L’étude des affiches électorales qui ont été diffusées en faveur de François Mitterrand lors des quatre élections présidentielles auxquelles il s’est présenté répondait à un triple objectif. Nous avons en effet d’abord voulu appréhendé les évolutions du rôle autant que de la place d’un médium particulier au sein d’une série de campagnes présidentielles, en l’occurrence celles des affiches électorales. Mais nous avons également cherché, plus généralement, à comprendre les mutations qui ont affecté la communication politique française depuis les années 1960 jusqu’à la fin de la décennie 1980.
Notre ambition, enfin, était d’apporter un nouvel éclairage au parcours politique de François Mitterrand, une analyse de ses différentes propositions autant que des stratégies qu’il a mise en œuvre pour les promouvoir, et cela par le biais de l’étude d’une source historique dont l’apport a été trop longtemps négligé. Nous avons, pour notre étude, constitué un corpus d’une cinquantaine de tracts et affiches. Il n’est certes pas exhaustif mais comporte des affiches issues de chacune des différentes formations politiques qui ont été amenées, durant ces quatre campagnes, à militer en faveur de François Mitterrand. L’étude centrale de ce corpus a été complétée par celle d’autres catégories, plus classiques cette fois, de sources historiques. C’est ainsi que nous nous sommes intéressés à plusieurs organes de presse1 pour éclairer notre réflexion.
Notre travail a donc consisté à mettre à jour une série d’évolutions, une dynamique essentielle affectant la communication politique française et parfaitement illustrée par l’exemple précis des affiches présidentielles de François Mitterrand a ainsi pu être confirmée. Il s’agit du passage progressif au marketing politique, à la modernité pour certains, aux prémisses de la « politique-spectacle » dénoncée par d’autres. C’est cette évolution que nous avons choisie, de développer plus particulièrement. Nous allons pour cela illustrer les quatre campagnes présidentielles concernées par l’affiche officielle que François Mitterrand a décidé de présenter en vue du premier tour de chaque scrutin.
L’étude gagnerait bien sûr à être nuancée par une confrontation avec les autres affiches du corpus, néanmoins, chacune de ces affiches officielles est parfaitement représentative de la campagne dans laquelle elle s’inscrit. Nous avons choisit de maintenir la structure de notre développement en individualisant l’étude de chacune des quatre élections, néanmoins, il convient d’opérer dès à présent un rapprochement entre les deux premières d’une part, et les deux dernières de l’autre. Les élections de 1965 et de 1974 en effet, ne se répondent pas seulement par leurs issues mais également dans la stratégie électorale alors mise en œuvre par François Mitterrand et son équipe. Si lors des deux premières campagnes présidentielles, ils cherchent à convaincre l’électorat par le discours, lors des deux suivantes en revanche, c’est l’image du candidat qui prime, l’objectif est devenu la séduction. Après avoir brièvement replacé chacune des quatre campagnes dans son contexte et rappelé dans quelles circonstances François Mitterrand les aborde les unes après les autres, nous allons donc nous focaliser sur ses affiches officielles et tenter d’évaluer leur portée, à court comme à long terme, ainsi que leur symbolique générale.
Le 5 décembre 1965 a lieu le premier tour d’un scrutin présidentiel français au suffrage universel direct. La victoire du Général de Gaulle ne fait aucun doute, celui-ci tarde pourtant à annoncer sa candidature et ne juge pas nécessaire de profiter pleinement des moyens de propagande qui sont mis, par la loi, à sa disposition ainsi qu’à celle de ses adversaires.
Qui sont, dans ce contexte, ceux qui ont eut l’audace pour certains, l’inconscience pour d’autres, de se lancer dans cette bataille perdue d’avance ? Peu s’y risquent en vérité, à côté de trois « petits »2, d’autant plus qu’aucun ne veut compromettre l’un des siens dans cette future évidente défaite.
