Le Centre d’histoire sociale du XXe siècle (Paris 1/CNRS), le Centre d’histoire de Sciences Po, la Fondation Jean Jaurès et l’Office universitaire de recherche socialiste se sont associés les 17 et 18 novembre 2011 pour tenter de faire le point sur la « décennie d’exception » des socialistes français. Pour l’institut François Mitterrand, Caroline Bouchier a réalisé un compte rendu de ces rencontres.
Sans tomber dans l’illusion rétrospective d’une victoire annoncée, le colloque « Les socialistes d’Épinay au Panthéon, une décennie d’exception » exprime bien la volonté de se garder de tout angélisme en ne réduisant pas les mutations qui ont conduit au 10 mai 1981 à la seule figure providentielle de François Mitterrand, ou dans une vision plus critique, à un élargissement du parti à toutes les sensibilités se réclamant dans cette décennie des idées de gauche.
L’objet de ces deux journées a consisté dans l’étude des diverses facettes d’une force politique renouvelée et tendue vers la conquête du pouvoir, de sa singularité au sein du système politique et de la société française ainsi que des différentes temporalités qui rythment cette décennie. La grand mérite de ces deux journées a été de considérer le sujet à une échelle fine : géographique quand il a été question des implantations territoriales, sociale pour étudier le processus de renouvellement et de professionnalisation, et politique puisque c’est dans le détail précis des thèmes proposés qu’il est possible de faire la part de la stratégie électorale et de la rupture idéologique. Ces deux journées ont fait le point sur une historiographie déjà balisée tout en sortant des récits lisses sur la décennie. Épinay et le 10 mai semblent clore un temps complexe de dynamiques mais aussi de tensions fortes qui s’expriment au Congrès de Metz dont la majorité des interventions soulignent l’importance à la veille de la campagne présidentielle qui mènera le parti à la victoire.
La première partie du colloque « un parti pour la conquête du pouvoir » s’est ouvert sous la présidence de Michel Pigenet, CHS du XXe siècle, qui a tenu à revenir sur le titre du colloque qui pouvait prêter à une lecture téléologique de la décennie 1970. Le colloque s’inscrit dans une historiographie et bien connue et c’est dans cette perspective qu’il faut revenir sur la construction du parti socialiste dans les années 1970. L’interrogation est alors double, celle de la réception par le PS des évolutions de la période qui animent la société et la gauche plus particulièrement après mai 68, et celle d’expliquer l’installation du PS dans cette société alors même qu’il se représentait comme un parti en marge des institutions.
Gilles Morin, CHS du XXe siècle, en introduction, est revenu sur le débat historiographique autour des temporalités de la mise en mouvement des socialistes. Dans la mise au jour des ruptures et des continuités de la période, la question de la mise en mouvement vers la conquête du pouvoir est une question à part entière. Suite au déclin de l’après-guerre, la SFIO est agitée par de nombreuses divisions concernant l’attitude à adopter face au parti communiste. En 1965, le ballottage de De Gaulle crée un sursaut. La question est alors de savoir si le renouvellement commence au milieu des années 1960, marquées notamment par un fort renouvellement des hommes, ou si ce sont 1969 voire 1971 qui marquent le tournant et l’amorce du renouveau. Toujours dans l’optique de ces temporalités complexes, il reste à déterminer la place de 1981. Année qui marque la préparation à la prise du pouvoir et l’effectivité de celle-ci mais peut-être aussi la fin d’une période : la fin du parti de masse et pour la société, la fin des Trente Glorieuses. Le temps court de la décennie est donc exceptionnel pour la complexité qu’il noue et les nombreuses perspectives qui s’y croisent.
Pour poursuivre ce temps de présentation, Alain Bergounioux, président de l’OURS et Inspecteur général de l’Education nationale, a remis en perspective « les temps de la marche au pouvoir ». La décennie 1970 est en effet un véritable paradoxe. La mémoire s’attache au souvenir d’une dynamique inégalée par la suite, tandis que dans les faits ces dix années sont beaucoup plus chaotiques et complexes. L’union, si elle est réelle en 1974, est accompagnée d’une défaite tandis que la fin de la décennie ouvre sur la victoire de 1981 dans un contexte de multiplication des divisions internes. D’où partir alors ? Le Congrès d’Épinay est fondateur puisqu’il inaugure une stratégie politique qui vise la construction d’une majorité. Ensuite, 1973 et 1974 sont les premières cristallisations de la stratégie d’union de la gauche mais 1974 représente aussi la première inflexion en provoquant de vifs débats entre les deux partis. Les deux défaites électorales de 1978 et 1979 montrent l’étendue des dissensions internes : le CERES de Chevènement s’oppose au rejet des communistes par le reste du parti, ne voulant pas entrer dans la social-démocratie que proposent les rocardiens. Ces derniers sur la droite de Mitterrand sont alors tentés par l’UDF, attirance qui participe aussi à la défaite de 1978. C’est alors que s’ouvre le Congrès de Metz, moment décisif qui voit le CERES et Deferre rejoindre Mitterrand, contre le projet social-démocrate de Rocard et de Pierre Mauroy. Mais plus que ces ralliements, ce sont surtout les erreurs de Rocard et de Marchais devant les médias qui confirment Mitterrand.
