Il est une idée qui revient souvent dans les discours de François Mitterrand, c’est celle que la France était en mesure de porter au monde le langage de l’universalité et que cette légitimité lui était acquise par l’expérience politique et sociale unique qu’a été la Révolution de 1789. Cette idée traverse par exemple, tout le discours (dit de Cancun) qu’il prononce lors de son voyage officiel au Mexique les 19, 20 et 21 octobre 1981.
« Aux fils de la Révolution mexicaine, j’apporte le salut fraternel des fils de la Révolution française. Ni le Mexique, ni la France ne peuvent se détourner des sources vives de leur passé révolutionnaire sans se renier et, à terme, sans se scléroser. Adultes, maîtres d’eux-mêmes, en pleine ascension, nos deux pays n’ont pas seulement pour mission de faire entrer des principes dans la vie, chez eux, mais de les faire connaître partout où ils sont bafoués.(…) Chacun admet que votre pays se distingue, dans le contexte qui est le sien, par deux traits remarquables : la stabilité politique et l’élan économique. Si l’on y regarde de près, ces deux mérites qui vous honorent sont porteurs de messages qui intéressent le monde entier et, en particulier, je crois, le continent américain.
Le premier message est simple mais, apparemment, il n’est pas encore entendu partout. Il dit ceci : Il n’y a et ne peut y avoir de stabilité politique sans justice sociale. Et quand les inégalités, les injustices ou les retards d’une société dépassent la mesure, il n’y a pas d’ordre établi, pour répressif qu’il soit, qui puisse résister au soulèvement de la vie. (…) Le second message du Mexique, à valeur universelle, je l’énoncerai volontiers ainsi : il n’y a pas de développement économique véritable sans la préservation d’une identité nationale, d’une culture originale. Le Mexique a fondu dans son creuset trois cultures et leur synthèse a donné à votre pays la capacité de rester lui-même. (…) Mais nos héritages spirituels, plus vivants que jamais, nous font obligation d’agir dans le monde avec un esprit de responsabilité. Chaque nation est, en un sens, son propre monde : il n’y a pas de grands ou de petits pays, mais des pays également souverains, et chacun mérite un égal respect. Appliquons à tous la même règle, le même droit : non ingérence, libre détermination des peuples, solution pacifique des conflits, nouvel ordre international. De ces maîtres-mots qui nous sont communs, la France et le Mexique ont récemment tiré la conséquence logique. Je veux parler du Salvador. »
Ce discours est effectivement accompagné d’une initiative sans précédent concernant ce pays. Au moment de cette prise de parole, cela fait plusieurs années que celui-ci subit une guerre civile qui met aux prises forces gouvernementales et guérilla. Par ailleurs, au Nicaragua, les sandinistes, d’obédience marxiste, sont au pouvoir après le renversement en 1979 du dictateur Somoza. Ronald Reagan, qui vient d’être élu, entend mettre fin par la force à ces « expériences subversives ». Le Mexique craint que Washington, avec ce type d’initiative, mette à feu toute la région. Des contacts franco-mexicains se sont multipliés sur ce sujet. Ils aboutissent, le 28 août 1981, à la remise en commun au Président du Conseil de Sécurité de l’ONU d’une déclaration qui reconnaît les diverses composantes de l’opposition armée salvadorienne comme « forces politiques représentatives » et estime qu’il serait « légitime que la gauche salvadorienne participe à la solution politique de la crise ». Première intervention d’un Etat européen dans les affaires inter-américaines depuis la doctrine Monroe, cette déclaration prend de court et irrite profondément Washington.
On retrouve cette référence à la Révolution française dans de nombreuses occasions. Par exemple, devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 29 septembre 1988. En conclusion du discours qu’il prononce sur le désarmement – plaidant pour une réduction prioritaire des armes conventionnelles – sur l’évolution des conflits régionaux et, aussi, sur les déséquilibres dont souffre le tiers-monde, « pires que la guerre », il évoque les principes qui ont fondé la République française :« Il y a deux siècles, la France a entrepris une révolution, sa révolution, qui a marqué le cours de l’Histoire. Elle a, de la sorte, pris rang dans la bataille jamais gagnée et toujours nécessaire pour plus de liberté, d’égalité et de fraternité. Au moment où nous nous apprêtons à fêter ce Bicentenaire, déclare-t-il, défendons donc plus que jamais les Droits de l’Homme, des plus anciennement reconnus aux plus nouveaux Droits de l’homme, droits des peuples, droits de l’humanité. »
Dix mois plus tard, il réunira sur le Parvis des Libertés et des Droits de l’homme, pour la célébration du Bicentenaire de la Révolution, une trentaine de Chefs d’Etat et de gouvernement, avec au premier rang George Bush, Helmut Kohl, Margaret Thatcher, la Philippine Cori Aquino, l’Indien Rajiv Ghandi, l’Egyptien Hosni Moubarak ou le Canadien Mulronney.