S’il est des jours qui marquent à jamais les souvenirs individuels et la mémoire collective d’un Peuple, le 10 mai 1981 est de ceux-là.
Si a posteriori il semble « facile », presque évident que la victoire de François Mitterrand était inéluctable, moi pour qui il y a quarante ans déjà le temps s’écoulait trop vite, je conserve le souvenir d’une interminable après-midi, maussade, qui n’avait rien d’un « joli mois de mai à Paris », où je piaffais intérieurement d’impatience, ne parvenant même pas à me concentrer sur d’ultimes révisions pour un examen qui commençait le lendemain.
Enfin 19 h 55, les cinq longues dernières minutes, deux présentateurs qui maintiennent un suspense insoutenable dans le commentaire oral comme à l’image… Puis le résultat, une première estimation qui ne laissait plus de doute quant au résultat définitif.
Habitant une commune où le scrutin était clos à vingt heures, je courus au bureau pour annoncer la nouvelle à Papa, qui avait été « réquisitionné » pour aider au dépouillement. A peine avais-je gravi les marches qui menaient au bureau que je percevais la liesse qui s’était emparée de bon nombre des personnes présentes. Eh oui, dans la ville dont Joseph Franceschi (qui aura occupé des fonctions de Secrétaire d’Etat sous les trois gouvernements de Pierre Mauroy puis de Laurent Fabius) était le Maire depuis dix ans, Alfortville [Val de Marne], ce fut une immense joie qui s’empara du plus grand nombre : slogans de victoire scandés à tue-tête, klaxons qui ce soir n’avaient rien d’intempestif.
A une époque où les « réseaux sociaux » n’existaient même pas en imagination, ce n’est qu’en revenant devant la télévision deux bonne heures plus tard que j’appris qu’une fête gigantesque se préparait Place de la Bastille ; la perspective de l’examen le lendemain matin me dissuada de m’y rendre. Mais j’eus beaucoup de difficultés à m’endormir, excité par la joie, la délivrance de l’attente et les espoirs en germe, augurant d’une récolte prochaine prometteuse.
Quarante ans après, le souvenir est intact. Quant au bilan des deux septennats sous la présidence de François Mitterrand, il est la réponse aux questions : en quel état a-t-il pris les commandes de la France, et dans quelle situation économique, sociale et culturelle se trouvait la France lorsqu’il ‘rendit les clefs’ ? Quel rang aura tenu la France dans le monde durant les quatorze années de sa présidence ? Certes, tout n’aura pas été parfait, quelques dispositions ou lacunes auront pu alimenter la critique, mais globalement le bilan est bon, très bon.
Par-delà l’allusion que j’ai faite ci-avant à la rapidité de circulation de l’information de nos jours, j’ai aussi le souvenir que le soleil d’espérance qui pointait à l’aurore du 11 mai 1981 aura quelque peu éclipsé la disparition d’un autre personnage, lui aussi de renommée mondiale et porteur d’espoirs pour les plus opprimés, Bob Marley. C’est plus de vingt-quatre heures après la disparition de ce dernier, le 12 mai en fin d’après-midi, que mes condisciples d’alors et moi-même apprirent le décès d’un des plus grand maîtres du rythme reggae et du mouvement rastafari. En 2021, même un jour marqué par l’avènement d’un nouveau Président, événement très commenté dans le monde entier, la célérité avec laquelle circulent les informations aurait fait connaître cet autre événement de portée mondiale en quelques minutes à toutes les personnes intéressées.
Disons que ce différé (m’) aura permis d’encore mieux savourer la victoire.
Philippe TCHAÏDJIAN