Mille neuf cent quatre-vingt-cinq, la vie politique française vit au rythme de la campagne pour les élections législatives de l’année suivante et d’ores et déjà le scrutin présidentiel attendu en 1988, en toile de fond, anime l’information politique, les programmes et les rivalités de leaderships dans les partis traditionnels. Alors que le scénario d’une cohabitation gagne en probabilité dans les esprits, très populaire depuis sa nomination en 1984 jusqu’à l’été 1985, le chef du gouvernement Laurent Fabius doit composer avec les soubresauts inquiétants de ses cotes de popularité et la désillusion des commentaires journalistiques qui lui promettaient un destin présidentiel et louaient sa façon de communiquer.
Après un lancement de campagne pour la majorité sous le signe d’une dualité entre le chef du gouvernement et le premier secrétaire du Parti socialiste1 d’autre part ; nous étudierons les incertitudes des effets de la communication politique à travers la façon dont l’image du premier ministre au sein des médias se retourne contre lui avant de dresser un bilan sur le fonctionnement de la communication politique en France dans les années 1980.Le retournement d’une image : les incertitudes de la communication
Malgré les commentaires de certains journalistes sur la facilité avec laquelle Laurent Fabius a accédé aux plus hautes fonctions politiques du fait de ses origines bourgeoises et de sa proximité avec François Mitterrand2
« L’affaire Jaruzelski » en décembre 1985, qu’il déclenche le 4 décembre 1985 lorsqu’il clame son « trouble » devant l’Assemblée nationale face à la décision du Président de la République de recevoir le général Jaruzelski chef d’Etat polonais, agit alors comme un détonateur dans l’espace médiatique. Non seulement, des cadres du Parti socialiste s’expriment contre le positionnement du premier ministre à l’image de Claude Estier, alors président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, qui affirme que Laurent Fabius en agissant ainsi s’est « désolidarisé » du président3, et les médias reprennent largement la thèse de l’affront à François Mitterrand, mais plus encore, la lecture de cet événement se fait au prisme des élections présidentielles de 1988. Au regard de la relation jusqu’alors existante entre les deux hommes, l’idée selon laquelle le fils devra un jour « tuer le père » fait son chemin dans les commentaires journalistiques qui dramatisent à envie l’événement.
Le mois de décembre 1985 achève de ternir l’image de Laurent Fabius et les journalistes réinterprètent les discours passés du premier ministre à l’image des « petites phrases » qui avaient participé au succès du premier ministre. « Voilà un pouvoir qui joue contre lui-même » écrit Jean-Marie Colombani dans Le Monde en décembre 19854, dix mois après qu’il ait déclaré « lui c’est lui, moi c’est moi ».
Le spectacle de la communication
La communication politique aujourd’hui est trop souvent considérée comme un simple instrument dont disposent les acteurs politiques pour séduire et enjôler l’opinion à des fins électoralistes. Cette réduction, écrit Jacques Gerstlé, « mutile la communication autant que la politique, notamment parce qu’elle les dissocie ». En effet, l’homme ou la femme politique ne devient homme ou femme politique que par la parole qui l’engrange en tant que tel. Même si l’étude de la communication politique ne doit pas se limiter aux moyens mis en œuvre pour conquérir les électeurs, les acteurs politiques et notamment les journalistes multiplient leurs analyses au prisme de cet objectif. Les années 1980 voient se développer les analyses internes du jeu politique et de ses rapports de force, et les rivalités entre « leaders » dominent le champ médiatique. Comme l’écrit Jean-Pierre Esquénazi « la parole performative peut être comprise comme une performance politique ». Laurent Fabius est impliqué dans ces analyses dans la « horse race », la course de chevaux, course pour le leadership et notamment la candidature pour l’élection présidentielle. Cette « horse race » implique une dramatisation de sa couverture médiatique au regard de la pré-campagne électorale non seulement pour les élections législatives de 1986 mais également déjà pour le scrutin de 1988. Les commentaires qui décortiquent les techniques de communication de L. Fabius peuvent conduire à artificialisation son identité politique et celle de la classe politique en général. Ainsi, les conflits idéologiques sont traduits en termes de compétition entre des équipes et des appareils, et les enjeux politiques sont réduits à des formes de rivalités individuelles, faisant de la politique un « western » tel que l’écrit Grégory Derville5.