1981 peut se comprendre, en partie, par les paris de Mitterrand qui s’avèrent payants : continuer à soutenir l’union de la gauche après 1977 pour conserver l’énergie de cette dynamique, et utiliser les divisions de la droite mais aussi celle de son propre camp pour éliminer ses rivaux les plus dangereux.
Pierre Simon, Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3, ne pouvant être présent pour le colloque, c’est Gilles Morin qui s’est chargé de nous transmettre la communication concernant « le pouvoir dans un parti démocratique : Mitterrand et les courants ». Le congrès d’Épinay met en place les statuts du Parti Socialiste, et l’article 16 institue plus particulièrement le système des courants. Dans le texte, en théorie, un courant rassemble une sensibilité interne au parti qui s’exprime lors des Congrès par la présentation d’une motion et de candidats aux postes internes. Mais dans la pratique, les coalitions sont nombreuses et le leader compte autant que les idées. La question est donc de comprendre comment Mitterrand, qui l’emporte d’une courte majorité au congrès d’Épinay sur la direction sortante (48,7% contre 46,3% des mandats), parvient à affirmer son autorité dans la décennie en s’appuyant notamment sur cette logique des courants.
Le système des courants va rapidement permettre à Mitterrand de maîtriser le parti. Avec le congrès de Pau de 1975, l’idée majoritaire est définitivement acceptée et elle va de pair avec une représentation à la proportionnelle. Le secrétariat national devient l’expression de la majorité puisque comme le dit Pierre Mauroy, « il faut une unanimité de façade pour animer le parti ». D’un autre côté, le principe de la représentation proportionnelle, contre celui de la « reconnaissance des compétences de chacun », cher à Gilles Martinet, permet de restreindre le poids du CERES et des rocardiens dans les instances du parti. En parallèle de cette dynamique, Mitterrand travaille à l’élargissement de sa légitimité en tissant un réseau interne serré. Il crée par exemple le groupe des experts qui échappe au contrôle du parti puisque la composition est à la charge du premier secrétaire et les initiatives de nominations se multiplient sans attendre les Congrès.
Ce processus permet de comprendre la naissance de la « génération Mitterrand ». Nombre de jeunes socialistes, fraîchement entrés en politique comme les « Sabras » (Lionel Jospin, Laurent Fabius, Paul Quilès pour n’en citer que quelques uns), tissent des liens très personnels avec le secrétaire général. La particularité de ces jeunes parlementaires et jeunes délégués au sein du parti (Alain Vivien, Paul Quilès…) réside dans le fait qu’ils sont valorisés non pas pour leur attachement à un courant mais pour leurs compétences et leurs liens avec Mitterrand.
Les choix d’organisation et la nature du PS font que le pouvoir au sein du parti repose sur la capacité à rassembler les différentes sensibilités. C’est précisément le pari que fait Mitterrand dès 1973-1974. Il prête alors une attention très particulière au respect du principe proportionnel tout en s’attachant en parallèle à développer des liens personnels forts qui se substituent alors au principe majoritaire. C’est selon Pierre Simon, l’une des explications de la dureté de l’affrontement du congrès de Metz à la fin de la décennie.
A la fin de la matinée, c’est à une étude précise du cas de la Seine-Maritime que nous a invité Antoine Rensonnet, Université de Rouen, en posant la question de la traduction électorale de la rénovation du parti à l’échelle locale de ce département.
La particularité de ce département consiste dans la grande faiblesse du parti socialiste dans un contexte de forte industrialisation. Quand le parti communiste est bien installé, le parti socialiste rassemble 4,4% des suffrages pour Deferre en 1969. En 1981, la situation est inversée puisque 7 députés de la Seine-Maritime sont socialistes. Pour comprendre cette ascension, il faut distinguer deux périodes. La première qui court du congrès d’Épinay à 1977 est celle d’une adhésion rapide à la stratégie d’Épinay avec l’influence d’un leader, Laurent Fabius. La croissance des effectifs militants, si elle est générale en France, est bien plus forte en Seine-Maritime. Entre 1978 et 1981, la fédération est confrontée à une phase plus difficile durant laquelle les effectifs diminuent et la fédération connaît une période de stagnation. Le parti échoue aux élections législatives et la dégradation des relations avec le PC au niveau national se traduit en Seine-Maritime par le refus d’actions communes.