La SFIO de Guy Mollet milite en faveur du « candidat unique de la gauche » pendant que le Parti communiste de Waldeck Rochet, et ses militants surtout, déploient une vaste campagne de propagande (le terme est utilisé jusque dans les années 1980) en faveur de l’« Union » et de François Mitterrand. Pour autant et malgré, au final, le concours de l’ensemble des formations se réclamant alors des valeurs de la gauche française, François Mitterrand tient à affirmer son indépendance lors de cette campagne présidentielle. C’est ainsi qu’il s’entoure de ceux qui forment ce qu’il est convenu d’appeler « l’équipe Mitterrand »3, cette poignée de collaborateurs, pour la plupart des amis du candidat, va elle-même se charger de la conception de l’affiche officielle de François Mitterrand.
Ces hommes, même s’ils sont pour la plupart depuis longtemps impliqués dans la vie politique française, ne sont en aucun cas des professionnels de la communication politique. Ils n’ont en outre à leur disposition que de bien faibles ressources financières, les fréquentes souscriptions publiques qu’ils font diffuser par Le Monde n’en étant qu’une des confirmations. Il est donc normal que dans ces conditions, l’affiche officielle de François Mitterrand frappe de prime abord par son caractère artisanal.
Cette affiche est le fruit du travail d’hommes qui, comme François Mitterrand, se sont formés durant la IVème République française. L’imagerie est simple, sobre et rigoureuse, le candidat y est photographié de face, le visage tourné vers la gauche de l’affiche. Il est classiquement amputé de la partie inférieure de son corps et porte les signes vestimentaires traditionnels de la respectabilité sociale. Rien dans le contenu iconographique de cette affiche ne contredit son sérieux, ni l’expression solennelle, résolue et quelque peu austère de François Mitterrand, ni le décor industriel ni même encore cette couleur si particulière. Les concepteurs de cette affiche ont en outre voulu réserver une large place au texte. Le message est clair, comme pour celui délivré par les images, la visée semble avoir été que l’électorat comprenne rapidement qui était ce candidat et quel était son projet politique. François Mitterrand est avant tout « le candidat unique de la gauche » et il axe sa campagne vers la promotion de thèmes traditionnellement incarnés par la gauche française : le rêve en un « avenir » meilleur, placé sous le signe de la « modernité » (alors synonyme d’industrialisation). La défense des valeurs de la gauche unie qu’il représente occupe une place de premier plan durant la première campagne présidentielle de François Mitterrand, dont la dénonciation du régime en place et de l’homme qui l’incarne est une autre caractéristique essentielle.
Le Général de Gaulle étant de loin le favori du scrutin, c’est vers lui que se dirigent prioritairement les attaques de ses adversaires. C’est la raison pour laquelle cette affiche insiste sur la jeunesse de François Mitterrand. Il tient pour finir à rappeler le nouveau rôle que donne son projet aux citoyens français, ceux-ci sont, à l’impératif, encouragés à prendre leur avenir en main, François Mitterrand est un candidat sérieux qui fait appel à la responsabilité de son électorat.
Au soir du 19 décembre 1965 finalement, c’est bien le Général de Gaulle qui remporte l’élection mais, il lui a fallu deux tours de scrutin pour cela et consentir à se plier aux règles du suffrage universel. François Mitterrand, quant à lui, ne subit qu’un demi échec, avec de bien faibles moyens, il a réussi à rivaliser avec le pouvoir. Il est surtout, avec l’aide de son équipe, parvenu à se forger une nouvelle image de marque et à s’imposer comme le nouveau leader de la gauche française.