Laurent Fabius s’est adapté de façon remarquable aux nouvelles règles de la communication politique. Laurent Fabius naît politiquement à un moment où la communication politique moderne se systématise en dehors des périodes électorales et les années 1980 sont celles de son élargissement à l’ensemble de la classe politique. Enfant de la télévision, accède très jeune au monde médiatique et notamment celui de la télévision pendant les années 1970, en tant que porte parole du Parti socialiste notamment puis premier ministre, privilégie la télévision comme vecteur de sa communication. Les médias, et particulièrement la télévision, confèrent un caractère direct et sensible à la perception des hommes et des femmes politiques par le public. Dans Parlons France, quart d’heure mensuel sur TF1 dans lequel le premier ministre répond aux questions du journaliste Jean Lanzi, il intègre tous les paramètres de ce qui est considéré comme étant un discours modernes par les publicitaires et commentateurs de l’époque : c’est-à-dire la simplicité du langage, une forme de proximité avec le public et une image consensuelle. L’initiative de Matignon, puisqu’il s’agit bien d’une idée des conseillers de Laurent Fabius et non de la chaîne de télévision, de consacrer chaque mois du temps à l’antenne à l’explication de la politique du gouvernement mais aussi à l’explication de l’actualité, répond, dans une certaine mesure, à une attentes de la base du Parti socialiste, comme en témoignent des lettres de militants6 montre comment la mise en avant de la sphère privée s’inscrit dans des stratégies de communication plus vastes, liées à la croyance très ancrée en une « médiacratie », croyance que partage le premier ministre. L’utilisation du dévoilement de soi, comme de la mise en scène d’une personnalité « comme les autres », liée à une relative maîtrise de l’agenda médiatique peut également être lourde de conséquences, telle que la collusion d’intérêts entre professionnels de la politique.
Pour Patrick Jarreau, Matignon fait le « pari de la deuxième génération », c’est-à-dire que le premier ministre, dans un effet de miroir, use d’un « atout » : la jeunesse. Le journaliste décrit la tentative de Laurent Fabius de s’affirmer comme incarnant cette « deuxième génération » qui doit rompre avec les codes et conventions admis en politique, non comme une stratégie de communication, mais dans un « état d’esprit » qui implique de ne pas se couler « docilement dans les règles établies par les générations précédente ». Le pari est-il réussi ? Au vu des évènements qui ont conduit à cette analyse, la réponse est mitigée. Ce serait lors de son débat face à Jacques Chirac, puis à l’occasion de sa manifestation, devant l’Assemblée nationale, du « trouble » que lui a inspiré la visite du chef d’Etat polonais à François Mitterrand le 4 décembre, que Laurent Fabius aurait fait ce « pari ». Dans la mesure où le débat est largement perçu comme « raté » par le Premier ministre , et que l’expression de son sentiment sur la visite du général Jaruzelski donne lieu à un tollé au sein des médias suite aux réactions négatives des socialistes eux-mêmes qui y ont vu un affront fait au président de la République, cette nouvelle « génération » n’est pas approuvée. Cependant, force est de constater que lorsque que le journaliste en question parle d’un « fonctionnement politique dont le formalisme paraît de plus en plus désuet », cette « deuxième génération » composée de « jeunes loups » peut imposer sa perception.
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Qu’est-ce qui a participé au succès de Laurent Fabius, non seulement au sein de cette « opinion publique » fabriquée par les instituts de sondages, mais également auprès des commentateurs de la vie politique, que ceux-ci l’aient critiqué ou loué ? Bien plus que cela, qu’est-ce qui explique le cadrage des médias sur la personne du premier ministre et sur sa « communication » ? Dans l’hebdomadaire l’Express, deux journalistes reviennent sur la popularité du premier ministre, « star des sondages », en avril 1985 : passé « maître dans l’art de parer les mauvais coups » écrivent-ils, « Pisani s’enlise en Nouvelle-Calédonie, la barre des 2,5 millions de chômeurs et franchie, les cantonales envoient la gauche au tapis et Fabius se porte comme un charme7 ». Focalisés essentiellement sur ce qu’ils pensent pouvoir déceler des intentions cachées du premier ministre, les commentaires des journalistes portent plus particulièrement sur la façade de la communication, et moins sur la signification politique de ses actes. Finalement l’analyse politique porte davantage sur l’après 1988 et ce notamment en raison de la forte probabilité pour la majorité de perdre les élections législatives à venir.