La rénovation du parti à l’échelle locale nourrit une dynamique électorale et ce malgré les difficultés de la fin de la décennie. Aux législatives de 1973, il n’y a pas encore de candidats dans toutes les circonscriptions et ceux qui se présentent récoltent, en moyenne, 16,5% des voix au premier tour. Cinq années plus tard, le PS réussit seulement à conserver le député déjà élu au début de la période tandis que le PC gagne deux sièges. Pourtant, si l’on se penche davantage sur le détail, 6 candidats dépassent 20 % des voix au premier tour. Globalement, il n’y a plus de zones de faiblesses. En 1979, le parti gagne 4 siège aux cantonales contre un seul pour le PC, la dynamique est confirmée en 1981, G. Marchais réalisant un score de 19,1 %, tandis que Mitterrand enregistre au second tour 55,5% des voix.
La rénovation et la modernisation sont des dynamiques pérennes. Le processus de renouveau qui se traduit directement dans les urnes se poursuit au-delà de la décennie et transforme le département en une fédération devenue « place forte » du parti socialiste.
Le jeudi après-midi était consacré aux relations entre le PS et les autres, envisagés comme forces politiques, mouvements… Jean-François Sirinelli, Centre d’histoire de Sciences Po, qui présidait la séance, a rappelé qu’il s’agissait d’appréhender la différence autant comme une distance qu’en termes de représentations. Pour ouvrir l’après-midi, Ismaël Ferhat, Centre d’histoire de Sciences Po, a présenté ses recherches sur les liens entre le PS et la galaxie laïque. Les mouvements laïcs sont traditionnellement très proches du PS. La décennie 1970 va faire de cet attachement une des ressources politiques pour la conquête du pouvoir, cependant que les liens avec cette galaxie sont de plus en plus remis en cause. Le terme de « galaxie » renvoie au principe de gravitation dans une coalition militante des organisations et des hommes. Le tout formant un ensemble rendu très cohérent autour du PS avec la FEN, la Ligue de l’enseignement, la FCPE, les œuvres mutualistes, les syndicats d’enseignants, des organisations philosophiques (Grand Orient, Libre Pensée, rationalistes) et des organisations proches comme la CGT SFIO, la fondation Léo Lagrange…
Dans la première partie de la décennie la galaxie laïque se redéfinit profondément. Les mitterrandiens apportent des réseaux légèrement différents. La stratégie d’union avec le PC accroît les tensions et provoque par exemple la rupture avec le GDOF de Frédéric Zehler qui était plus proche de la SFIO. La fragilité des liens avec la galaxie est exacerbée par la fragmentation des réseaux laïques au sein des différents courants du PS. A partir de 1974, un processus d’unification des réseaux laïcs s’amorce à la faveur des assises du socialisme de l’automne mais pas seulement. Des batailles communes autour de l’éducation ressoudent les liens. Les limites de cette unification viennent de l’éclatement inhérent des réseaux et de l’évolution de la thématique « laïcité » au sein du PS. Le thème sort du noyau lexical dès 1971 et les discours s’assouplissent. En 1977, la victoire aux municipales dans l’Ouest pose la question de la pertinence de la position laïque d’un point de vue électoral et local.
Cette contribution permet de comprendre que si la proximité reste la règle, les tensions vont croissante durant la décennie. D’une tradition culturelle, la position laïque du PS devient, de plus en plus, une prise d’intérêts croisés avec la galaxie, provoquant des phases de flux et de reflux.
Philippe Buton, Université de Reims, est ensuite intervenu sur « gérer la contestation gauchiste ». Juste après 1968, le PS a entretenu des relations assez durables avec le PSU et la Ligue Révolutionnaire. L’intérêt du PS pour ces organisations s’écroule dans la décennie, même s’il maintient sur elles un regard globalement assez favorable (les critiques apparaissent tardivement, en 1976).
Pour ce qui est du PSU et de la Ligue, les relations fortes, lors de l’interdiction de la Ligue en 1973, ou des campagnes de 1974 et 1981, vont dans le sens de préoccupations électorales et d’image avant tout. Avec l’Organisation communiste internationaliste, les liens sont peut-être un peu plus profonds. Dès 1980, les lettres et rencontres se multiplient entre le secrétariat aux relations extérieures et les cadres de l’OCI, comme Cambadélis. Des relations étroites se tissent entre les deux organisations si bien que l’OCI assure le service d’ordre lors du 10 et du 21 mai 1981. Cette entente s’explique par la ligne unitaire défendue par l’OCI pour les présidentielles, mais aussi par les liens nourris de rencontre dans les mouvements et associations frères comme la MNEF, FO… Un élément clef a sûrement été l’assagissement des organisations d’extrême-gauche, cherchant à tisser des liens avec le PS. A la suite de 1981, on constate même des mouvements d’adhésions comme celle de Cambadélis et de ses camarades de l’UNEF-ID.