Après la sévère défaite du socialiste Gaston Deferre au scrutin présidentiel de 1969, François Mitterrand revient au tout premier plan de la scène politique en s’imposant comme le premier secrétaire du nouveau Parti socialiste français lors du Congrès d’Epinay de juin 1971. C’est alors que, fidèle à la stratégie qui lui a permis d’accéder au second tour de l’élection de 1965, François Mitterrand va œuvrer en faveur de l’union des partis de gauche. Le 27 juin 1972, un « Programme commun de gouvernement » est signé entre socialistes, communistes et radicaux et l’alliance est pour la première fois présentée aux électeurs lors des législatives de 1973. L’union est donc pleinement réalisée quand, le 2 avril 1974, survient le décès du président Georges Pompidou. Cette seconde présidentielle s’ouvre donc d’une façon brutale et soudaine, il faut rapidement s’organiser mais François Mitterrand préfère, cette fois, attendre d’être plébiscité par l’ensemble des partis signataires du Programme commun pour annoncer sa candidature. C’est ainsi que la campagne de 1974 va se distinguer de la première par son caractère proprement partisan, même si François Mitterrand, va, une nouvelle fois, chercher à conserver une certaine indépendance. Cette campagne présidentielle va également s’illustrer par son extrême bipolarisation, il y a exactement deux fois plus de candidats en lice4 à ce premier tour de scrutin qu’à celui de 1965, néanmoins, le duel de la droite contre la gauche incarné par MM. Giscard d’Estaing et Mitterrand va rapidement concentrer les débats.
La campagne présidentielle de 1974 est celle dont notre corpus est le plus abondamment fourni. Les formations de gauche, partis socialiste et communistes largement en tête, ont toutes en effet très activement milité en faveur de François Mitterrand et fait diffuser une grande variété d’affiches électorales durant cette courte campagne. Elles illustrent, pour la grande majorité, des points précis du discours de François Mitterrand, directement issus du Programme commun, il importe toujours de présenter un projet politique aux électeurs et d’argumenter en sa faveur. Mais en parallèle à cette forte mobilisation, François Mitterrand fait une nouvelle fois appel à ses plus proches collaborateurs5 et reconstitue une équipe personnelle de campagne, composée, cette fois, d’une soixantaine de politiques.
Les moyens qui sont mis à leur disposition sont nettement plus importants que neuf années plus tôt, même s’ils n’égalent en rien ceux dont dispose l’opposition, un effort financier considérable6 est toutefois consacré à l’affichage officiel. Une série d’affiches est ainsi largement diffusée, elles sont toutes conçues selon le même modèle qui, malheureusement, ne fait guère preuve d’originalité. Le fond bleu roi, peut-être, mais l’utilisation d’une couleur d’ordinaire réservée à la droite, n’est sans doute pas une particularité très positive.
Le portrait maintenant, qui constitue l’unique élément iconographique de l’affiche, frappe autant par sa taille que par son aspect. Représenté, certes de face et en gros plan, mais surtout en « format de timbre-poste »7, François Mitterrand semble toujours aussi solennel qu’en 1965 mais paraît, cette fois, plus crispé que réellement convaincu. Mais c’est que le décor semble avoir été dépouillé afin de mettre parfaitement en valeur le texte, qui remplit tout le reste de l’affiche. Il faut malheureusement souligné que la typographie, reprise d’ailleurs sur de très nombreux documents publiés en faveur de François Mitterrand, « à distance », « arrache les yeux ». Mais le problème vient, selon nous, davantage de la longueur excessive du slogan, constitué de deux longues phrases entre guillemets comme directement issues du discours du candidat.
La dynamique de persuasion est la même qu’en1965, il s’agit bien de convaincre l’électorat par le discours. François Mitterrand axe une nouvelle fois sa campagne sur la dénonciation du pouvoir en place auquel il oppose sa volonté personnelle, le slogan « la seule idée de la droite… » tente en outre de récupérer le thème de l’autogestion prôné par Mai 68. Il donne une image manichéenne du paysage politique français, il oppose radicalement les deux visions de la politique que représentent les principaux candidats à la présidence et prend à partie l’électorat qui semble devoir choisir entre un régime totalitaire et une démocratie améliorée. L’objectif visé est néanmoins atteint et François Mitterrand apparaît bel et bien aux yeux de ses électeurs comme un candidat proche de leurs préoccupations et dont les idées priment sur la personne. Son affiche apparaît néanmoins bien fade face à celle d’un Valéry Giscard d’Estaing souriant à sa fille, et ce n’est pas l’affiche en vue du second tour, une pâle copie de celle de son adversaire, qui a infléchit cette remarque.