Laurent Fabius, ni « victime » des médias, ni totalement producteur du cadrage qu’ils opèrent, participe à l’élaboration de sa représentation médiatique. Afin de réaliser une audience la plus large possible, les journalistes vont ponctuer leurs récits de campagnes de rebondissements, caractérisés par l’affrontement et la dramatisation. Enclins à concentrer leur couverture sur les attaques personnelles il en résulte dès lors une médiatisation accrue des « prestations » dans analyses politiques, bien plus que des idées. Afin de séduire des téléspectateurs-électeurs, les professionnels de la politique – responsables politiques et leur équipe – travaillent à proposer des « raccourcis médiatiques8 » Pour les électeurs dont la télévision est la principale source d’information, l’information portant précisément sur la vie politique est pauvre. Par le biais de raccourcis cognitifs, ils acquièrent souvent inconsciemment une représentation de la personnalité du candidat, de ses positions idéologiques et de son programme politique à partir des valeurs mobilisées par ce dernier, valeurs qui renvoient à une culture politique propre. Cependant, la personnalité de Laurent Fabius peut non seulement masquer ses idées et sa politique, mais également le desservir dans sa quête pour susciter l’adhésion. Il s’agit dès lors de juger un homme davantage que des actes. La vie politique peut parfois être réduite à un simple affrontement pour la conquête du pouvoir.
- Suite au meeting que donne le premier ministre à Marseille le 14 juin 1985, Lionel Jospin, qui estime que le premier ministre cherche à lancer la campagne les élections législatives de 1986, demande au Comité directeur du Parti Socialiste de clarifier les rôles de chacun. Interprété comme une polémique, cet événement est interprété comme un « querelle » entre les deux hommes.]], Lionel Jospin, Laurent Fabius ne change pas, ou très peu, de discours par rapport à celui qu’il tient depuis sa nomination à Matignon, voire depuis sa nomination dans le gouvernement de Pierre Mauroy en 1983 en tant que ministre de l’Industrie et de la Recherche. En ce sens, l’affirmation par le premier ministre, d’une ligne politique « social-démocrate » ne pourrait pas être à l’origine du retournement des journalistes à son égard. Autrement dit, le discours de Laurent Fabius n’influerait pas ou peu son image au sein des médias. En effet, les différentes caractéristiques qui sont prêtées au nouveau chef du gouvernement par le journalisme politique sont, dès 1985, réinterprétées à la lumières de différentes « affaires » notamment nous le verrons, et viennent dresser un portrait à contre-pied de son original : du jeune fils prodige de François Mitterrand, « chouchou » des Français, Laurent Fabius est davantage décrit en 1986 comme un « leader » calculateur qui prend en main son destin présidentiel. Quels sont les facteurs qui orientent la stratégie de communication de Laurent Fabius et dès lors l’image du premier ministre ? Afin de comprendre, par une étude de cas, les rouages de la communication politique sous la Ve République, par le rôle de la personnalisation du pouvoir d’une part, et l’effet combiné de la médiatisation de la vie politique et de l’apparition de nouvelles techniques et outils de communication[[Cécile Maunier dans « La communication politique en France, un état des lieux », Market Management, 2006/4 Vol. 6, p. 69-83., nous donne une typologie des différents médias à ce jour : affiche, bouche-à-oreille, « canvassing », publipostage, télévision, radio, réunions publiques, contacts téléphoniques, tracts, internet, livres politiques.
