J’ai une dette inextinguible vis-à-vis de François Mitterrand : son attaque de la V° République a constitué le socle de ma prise de conscience que ce régime n’était pas bon pour la démocratie.
Sans doute « Le coup d’Etat permanent » contient-il des formules que l’expérience et la pratique ont permis de dépasser. Mais l’essentiel du procès demeure : « Qu’est-ce que la V° République sinon la possession du pouvoir par un seul homme dont la moindre défaillance est guettée avec une égale attention par ses adversaires et par le clan de ses amis ? ».
François Mitterrand a pris dès l’origine (en 1958 en votant Non au référendum, puis en 1964 avec son fameux réquisitoire) le parti d’une opposition radicale et frontale contre un système dans son ensemble. Il a su politiser et donc populariser des questions institutionnelles en dévoilant leur nature antidémocratique. C’est pour une bonne part ce capital fait d’intransigeance et d’audace qui l’a rendu audible dans l’opinion par-dessus les grands partis de gauche de l’époque. Sa victoire en 1981 est aussi dans cette démarche.
L’exercice du pouvoir ne permit pas de voir cette vision tenir ses promesses. François Mitterrand avait d’ailleurs averti en conclusion de son ouvrage : « Je n’ai pas tracé les lignes d’un programme d’action mais seulement tenté de rappeler les principes sans lesquels l’autorité devient tyrannie et l’ordre injustice ». Et les partis de gauche, singulièrement timorés sur ce plan, rédigèrent un Programme commun de gouvernement où l’essentiel de la République bonapartiste restait en place. Leur incapacité à tenir une ligne indépendante sur des problèmes concrets d’exercice du pouvoir amplifia la reproduction des déséquilibres dans la République.
Beaucoup d’occasions de restaurer la dignité parlementaire et la responsabilité gouvernementale furent ratées. A cela une raison de conjoncture qu’évoque bien Pierre Joxe : « Pourquoi Mitterrand n’a guère cherché à modifier les institutions ? Il n’en éprouvait pas le besoin car il a disposé lorsqu’il avait la majorité, d’un groupe socialiste important, solidaire et discipliné ». Remarque qui devrait nous inciter aujourd’hui à réfléchir au statut et à la fonction du Parti socialiste vis-à-vis du pouvoir d’Etat quand les siens l’exercent. Le présidentialisme a inexorablement rongé la gauche au point que le seul président qu’elle ait porté au pouvoir l’avouait crûment : « Ces institutions étaient dangereuses avant moi et le resteront après moi », disait d’expérience François Mitterrand au soir de son deuxième septennat.
Je crois rester fidèle à ses convictions en prônant aujourd’hui l’avènement d’une 6e République. Une République primo ministérielle qui mettrait la France de plain-pied avec les autres pays membres de l’Union Européenne, ce qui pourrait favoriser la reconstruction politique de celle-ci. C’est un régime où nous retrouverions les mérites de la responsabilité pleine et entière des gouvernants (l’accountability anglo-saxonne) sans laquelle la confiance des gouvernés se perd durablement. C’est un régime où le contrat de législature pourrait enfin montrer son efficience politique et programmatique. C’est un régime où les contre-pouvoirs, y compris au sein de l’exécutif entre le Président et le Premier ministre retrouveraient leur légitimité. Une société du respect pourrait naître de ce changement qui sera moins juridique que démocratique tant il est vrai que les institutions sont partie prenantes de la question sociale.
Voilà pourquoi j’ai choisi de me rendre chaque fin d’été à Jarnac pour y tenir, depuis 2004, l’université de la Convention pour la 6e République que j’ai fondée. Si je m’incline à cette occasion sur la tombe de François Mitterrand c’est pour lui rendre hommage pour ce combat contre la Constitution issue du coup d’Etat du 13 mai 1958. Je crois aujourd’hui que ce rêve d’une République démocratique pleine et entière reste une idée moderne que nous lui devons.