Il est clair que le PS n’a jamais été mis en difficulté par l’extrême-gauche, au contraire, il a su gérer ses relations pour s’afficher comme un parti défenseur des libertés et résolument engagé à gauche. Reste à savoir jusqu’où sont allées les volontés de rapprochement. Sur le plan culturel, il est notable que l’arrivée de ces militants, après 1968, a participé à la diffusion de la fibre libertaire et communiste dans le grand parti de gauche en construction.
L’intervention de Serge Dandé, CHS du XXe siècle, a traité des relations avec le PC sur la décennie. La stratégie d’union est menée dans un climat de divisions et de tensions fortes. Chaque formation compte sur ses propres forces et essaye de capitaliser la dynamique pour son compte dans la perspective de 1981. Trois phases d’accalmie se détachent pourtant, correspondant toutes à des périodes électorales (1972-1973 puis 1974 et enfin 1976-1977) où l’intérêt partagé suffisait à limiter les querelles.
Si le congrès de Tours de 1920 constitue la matrice de la défiance réciproque et du ressentiment, le cycle ouvert par Épinay s’intègre dans cette tradition en sur-ajoutant un quiproquo puisque G. Marchais insiste lors de la signature du programme commun sur l’importance d’un programme de gouvernement, en soulignant ce dernier terme. L’ambition de F. Mitterrand et des socialistes, qui était de mener une rénovation du socialisme et un renforcement idéologique, irrite le PC. Les deux formations entendant mener la barre de la nouvelle stratégie et en occuper la proue, le quiproquo est total et le conflit est présent avant même la signature de 1972.
A partir de 1973, les crispations des communistes se multiplient : ils soutiennent en 1975 le PC portugais contre le choix du PS ou du PCI, créditant ainsi la légitimité politique du PS contre le rejet du modèle soviétique. En 1977, la rupture des négociations est programmée, et l’enjeu reste celui de capitaliser le chemin parcouru et la dynamique.
La décennie permet de constater l’efficacité de la stratégie de Mitterrand et le ralliement tardif de G. Marchais en juin 1981 accrédite le choix socialiste d’une voie parlementaire et pacifiste.
Laurent Jalabert, Université de Pau, a abordé la question des relations avec la famille socialiste : PSU, CFDT en particulier. C’est le 25 mai 1974 que François Mitterrand appelle à une grande réunion de tous les socialistes à l’automne. Le PS insiste sur la grande vague d’adhésion et de sympathie, cependant le thème de l’unité des socialistes est un motif répété dès 1958. En 1974, il est donc question avant tout de « parfaire l’unité » en cours.
La première réunion d’organisation des Assises réunie ainsi le PS et le PSU, la CFDT, les Groupes d’Actions Municipaux, Objectif socialiste, Vie Nouvelle et le club Cadre de vie. A la demande de Rocard et du PSU, l’événement ne sera pas seulement politique, comme le voulait Mauroy, mais aussi un moment de réflexion idéologique sur la nature du socialisme dans un pays industrialisé. Dès la rentrée de 1974, chacune des forces précise à nouveau sa positions. Le PS affirme qu’il n’est pas question d’une fusion ni même d’adhésions immédiates. Les Assises seront une étape dans le ralliement mais pas un Congrès élargi, le PS étant lui-même fortement critiqué pour cette démarche par son allié communiste. La CFDT comme le PSU connaissent des turbulences, les majorités en place se faisant ballotter, voire remplacer. Il s’ensuit que le PS ne cherche pas à grossir de trop l’importance de l’événement.
Néanmoins, les Assises du 12 et 13 octobre 1974 sont un temps fort et symbolique de ce processus d’agrégation autour du PS de la gauche non communiste. Le consensus étant réaffirmé au Congrès de Pau, les ralliements sont nombreux mais s’opèrent à titre individuel. Cependant l’arrivée des rocardiens fait ressortir la problématique des courants et l’on bascule de la quête de l’unité à l’agitation des tendances désormais internes au PS.
Outre le PCF et la famille socialiste, la CGT est l’une des organisations importantes de la décennie. Michel Dreyfus, CHS du XXe siècle, rappelle dès son introduction que la CGT est au début de la décennie un syndicat marqué par mai 68. L’événement a été une surprise mais il en touche les dividendes avec 300 000 nouveaux militants.