- Sur le sujet, voir l’analyse de François Sawicki « Laurent Fabius, du « Giscard de gauche » au « socialiste moderne » », Pôle Sud, n°1-1994, p. 35-60.]], la communication du nouveau premier ministre en 1984 est louée alors qu’il incarne le renouveau par opposition à son prédécesseur, par sa jeunesse et son attitude remarquée adaptée au cadre de la télévision[[Laurent Fabius atteint les 67% de popularité dans un sondage du Nouvel Observateur – TF1 –Sofres, Jérôme Jaffré, « Super-Fabius : Monsieur 67% » Le Nouvel Observateur, 19 avril 1985]]. Cette nouveauté suscite « l’effet Fabius », un pouvoir de séduction qui résulte de ses compétences, d’un « savoir communiquer » rationnalisé et de l’attention portée par les journalistes à la nouveauté. L’écho donné dans les médias, quasiment unanime, à cet « art » de communiquer se retourne le chef du gouvernement à l’occasion de la « querelle » qui l’oppose au premier secrétaire du Parti socialiste Lionel Jospin pendant l’été 1985. Accusé par les alliés de Lionel Jospin d’avoir pris les devants pour lancer la campagne pour les élections législatives à l’occasion d’un meeting le 14 juin à Marseille, Laurent Fabius affiche sa prétention au leadership de la majorité. Dès lors, se dessine le profil d’un homme qui agit en fonction de son image auprès du public comme en témoigne un article paru dans Le Monde sur une prétendue obsession de Laurent Fabius envers son image, paru à la fin du mois de juin. Le journaliste moque la position de Laurent Fabius vis-à-vis de son conflit avec Lionel Jospin en imaginant le raisonnement stratégique que doit tenir le premier ministre : « […] je dois faire comprendre que ce qui m’intéresse, c’est l’avenir de la France, pas la politique politicienne […] mieux vaut aussi pour mon image les dossiers positifs que les actions défensives [face à Lionel Jospin] telles les modifications institutionnelles en Nouvelle-Calédonie.[[Th. B. « L’image de M. Fabius », Le Monde, 29 juin 1985]] » Progressivement, depuis le conflit avec Lionel Jospin, en passant par l’affaire de sabotage du navire de l’association Greenpeace, se dessine l’image d’un homme plus prompt à se protéger qu’à agir comme l’illustre le parapluie de Jacques Faizant dans Le Point. Accessoire qui vient souligner les motivations de Laurent Fabius : se préserver pour conforter son avenir électoral.[[Jacques Faizant « La déprime », in Jacques Faizant et Le Point, Une vie de bâton de chaise. Avril 1984 – avril 1986, Sélections de dessins parus dans Le Point, ouvrage hors commerce conçu, imprimé et relié pour les amis du Point, 1986
- Cité par Patrick Jarreau, « M. Fabius est critiqué au PS », Le Monde, 6 décembre 1985
- Jean-Marie Colombani, « Fin de partie », Le Monde, 7 décembre 1985]] avant de livrer une nouvelle interprétation d’une formule, reprise par les médias, du premier ministre à l’occasion d’un meeting électoral[[Discours du premier ministre à Issy-les-Moulineaux le 29 novembre 1985]]. Les « trois « D » » qui qualifient l’opposition pour le premier ministre, « démolition », « division » et « démagogie », il les a fait sien écrit le journaliste : la « démolition » qualifierait la démolition par Laurent Fabius de l’autorité présidentielle et des règles officieusement établies et pratiquées sous la Ve République, la « division » désignerait la rupture entre Matignon et le parti, voire certains ministres, tandis que la démagogie « convenons qu’ils n’en abusent pas ! » ironise le journaliste pour achever de critiquer les stratégies de communication du gouvernement. Mais c’est plus particulièrement le retournement de la « petite phrase » « Lui c’est lui, moi c’est moi » de Laurent Fabius, faisant référence à son statut de « protégé » de François Mitterrand, lors de son premier passage à L’heure de vérité au mois de septembre 1984 qui illustre le mieux la façon dont la définition d’une identité politique ne dépend pas uniquement de son auteur. C’est un socialiste qui initie le retournement de la célèbre phrase : « M. Luc Soubré a souligné qu’il craint qu’après avoir entendu « lui c’est lui, moi c’est moi », les électeurs et les militants ne finissent par dire : « eux c’est eux, et ce n’est pas nous »[[Jean-Louis Andréani, « Les socialistes interloqués », Le Monde, 6 décembre 1985]] ». Le journaliste va jusqu’à affirmer que « les socialistes s’interrogeaient encore sur le sens caché des « petites phrases » de Laurent Fabius[[Ibid.]] ». Jean-Marie Colombani reprend une nouvelle fois à son compte une des formules du premier ministre : « « Lui c’est lui, moi, c’est moi ! » avait prévenu M. Laurent Fabius […] il avait ce jour-là –on le mesure mieux aujourd’hui – marqué le début de l’après Mitterrand. […] « Moi » c’est donc Laurent Fabius […] l’image de la modernité et l’espoir d’un « plus » électoral »[[Jean-Marie Colombani, « Fin de partie », Le Monde, 7 décembre 1985]] avant de conclure que tout acte obéit « à une rationalité purement électorale.[[Ibid.]] » Les médias participent ainsi à la personnalisation de la politique, et en sont d’ailleurs un des principaux outils de communication, dont les effets sont incertains. Laurent Fabius, par son statut, son image et ses actes est dès lors introduit dans le cercle des « bêtes politiques » qui dominent le débat dans les médias. Laurent Fabius préparerait « l’après-Mitterrand », analyse Jean-Yves Lhomeau[[Jean-Yves Lhomeau, « L’après Mitterrand », Le Monde, 21 juin 1985
- Grégory Derville, Le pouvoir des médias. Mythes et réalités, Grenoble, PUG, 1997]]. Laurent Fabius est dès lors introduit dans le cercle des « leaders politiques » qui dominent le débat dans les médias et est ainsi placé en concurrence face à Michel Rocard ou encore Lionel Jospin. Le conflit entre les deux « frères ennemis » du mitterrandisme est défavorable, en termes d’image, pour Laurent Fabius, comme en témoigne aussi un article sur « L’image de M. Fabius » le 29 juin 1985 dans Le Monde[[Th. B. « L’image de M. Fabius », Le Monde, 29 juin 1985]]. Le journaliste retrace le parcours de L. Fabius à Matignon : « M. Fabius ne laisse guère de place au hasard », écrit-il, derrière « chacun de ses actes, chacune de ses paroles, il est tentant de rechercher les nécessités tactiques »[[Ibid.