Il ne faudrait pour autant pas conclure en la médiocrité de cette campagne d’affichage, les partis de gauche ayant en effet fourni un effort sans précédent dans ce domaine. La victoire, finalement, échappe de très peu à François Mitterrand, il semblerait bien que la meilleure image de marque de Valéry Giscard d’Estaing ait contribué à son succès et François Mitterrand compte bien en tenir compte lors du prochain rendez-vous.
La campagne présidentielle de 1981 s’ouvre sur une situation inédite à gauche, l’union a en effet volé en éclat aux dernières municipales de 1977 et François Mitterrand doit pour la première fois faire face à un adversaire issu du Parti communiste : Georges Marchais. François Mitterrand se trouve en outre confronté à d’autres candidats qui, comme lui, entendent représenter la gauche lors de ce scrutin12, en face, c’est également par ordre dispersé que se présente la droite, Valéry Giscard d’Estaing devant notamment faire face à la dangereuse candidature de Jacques Chirac.
La campagne est donc nettement moins partisane que la précédente et marque une véritable rupture dans la stratégie communicationnelle de François Mitterrand. Une rupture qu’il semble avoir anticipée depuis quelques temps déjà, il fait en effet appel, dès 1977, au publicitaire Jacques Séguéla et à son équipe de volontaires de l’agence RSCG pour concevoir ses affiches électorales. C’est donc toujours accompagné de son équipe personnelle qu’il compte aborder cette troisième échéance présidentielle mais celle-ci est maintenant composée de professionnels qui proposent d’adapter les techniques du marketing à la promotion du candidat socialiste. François Mitterrand peut également compter sur le soutien de son parti, qui, devenu la principale force d’opposition du pays, déploie une vaste campagne d’affichage moderne et créative en faveur de son candidat. Le corpus insiste avant tout sur le programme politique que François Mitterrand défend et sur ses « 110 propositions » concrètes. Mais malgré cet indéniable effort, c’est le travail des publicitaires qui va durablement marquer les esprits et notamment l’affiche officielle qu’elle a conçue pour François Mitterrand.
Jacques Séguéla et son équipe vont certes devoir travailler en étroite collaboration avec les hommes, que nous connaissons déjà, et qui constituent l’état-¬major traditionnel du candidat socialiste mais la campagne qui en découle n’est plus politique, comme les précédentes ou encore celle menée par le Parti socialiste, mais bel et bien médiatique. Tous les médias en effet vont être mobilisés afin de forger une nouvelle image de marque à François Mitterrand, à la fois tendance et cohérente avec la sérénité déjà mise en valeur par la campagne socialiste. Dans ce contexte, et malgré l’importance fondamentale prise alors par la télévision, une somme sans précédent est allouée à l’affichage. Les différentes vagues de cette campagne sont toutes produites en format « double panneautage » de quatre mètres sur trois à l’instar des affiches publicitaires.
C’est celle qui est sensée illustrer la « réalité psychologique »8 du candidat socialiste qui est restée pour la postérité. Une analyse sociologique pratiquée au préalable sur un échantillon représentatif de l’électorat souligne un recentrage des mentalités sur les valeurs traditionnelles. Les Français rappellent certes qu’ils aspirent à des changements profonds en politique mais se méfient néanmoins des bouleversements trop radicaux. L’objectif est double : il faut à la fois proposer une alternance à ce que les Français connaissent déjà tout en les rassurant et en dédramatisant l’éventualité d’un changement politique inédit.