La CGT réagit avec enthousiasme à la signature du programme commun d’autant que cela lui vaut de nouvelles adhésions. Même si le syndicat poursuit sa politique d’action commune avec la CFDT, le conflit Lip et les tentatives d’autogestion le laisse circonspect en 1973. Le socialisme autogestionnaire est condamné dès 1975, radicalisation qui ne se dément pas par la suite. Lors de la rupture du programme commun, la CGT est prise à contre-pied. Georges Séguy tente d’affirmer une autonomie de la CGT face au PCF et sa nouvelle ligne. Des tentatives d’ouverture en direction des socialistes et des chrétiens sont entreprises et le syndicat tient une position de neutralité à l’égard du conflit en Afghanistan en 1979 quand le PCF affiche son soutien à l’URSS. A partir de là, le soutien à Mitterrand devient de plus en plus actif même si, in fine, la victoire de 1981 laisse peu de souvenir aux militants.
La CGT est donc au milieu du gué, à la fois contrainte de prendre en compte la fin de la stratégie d’union mais engagée elle-même dans un processus d’autonomisation, processus qui ne date pas de 1977, mais qui avait déjà échoué avec Benoît Frachon. La perte d’influence du PC au profit du PS dans la décennie est toutefois un élément important de cette prise d’autonomie.
A la fin de la journée, Force Ouvrière restait le dernier grand élément à étudier dans ses rapports avec le PS. Pour Karel Yon, CERAPS – Lille 2, les années 1970 sont celles du divorce, la prise de distance étant d’autant plus visible qu’elle s’opère à contre-courant.
Pour comprendre le processus de distanciation, il faut revenir sur la création de la CGT FO en 1948 dans le giron de la SFIO mais sous le signe de l’indépendance syndicale, valeur structurante de ce syndicat. Le relâchement des liens est plus ancien que la décennie qui nous occupe mais il s’accentue avec l’adoption de la nouvelle stratégie d’Épinay. Lors de son Congrès confédéral de 1971, FO affirme son indépendance et refuse de limiter sa stratégie à l’appartenance au socialisme. Les alliances avec les autres syndicats sont refusées pour ne pas politiser l’action syndicale et les négociations. Dans le même temps, le recrutement socio-politique s’élargit vers la droite comme la gauche et les relations avec le PS se tendent.
En même temps, plus qu’une rupture, il semble que FO se recompose dans le spectre syndical. Et la relation au PS permet de voir s’affronter différentes visions du socialisme et du syndicalisme. C’est la vision partagée qui disparaît et non les liens qui continuent à s’entretenir au sein de la nébuleuse socialiste et partisane. La dérive est plus symbolique que réelle et renvoie à une privatisation de la référence au socialisme. Quelques niches socialistes subsistent d’ailleurs : le syndicat général des impôts et, de manière plus générale, les fonctionnaires.
En conclusion, on peut distinguer trois rapports des syndicalistes avec le socialisme : le socialisme de tête où il y a égalité entre syndicat et parti pour l’action partisane (CFDT) ; le socialisme de carte pour lequel le socialisme est une opinion privée, strictement séparée de l’activité syndicale, le socialisme est alors porté par les membres et non les institutions (Bergeron, FO) ; et le socialisme de cœur qui renvoie à l’attachement des ex-militant SFIO à un socialisme ouvriériste et anti-communiste, le syndicat FO est le réceptacle de cette vision devenue dissidente après Épinay.
La seconde matinée était consacrée, sous la présidence de Marc Lazar, au parti socialiste et à la façon dont il a été travaillé, réorganisé, modernisé, alimenté par de nouvelles influences venues des changements de la société française.
Noëlline Castagnez, de l’université d’Orléans, pose la question du rôle qu’a pu jouer la mémoire dans la conquête du pouvoir, rôle de la mémoire interne, mais rôle aussi de la rencontre entre cette mémoire et celle des grands mythes nationaux. La construction mémorielle sur la décennie permet de légitimer l’union de la gauche, le PS et le candidat Mitterrand.
La mémoire « d’en haut » inaugure une vision téléologique qui aboutit à Épinay. La victoire du peuple de gauche est présentée comme l’achèvement des luttes depuis 1848. Dès 1971, Mitterrand dit « [mesurer] le poids de l’histoire ». Cette reconstruction un peu lisse ne doit pas faire oublier la mémoire des militants « d’en bas ». L’amicale des anciens du PS-SFIO, qui disparaît d’ailleurs en 1979, n’a de cesse de s’opposer au programme commun et refuse le poing et la rose. Les territoires possèdent des identités plus ou moins fortes et avec elles, leurs mémoires comme dans le Nord où l’héritage molletiste est encore vif.
La refondation du parti s’appuie donc sur une reconstruction assez forte des mémoires, procédant à une damnatio memmoriae à l’égard de la SFIO, miroir inversé du jeune parti d’Épinay. Pour le PS de 1971, il n’y a jamais eu de gouvernement socialiste depuis la Seconde guerre mondiale. L’héritage algérien et la IVe République sont honnis.