- Fondation Jean Jaurès ; EF 76 ; lettres des militants de Neufchâtel-en-Bray, cité par Antoine Rensonnet, Le Parti socialiste en Haute-Normandie, 1978-1986, mémoire de master réalisé sous la direction d’Olivier Feiertag et de Jean-Claude Vimont, Université de Rouen, 2006, p. 145.]]. Mais par cette volonté de proximité avec le public, les sujets mis en scène, Laurent Fabius ouvre la voie à une analyse personnalisée de sa politique. Denis Jeambar va jusqu’à qualifier Parlons France de « vidéoclip[[Denis Jeambar, « Fabius victime de Fabius », Le Point, 23-29 décembre 1985]] ». Le degré de dépolitisation opéré par Laurent Fabius par le biais de ses déplacements a joué en sa défaveur pour les commentateurs, et la liste est longue : il a assisté à l’arrivée du tour de France avec son fils à l’été 1984, va au cinéma tous les dimanches, assiste à un concert de Johnny Hallyday le 27 mars 1985, pose, en compagnie de son épouse dans Paris-Match, VSD etc., et fait parler de son « style ». Les déplacements dans le cadre de la campagne électorale officielle pour le scrutin de 1986 témoignent de la même stratégie, alliant le classique du genre tel le traditionnel verre de cidre pendant la visite d’une ferme dans le Morbihan[[Antenne 2, Midi 2, 14 janvier 1986, Archives Ina ]], alors qu’il n’hésite pas à porter des bottes et un chapeau blanc pour l’occasion. Cette communication est à proprement politique en tant qu’elle porte un message, mais les images et les commentaires sur celles-ci peuvent tromper. Dans le journal de TF1 sont diffusées les images où Laurent Fabius prend des enfants dans ses bras à Béthune[[TF1, Journal télévisé de 13h, 26 janvier 1986, Archives Ina ]]. La mise en scène va parfois plus loin lorsque, en Lorraine, Laurent Fabius, tenant une peluche à l’effigie du Schtroumpf de Peyo, annonce la création d’un parc de loisir qui serait baptisé « Schtroumpfland » dans la ville d’ Hagondange[[TF1, Journal télévisé de 13h, 5 février 1986, Archives Ina ]]. A plusieurs reprises, Enrico Macias chante pendant un meeting et on y voit Laurent Fabius taper dans ses mains au rythme de la musique912. Eric Darras[[Eric Darras, « La coproduction des grands hommes », Le Temps des médias 1/2008 (n°10), p. 82-101.
- Sylvie Pierre-Broussolette, Christian Fauvet, « Sondages : pourquoi Fabius s’envole », L’Express, 5-11 avril 1985
- Christophe Piar, Comment se jouent les élections. Télévision et persuasion en campagne électorale, Paris, Ina Editions, 2012, p. 17. ]] ». A partir du travail de présentation de Laurent Fabius, qui s’expose aux relais médiatique, découle une représentation médiatique personnalisée, qui porte un message politique par le biais de symboles et qui outrepasse le discours politique traditionnel. Comme l’écrit Christophe Piar, la démocratie représentative se caractérise par « une division du travail politique entre les professionnels de la représentation et les profanes qui élisent, les seconds s’en remettant aux premiers pour s’occuper des problèmes politiques et la gestion de la collectivité.[[Ibid.