque tous les continents. Des régimes communistes se sont installés en Somalie, en Angola, au Vietnam, à Cuba et au Yemen du Sud. Depuis le milieu de l’année 1979, les forces sandinistes ont pris le pouvoir au Nicaragua et nationalisé les mines, la pêche et les principales ressources naturelles. Elles viennent de lancer une réforme agraire en même temps que divers programmes sociaux. Cette même année, les troupes soviétiques sont entrées en Afghanistan.
A l’Ouest, Ronald Reagan, élu en novembre 1980, appelle ses alliés à se mobiliser contre l’ « Empire du Mal ». Il est surtout entendu par Margaret Thatcher qui ne l’avait pas attendu pour camper sa position. A Paris et à Berlin, faute de mieux, on continue à miser sur la politique de détente amorcée en 1962, après la crise des missiles de Cuba. Il est vrai que celle-ci vient de progresser sur son erre puisqu’au mois de juin 1979, Carter et Brejnev ont signé les accords SALT II qui prévoient un gel des lanceurs à ogives multiples et un contrôle réciproque des armes nucléaires. Si ces accords n’ont pas été ratifiés par le Sénat américain en raison de l’invasion de l’Afghanistan, les deux signataires ont fait savoir qu’ils en respecteraient les clauses.
En URSS, Brejnev est encore pour une année au pouvoir et la doctrine qui porte son nom ne semble pas devoir être remise en cause. Dans ses grandes lignes celle-ci visait à préserver l’intégralité du bloc de l’Est et à y empêcher toute évolution libérale ou anti-communiste. Il mourra en mars 1982, victime d’une crise cardiaque.
L’arrivée au pouvoir du président du KGB, Iouri Andropov, avec l’appui du complexe militaro-industriel, sera le plus souvent interprétée comme une persistance de la ligne dure.
Il décède quinze mois plus tard sans avoir eu le temps d’imprimer la moindre évolution significative au régime. C’est un homme malade, usé, qui lui succèdera, Konstantin Tchernenko. Son action s’inscrit dans la droite ligne de la politique menée à la fin de l’ère Brejnev.
C’est donc dans ce paysage dangereux et souvent difficile à décrypter que François Mitterrand aborde ses responsabilités. Un paysage qui perdurera pour l’essentiel jusqu’en 1991, année de la disparition de l’URSS car, si la chute du mur de Berlin, en 1989, représente un événement majeur de notre histoire contemporaine, le véritable changement de décor occupera encore deux années.
Il le fait en y apportant tout ce que son parcours personnel et d’homme politique a imprimé en lui : sa jeunesse d’étudiant, dans un monde où la France a encore le sentiment d’avoir un rôle majeur à jouer dans la petite formation des acteurs de la scène internationale; son expérience directe du conflit de la deuxième guerre mondiale avec toutes ses conséquences, de son camp de prisonnier, jusqu’à la Résistance et à ses responsabilités gouvernementales exercées dans un champ politique marqué par une confrontation internationale acerbe et ses échos parfois violents jusque sur la scène intérieure française.
A ce point, lorsqu’il franchit les portes de l’Élysée, sa démarche en matière de politique internationale sera guidée par trois lignes de force : promotion des règles du droit international, souci du développement économique et social pour obtenir ou affermir la paix, respect de l’originalité des différentes cultures.
La première lui fera donner avec constance sa préférence aux solutions qui privilégient les ressources du droit international. Étudiant, il a commencé à se passionner pour cette discipline. Il a été nourri par l’enseignement de Jules Basdevant, professeur de droit international à l’Université de Paris et à l’Institut d’Études Politiques de Paris et qui fut, de 1946 à 1964, juge à la Cour internationale de justice qu’il présida de 1949 à 1953.
Devenu président, cette inclinaison marquée se manifestera en toutes occasions, et pour ne citer que quelques exemples, lorsqu’il s’agira de protéger le Tchad de son agresseur, la Libye ou lors du choix qu’il fera d’engager la France dans la deuxième guerre du Golfe. De même quand il prendra position lors de la guerre des Malouines. La seconde de ses exigences lui faisait lier de façon étroite efforts en faveur de la paix et soucis de promotion du développement économique et social. Il a usé aussi souvent que possible des tribunes qui lui étaient offertes pour plaider en faveur d’une aide au développement des pays les plus pauvres et a été un des premiers chefs d’État à plaider pour l’annulation de leur dette. La troisième était la manifestation du respect qu’il avait des différentes cultures.
Reprenant à son compte une politique extérieure basée sur l’indépendance nationale, il ne négligea cependant pas les opportunités qu’offrait l’ONU à la diplomatie française comme l’avait fait le général de Gaulle et dont Georges Pompidou, un moment plus conciliant que son prédécesseur, s’était peu à peu écarté.
Tout au long de ses deux septennats il a multiplié les occasions de s’exprimer à des tribunes aussi différentes que celle de la FAO ou de l’Unesco.
Féru d’histoire, il vivait intensément le message original qu’avait été capable de porter la France, et plus précisément depuis le siècle des Lumières. Ancien résistant, plusieurs fois ministre dans la période où le pays dévasté s’était reconstruit, il avait éprouvé combien y étaient importantes les sources d’énergie, celles de la pensée quand elle était libérée, celles de la fierté d’un peuple qu’il ressentait comme « élu » pour relever de grands défis.
Pétri de littérature, il était un homme du verbe. Du verbe dans ce qu’il pouvait avoir de fondateur. Il en avait vérifié la force en de nombreuses occasions. Les tribunes, où qu’elles soient, étaient pour lui le lieu de rencontre entre sa « part de vérité », les élans de la France et les remèdes qu’il fallait apporter à la marche incertaine du monde et de ses peuples.
Aussi, certainement plus souvent que les autres titulaires de la charge présidentielle, François Mitterrand s’est-il attaché à faire entendre dans les instances internationales l’interprétation de l’avenir que pouvait apporter l’expérience française de l’histoire du monde.
Ses deux septennats se situent à une charnière des relations internationales. Il a donc dû gérer la situation dans laquelle nous avait tenu la guerre froide et la période de transition – dangereuse – vers le monde brusquement unipolaire, sans codes ni règles, dans lequel la disparition de l’empire soviétique nous faisait entrer.
Dans cette seconde phase de son mandat, il a fait plus encore du respect et de la promotion du droit international l’axe premier de sa politique extérieure.