Enfin, le processus mémoriel va participer à la légitimation de Mitterrand, l’homme de l’alternance. Jaurès et le Front Populaire sont mis en avant pour justifier l’union de la gauche et inscrire la nouvelle stratégie dans la longue durée. Un nouveau triptyque, Jaurès, Blum, Mitterrand, émerge peu à peu de cette refondation de la mémoire. Un livre de Michel Bataille, Demain Jaurès, présente par exemple les deux visages incrustés l’un dans l’autre.
Cherchant à réduire les divisions internes et à s’inscrire dans la longue durée, Mitterrand profite de sa haute main sur les instances qui construisent la mémoire pour s’assurer une forte légitimité. Le Panthéon, à la fin mai de 1981, constitue l’onction symbolique de la victoire du peuple de gauche, annoncée depuis longtemps.
Gilles Morin a ensuite proposé une intervention sur le processus de nationalisation du parti à travers l’essor des réseaux d’élus et en particulier des conseillers généraux de 1971 à 1981. Après une rétractation de la base due au recul de la SFIO à partir de 1958, la tendance s’inverse de sorte qu’en 1981, ils sont présents sur tous le territoire traditionnel du PS ainsi que dans de nouveaux cantons comme en Bretagne.
La principale caractéristique de ce renouvellement est le rajeunissement brutal. En 1979, les moins de 40 ans constituent 80 % des élus généraux. D’un point de vue sociologique, on constate une part importante d’enseignant (37 % en 1979) tandis que les catégories non salariées diminuent (les artisans commerçants passent de 12 à 6 %). On peut toutefois noter que parmi les intellectuels, la part des journalistes diminue et que du côté des enseignants, ce sont surtout ceux du supérieur qui dominent.
Cette étude très précise et illustrée, qui comporte de nombreux graphiques, permet de constater la lente tendance à l’enracinement local. Ce processus assure au parti de nombreuses ressources, politiques comme financières, mais aussi, et peut-être surtout, une stabilité. En comparaison avec le processus similaire qui se produit à la Libération, on constate le même saut qualitatif dans la formation des élus.
Un autre changement important intervient dans le domaine de la communication du parti avec le passage du secrétariat à la propagande, au secrétariat à la communication en 1976. Pierre-Emmanuel Guigo, de Sciences Po Paris, se montre prudent avec l’illusion d’une révolution communicationnelle dans la décennie. « Propagander » fait partie de l’identité socialiste et de l’activité militante. Bien qu’élément très ancien du parti SFIO, et fortement corrélé à l’idée que l’on se faisait d’un parti de masse, la propagande connaît des évolutions dès les années 1960. Désormais, les nouveaux médias, l’émergence de l’opinion publique avec les sondages et la présidentialisation de la République invitent le parti à dialoguer avec un public plus large, une opinion publique difficilement saisissable. Dès 1974, la communication devient un objet électoral.
En 1976, le secrétariat national à la communication remplace donc celui de la propagande avec la volonté de donner un nouveau visage au parti. Si la nomination du secrétaire devient un enjeu politique interne important, l’originalité de ce secrétariat vient aussi de la présence de publicitaires comme Jean-Pierre Audour, de photographes et de graphistes (Valenzuela). L’action militante reste toutefois un élément essentiel, notamment pour la diffusion de mot d’ordre et de slogan qui ont fait recette comme « Changer la vie ».
En 1981, le parti s’est donc adapté aux évolutions de la communication mais en parallèle, il doit faire face à un processus d’externalisation des campagnes qui se concrétise en 1981 lorsque Mitterrand se dote d’une équipe dirigée par Ségéla. La concurrence entre les deux instances alimente les tensions internes déjà présentes dans le parti.
La décennie est donc paradoxale sur ce plan puisque la rénovation du parti coïncide avec l’envol de la communication hors du parti, notamment la communication présidentielle.
A la reprise des travaux, Vincent Soulage (EPHE – GSRL), est intervenu sur l’ouverture du parti socialiste aux chrétiens. Si la SFIO a longtemps craint la double allégeance des catholiques, les chrétiens intègrent la majorité du PS à la suite de l’ouverture annoncée à Épinay.
Cette ouverture s’explique d’abord par un contexte de déplacement des chrétiens vers la gauche. Ce processus trouve son origine dans la contestation des guerres de décolonisation, de l’échec de Lecanuet et de la fin du MRP, ils se décident alors à « essayer le socialisme ». Une partie des chrétiens est alors séduite par la deuxième gauche, Althusser jouant un rôle considérable en relisant l’héritage marxiste.