De cette démarche aboutit une affiche mythique dont le slogan d’abord nous frappe du fait de sa place, il domine et illustre l’affiche en étant centré tout en haut. La formule est d’Anne Storch, une des bénévoles de l’agence publicitaire de Jacques Séguéla, l’emploi de « la » plutôt que « une » ainsi que le point final renforcent l’évidence de la déclaration : la force de François Mitterrand est issue de sa sérénité. Lui répond, en bas à droite, tel une signature, le sempiternel « Mitterrand Président » qui plus que jamais semble s’imposer comme une évidence et anticiper un résultat dont chaque électeur ne doit plus douter.
François Mitterrand, quant à lui, est au premier plan, il affiche un visage détendu, souriant et rassurant. Le décor finalement est en parfaite adéquation avec les messages déjà délivrés, il s’agit d’un paysage parfaitement harmonieux, au relief adouci et aux couleurs pastels. Les concepteurs n’ont pas hésité à opérer les retouches qui leur semblaient nécessaires, c’est ainsi que le ciel apparaît tricolore et que le petit clocher de Sermages, représentant à lui seul la tradition rurale, profonde et historique de la France, perd sa flèche jugée trop agressive. Cette affiche, à la portée universaliste, signe bien le triomphe du marketing politique, de l’image sur le discours et de l’extrême personnalisation des campagnes présidentielles françaises.
La force tranquille et le changement de stratégie électorale qu’elle illustre durent probablement contribuer à la victoire historique de François Mitterrand, le 10 mai 1981, quoi qu’il en soit, elle en devient le symbole et a posteriori, une véritable référence en matière d’affichage politique en France. La situation dans laquelle se trouve François Mitterrand à la veille de la campagne présidentielle de 1988 est, pour lui, totalement nouvelle.
Alors qu’il a abordé les trois précédentes élections entant que leader de l’opposition, il se retrouve cette fois dans la position traditionnelle de ses adversaires, celle du président qui doit défendre sa place. En conformité avec les espoirs du candidat socialiste, il est, en outre, le seul maître à gauche et c’est en ordre très dispersé et sans réelle motivation que les autres partis de son camp se lancent dans la course9. Néanmoins, tout n’est pas si simple pour François Mitterrand, il est vrai qu’il se trouve dans une situation qu’aucun de ses deux précédents adversaires n’a connue.
Depuis les élections législatives de 1986 en effet et la défaite de la gauche, il est contraint de cohabiter avec un Premier Ministre de droite, Jacques Chirac en l’occurrence, qui devient assez logiquement, deux ans plus tard, son principal adversaire dans la course présidentielle. Ces conditions inédites promettent une campagne présidentielle totalement nouvelle, le bilan du septennat devant être, à la fois, assumé par les deux principaux postulants au titre. Probablement davantage par stratégie que par réelle hésitation, François Mitterrand va longtemps laisser planer le doute sur sa candidature et alors que le Parti socialiste cherche à combler l’espace avec une série d’affiches vantant le septennat écoulé, Jacques Séguéla et son équipe sont, une nouvelle fois, mis à contribution. L’affiche de précampagne qu’ils conçurent, Génération Mitterrand, est un pur produit du marketing politique totalement révolutionnaire qui préfigure la dernière affiche officielle de François Mitterrand, qui va rester comme un véritable modèle du genre.
Les publicitaires vont une nouvelle fois cherché à exploiter les versants positifs de l’image de marque du président. Or, François Mitterrand a su avec habileté transformer ces deux années de cohabitation à son avantage, face à un Premier Ministre confronté aux problèmes économiques et sociaux du pays, il s’est forgé l’image d’un président-arbitre et a compris qu’après ce septennat troublé les Français attendent du chef de l’Etat qu’il se comporte « en médiateur, en gardien de la cohésion sociale. »10 C’est alors que surfant sur la vague de la tontonmania, les concepteurs de l’affiche officielle de François Mitterrand vont présenter le « chef providentiel » que les Français attendent.
