En avril 1975, une délégation du Parti socialiste conduite par François Mitterrand s’est rendue à Moscou. Pendant deux jours, elle a eu avec les dirigeants soviétiques Mikhaël Souslov et Boris Ponomarev des entretiens sur de nombreux sujets. L’un de ces entretiens a porté sur la situation au Portugal. En voici la teneur, d’après les notes prises par Claude Estier.
François Mitterrand — En ce qui concerne le Portugal, l’analyse est complexe. D’une façon générale, il y a les anticommunistes et il y a ceux qui ne sont pas communistes, comme les socialistes français, mais qui ne sont pas anticommunistes. Il faut être très précis dans la définition. Être concurrents des communistes ne peut signifier que l’on soit anticommuniste. On ne peut donc pas assimiler à l’anticommunisme le fait de se présenter en concurrent du Parti communiste. Au Portugal, communistes et socialistes sont devenus concurrents de façon désagréable. Il s’agissait d’apprécier la réalité du Mouvement des forces armées. Il y a toujours un problème quand l’armée devient un parti politique. Après discussions, les socialistes portugais ont accepté. La question a été résolue, mais elle se posait. Le Parti socialiste français a toujours recommandé aux socialistes portugais de rester alliés aux communistes. Et il ne faut pas oublier que tous les dirigeants socialistes ont lutté contre la dictature.
Mikhaïl Souslov — Alvaro Cunhal a passé quinze ans en prison.
François Mitterrand — C’est un homme remarquable, mais Mario Soares aussi et il faut trouver un terrain d’entente. Aucun parti de l’Internationale socialiste ne nous a demandé d’intervenir dans un sens anticommuniste. Nous pensons seulement que les communistes portugais ont été parfois trop violents dans leur langage et que les socialistes ne doivent pas être les seuls à faire des efforts.
Mikhaïl Souslov — Quand nous parlons des interventions des partis sociaux-démocrates, nous ne visons pas les socialistes français.
François Mitterrand — Si un parti social-démocrate est intervenu dans un sens anticommuniste, il a eu tort.
Mikhaïl Souslov — Nos relations sont plus étroites avec le Parti communiste portugais. nous connaissons bien Cunhal et nous l’avons vu plusieurs fois à Moscou. Nous avons eu également des entretiens avec Soares. Notre attitude est la non-ingérence dans les affaires du Portugal. Mais le véritable danger vient des anciens partisans de Salazar et de Caetano et non des communistes. Le P.C. portugais n’est pas dirigé par des aventuriers, mais il cherche à unir les forces démocratiques et à développer leur cohésion.
François Mitterrand — Il n’y aura pas de difficultés pour nous entendre sur le refus de toute ingérence au Portugal et sur la préservation des chances de l’union des forces démocratiques. Nous ne nous associerons à aucune démarche contre le P.C. portugais.
Mikhaïl Souslov — C’est avec plaisir que nous prenons note de cette déclaration.
François Mitterrand — Le gouvernement portugais a raison de vouloir modifier les structures économiques du Portugal. Des pressions capitalistes s’exercent en sens contraire. Mais elles ne passent pas par nous.
Boris Ponomarev — Là est bien la différence d’appréciaton ; non pas avec vous, mais sur ce problème du Portugal.
François Mitterrand — Disons que nous y avons des amis privilégiés différents… Nous n’avons pas d’intérêt à des complications internationales à propos du Portugal. Dans les Pays de l’Europe du Sud, la gauche est en pleine évolution. C’est un phénomène nouveau auquel nous somme particulièrement attentifs.