Du côté du PS, l’ouverture est réelle même si elle est d’abord électorale puisque les victoires en Bretagne redéfinissent l’attitude à adopter face aux chrétiens devenus une potentielle ressource de voix. C’est alors un pendant chrétien à la « galaxie laïque » qui se construit avec la JEC, la CFDT, des organes de presse comme Témoignage Chrétien. Une mouvance se dessine au sein du PS, réunie en partie par la motion K, même si des organisations de taille comme la JOC ou l’Action catholique refusent toute collaboration institutionnelle quand leurs militants s’engagent à titre individuel.
Il faut noter des limites à cette ouverture. Sur le plan local, l’accueil des chrétiens n’est pas toujours enthousiaste, surtout quand leur arrivée modifie les équilibres. Les déceptions et les découragements sont nombreux d’autant que l’accès aux responsabilités est très lent. Les chrétiens eux-mêmes à l’intérieur du parti sont fortement divisés entre le CERES et Rocard, et finissent par se disperser dans les courants. Au niveau de la circulation idéologique, s’ils partagent avec le PS des thèmes comme la décentralisation, ils échouent à intéresser le reste des socialistes à leurs luttes religieuses.
La question des luttes des femmes au PS a été traitée par Bibia Pavard (Centre d’histoire de Sciences Po). Si la question commence à être bien défrichée, il est toujours difficile d’expliquer ce phénomène paradoxal qu’a été l’ouverture du parti comme aucun autre à la cause des femmes mais dont le solde semble constituer, à la fin de la décennie, un rendez-vous manqué.
Le Parti d’Épinay, s’il a représenté un espoir réel, déçoit assez vite. Le programme « Changer la vie » accorde une place importante au féminisme et considère ses revendications au niveau de la famille, du travail et des mœurs. En cela, le PS a pu prolonger le MDF des années 1960. Pourtant, peu de femmes parviennent à accéder de fait à des postes dans la hiérarchie, si bien que des féministes comme Marie-Thérèse Eyquem obtiennent la mise en place d’un quota de 10 % de femmes à tous les niveaux de l’organisation et sur les listes au Congrès de Grenoble.
Malgré ces déceptions qui ont pu laisser voir la part de calcul électoral dans la position du parti, il y a bien une alliance sur le plan doctrinal qui se construit entre socialisme et féminisme. Le PS prend conscience après 1974 du poids des femmes dans l’électorat et du soutien que l’électorat féminin apporte à la droite. Un retournement s’opère dans la décennie, ce n’est plus seulement le féminisme qui a besoin du socialisme, mais le parti qui a besoin des femmes. Lors de la convention nationale sur le droit des femmes en 1978, le féminisme devient plus qu’une lutte, un des piliers théoriques du parti, au même titre que le socialisme.
Avec la défaite de 1978 et la publication du manifeste sur les droits des femmes la même année, l’engagement féministe se diversifie au sein du parti. Les femmes proches de Mitterrand comme Marie-Thérèse Eyquem, Yvette Roudy ou encore Colette Audry considère les revendications féministes comme étant une face du socialisme, ce sont elles qui animent le secteur femme du parti. Le « courant III » qui émerge à la fin de la décennie s’oppose aux premières et cherche à faire de leur lutte une lutte autonome et centrale. E. Lhuillier, qui est partie prenante de cette seconde posture, la radicalise au Congrès de Metz en proposant une « motion G », « l’autre moitié du chemin ». Le socialisme est repensé à travers le féminisme et il ne s’agit plus d’englober l’un et l’autre. L’engagement des femmes dans le parti ne peut pas se comprendre sans intégrer aussi les circulations militantes avec les mouvements non partisans de la période, comme le MLF ou le Planning familial.
En offrant une fenêtre d’expression sans précédent, le Parti socialiste allie le féminisme au socialisme. Tactique ou héritage de mai 1968, l’intégration des femmes et de leurs revendications redéfinissent surtout les limites entre parti et mouvement : si le MLF rallie Mitterrand en 1981, la motion G appelle à voter pour Huguette Bouchardeau du PSU.
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Le rapprochement du PS avec les milieux culturels a été traité par Pascal Ory du CHS du XXe siècle. La décennie 1970 renoue avec les liens tissés lors du Front Populaire. Ce basculement s’explique par un héritage de la SFIO et par l’arrivée d’éléments nouveaux comme la personnalité de François Mitterrand. Les sections socialistes d’écrivains, de musiciens, jouent aussi un rôle important dans l’émergence du programme et des politiques culturelles.
Les rencontres pour la culture à Lille en 1976 permettent d’élaborer un programme d’action culturelle comme le prix unique du livre. Le Nord Pas de Calais inaugure un Office culturel régional et consacre 13 % de son budget à la culture. Indéniablement, il sert d’exemple aux autres. Dans l’esprit de la politique culturelle grenobloise, c’est l’action au niveau local qui est mise en avant plutôt que des politiques culturelles.