Le fond est bleu sombre, une couleur rassurante et un nouveau pas a été franchi depuis 1981 sur la route de la personnalisation : plus aucun élément iconique n’accompagne en effet le portrait de François Mitterrand, plus non plus de logo ni de parti politique, le nom même du candidat a disparu. La Légion d’Honneur seulement a été ajoutée au costume traditionnel du candidat en campagne, sa posture en revanche est tout à fait exceptionnelle. François Mitterrand est photographié en contre-plongée et surtout, de profil ce qui est totalement inédit en matière d’affichage électoral. Le « regard-perspective » du Président de la République symbolise l’avenir qu’il promet à ses électeurs et il est dirigé vers le slogan de l’affiche, qui tient lieu de programme au candidat socialiste et définit, à lui seul, son bilan tout autant que son projet politique : La France Unie.
L’absence d’éléments parasites clarifie parfaitement le message : « la France unie c’est Mitterrand », la référence au pays tout entier et l’adjectif « unie » sont là pour illustrer la visée universaliste et plus du tout partisane de cette affiche. Le slogan est néanmoins éminemment politique, il semble suggérer que François Mitterrand est prêt à se rapprocher du centre en cas de réélection. Cette affiche a été pensée dans le détail, tous les éléments se répondant entreeux et elle sera reprise au second tour, La France unie étant alors réellement en marche. François Mitterrand a choisi de faire campagne sur la continuité, assumant parfaitement son bilan, il encourage les Français à le laisser poursuivre son travail auquel il semble donner une dimension historique, la stratégie multimédia adoptée par Jacques Séguéla va faire de cette affiche le fil rouge de la campagne du candidat socialiste et on la retrouve, par exemple, à la fin du fameux « clip » de campagne.
En misant tout sur son image durant cette campagne présidentielle, François Mitterrand remporte, au soir du second tour, une victoire éclatante. Après avoir, il y a vingt-trois années, tenté de « tuer le mythe » de Gaulle, c’est lui, cette fois, qui a imposé l’image d’un personnage mythique. Bien sûr, la télévision est le médium clé de cette campagne, les affiches n’ont néanmoins pas disparu et conservent leur rôle d’entraînement médiatique. La France Unie illustre à elle seule, l’entrée de plain-pied dans l’ère du marketing politique et le triomphe de l’image symbole sur le discours politique.
De François Mitterrand, notre travail confirme la grande habileté politique et s’il est vrai qu’il n’a pas toujours fait campagne sur les mêmes thèmes, on ne peut pour autant dire qu’il ait changé de programme politique, disons juste que celui-ci s’est considérablement réduit au profit de l’image de marque d’un président. C’est dans ce domaine justement que notre étude a mis à jour le plus d’évolutions, François Mitterrand s’affiche d’abord comme le « jeune aventurier » puis comme le « sage » « rassembleur » avant de finalement vouloir incarner le rôle d’un « mythe » vivant.
Le passage progressif, et semble-t-il définitif, des anciennes méthodes de propagande politique au « tout marketing » en France ressort de cette étude spécifique. L’Etat et sa législation n’ont jamais réussi à empêcher ce phénomène, l’ont-ils d’ailleurs, un jour, vraiment voulu ? Quoi qu’il en soit, la hausse de l’influence des publicitaires dans les campagnes, qui ont fini d’imposer toutes leurs techniques a été proportionnelle à la chute de celle des partis politiques, réduits, pour les plus importants, à un simple rôle de relai. La métamorphose a été progressive et la seconde élection étudiée au sein de chacune de nos deux grandes sections initiales, marque toujours l’apogée du phénomène qu’elle illustre.
Les conséquences de cette évolution sur notre support d’étude sont d’abord la réduction progressive de l’affichage militant, désormais réservé aux petits candidats, au profit des formats commerciaux. C’est ensuite la visée même de l’affiche électorale qui s’en est trouvée modifiée : elle n’est plus appelée à convaincre le corps électoral mais à le séduire, les dernières affiches ne « parlent » plus, tout est dans la symbolique des représentations. Quant à leur place au sein des campagnes présidentielles, le marketing a certes signé la prépondérance de la télévision, néanmoins, ce sont les affiches qui fixent le ton général, elles nous apprennent toujours beaucoup sur les motivations du candidat dont elles vantent les mérites et certaines d’entre elles, d’ailleurs les plus « marketing », peuvent devenir des références, voire de véritables phénomènes culturels.
Il serait, pour finir, pertinent de confronter notre étude à celles des affiches d’autres candidats que François Mitterrand ainsi qu’à celles produites a posteriori. Une piste est peut-être à dégager de l’actualité récente, il s’est environ écoulé la même période entre la première et la dernière élection présidentielle auxquelles François Mitterrand a participé et, 1988 et l’échéance d’avril 2007. La scène politique française a globalement évolué dans la même trajectoire que celle que nous avons constaté mais les leaders des plus grandes formations sont d’une toute autre nature et le marketing s’est plus que généralisé, les dernières affiches officielles des candidats à la présidentielle sont de vraies mines d’informations.
Cliquez ici pour accéder à l’album photos regroupant des affiches du Ps et de François Mitterrand.
- Le Monde, L’Humanité, La Nouvelle Revue Socialiste par exemple]], nationaux, partisans et spécialisés, ayant couvert ces différentes campagnes présidentielles ainsi qu’aux témoignages publiés de certains de leurs acteurs, François Mitterrand en tête[[MITTERRAND François, Le coup d’Etat permanent, Paris, Julliard, 1964, 273 pages ; Ma part de vérité, Paris, Fayard, 1969, 207 pages ; La Rose au poing, Paris, Flammarion, 1973, 223 pages ; La Paille et le grain, Paris, Flammarion, 1975, 300 pages ; L’abeille et l’architecte, Paris, Flammarion, 1978, 402 pages ; Ici et maintenant : conversations avec Guy Claisse, Paris, Le Livre de poche, 1980, 308 pages.]]. Nous nous sommes, pour finir, reportés à différents sondages[[Notamment émis par l’Ifop et la SOFRES.]] pratiqués durant ces mois de campagne ainsi qu’à des tableaux de statistiques et de résultats[[Publiés par le Conseil Constitutionnel
- Publiés par le Conseil Constitutionnel.]], seuls deux candidats ont mené une campagne d’envergure, le candidat du MRP Jean Lecanuet dont la campagne a la particularité d’introduire les techniques du marketing politique nord-américain en France, et François Mitterrand. François Mitterrand n’est alors membre d’aucun grand parti politique français, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance qu’il préside n’a en outre qu’une bien modeste influence. Sa candidature n’est finalement que le fruit d’une démarche quasi personnelle et son annonce, le 9 septembre 1965, prend tout le monde de court. Mais les partis de gauche très vite voient les avantages qu’il y aurait à soutenir le jeune « aventurier »[[WINOCK Michel, 1965 : un président élu au suffrage universel !, dans L’Histoire, n°304, novembre 2005, page 83.
- MM. Dayan , Hernu, Legatte et Mermaz entre autres.
- Mme Laguiller et MM. Chaban-Delmas, Dumont, Giscard d’Estaing, Heraud, Krivine, Le Pen, Mitterrand, Muller, Renouvin, Royer et Sebag.
- On y retrouve, entre autres, MM. Dayan et Hernu10 Voir les chiffres avancés par Claude Perdriel dans COL¬.
- LIARD Sylvie, La campagne présidentielle de François Mitterrand en 1974, Paris, PUF, 1979.
- Voir les commentaires de MM. Benoît et Lech dans BENOIT JM et P et LECH JM, La Politique A L’affiche, Affiches Electorales et Publicité Politique (1965-1986), Paris, Du May, 1986.
- Outre M. Marchais, Mmes Bouchardeau et Laguiller et MM. Crépeau, Krivine et Lalonde.
- Les communistes Pierre Juquin et André Lajoinie et Arlette Laguiller
- Le Monde, Les leçons d’un président-candidat par Alain Rol¬lat, les 21 et 22 février 1988.