Cette décennie féconde en matière culturelle fait qu’en 1981 tout va très vite, comme la mise en place du prix unique du livre en témoigne, puisqu’il entre en vigueur le 10 août 1981. Le choix de Jack Lang contre Dominique Tadéï, qui a choisi le mauvais camp après le congrès de Metz, provoque pourtant une crise interne. Lang est plutôt malrussien tandis que la mouvance grenobloise avait le vent en poupe dans la décennie 1970. Cette crise provoque une baisse de vigueur alors même que la PS est maintenant au pouvoir.
La dernière après-midi, présidée par Alain Bergounioux, était consacrée aux programmes et idées du PS. Hélène Hatzfeld (Sciences Po Paris) a inauguré la dernière session en repartant de Mai 68 et de la rupture avec la SFIO : dans quelle mesure est-ce un nouveau parti, et quel rapport entretient-il avec les mouvements d’idées de son temps ? La fin des années 1960 est un temps particulier, où l’attente de renouvellement des forces politiques est forte.
Concernant le programme, il a pour objectif le gouvernement de le France en s’inspirant des idées qui sont soulignées dans la foulée de mai 68. La rupture avec le capitalisme et le socialisme d’Etat guide un programme poursuivant une logique marxiste et une logique plus sociétale, culturelle. On retrouve ainsi des parties sur « changer la vie », « un nouveau modèle de croissance » ou la « démocratie économique ». Pour prendre un exemple particulier, on peut s’arrêter sur la politique environnementale et du cadre de vie. Le PS se fait l’écho très favorable des critiques formulées à ce sujet dans la fin des années 1960 en proposant un code de l’environnement et la mise en place de plan d’urbanisme par exemple.
Il faut cependant énoncer quelques limites quand à cette attention portée aux idées de mai 68. D’abord il est difficile d’identifier la part de stratégie électorale dans cet intérêt pour ces idées. Structurellement, le PS hérite aussi du marxisme qui fait de la transformation de l’économie le fondement des autres changements, les revendications féministes sont alors secondaires. Idéologiquement enfin, le PS ne dépasse jamais la légitimité de la démocratie représentative ou encore la suprématie du parti comme élément principal des mobilisations partisanes. En termes de forme d’organisation ou de rapports politique, il n’y a pas de prolongement de mai 68.
Enchaînant sur ce constat, Frank Georgi, CHS du XXe siècle, s’est intéressé au socialisme autogestionnaire. L’autogestion fait son chemin à la SFIO dès la seconde moitié des années 1960, Guy Mollet constatant pourtant les difficultés que pose le modèle Yougoslave en fait un modèle à suivre mais dont l’application ne peut être immédiate. C’est dans cette optique que les socialistes considèrent le projet autogestionnaire à la suite d’Épinay. Le modèle français, qui est proposé dans le Plan d’Action socialiste, doit se dérouler sur le long terme en associant suppression du salariat, planification et appropriation collective. Il faut former les travailleurs à la gestion et se servir des nationalisations pour faire des bancs d’essais.
Le terme est cité peu de fois lors des Congrès même si les références indirectes sont multiples. Il y a une adhésion de principe à l’idée mais les actions restent timides, toujours projetées dans un futur à construire. L’autogestion permet alors de mieux comprendre la démarche d’Épinay. Les oppositions sur le fond, même si elles sont réelles, ne doivent pas empêcher le compromis sur des bases étroites. Cependant, l’idée devient de plus en plus une incantation d’autant qu’elle connaît dans la seconde moitié de la décennie une inflexion plus culturelle et sociétale qui l’éloigne de l’ambition économique de départ. Au début de 1980, le socialisme autogestionnaire est toujours présent mais il est lié à l’indépendance nationale plus qu’au projet libertaire.
Pour parler des liens entre le PS et l’Etat, Marc Lazar (Sciences Po Paris) insiste sur la double réflexion à mener, à la fois relation conceptuelle mais aussi pratiques et politiques des personnels. Il faut d’aborder aller contre l’idée d’un étatisme du PS qui lui serait consubstantiel. La pensée de l’Etat hérite à la fois du marxisme et du keynésianisme comme des écrits de Alain. Au cours de la décennie, si le moment du programme commun voit une croissance de l’attention à l’Etat, considéré comme le levier d’action principal, 1977 puis le Congrès de Metz compliquent cette perspective. L’Etat n’est plus investi par exemple d’une capacité productive. L’autre élément important pour comprendre la place qu’occupe l’Etat au PS est le contexte plus large que la vie interne du parti. Si l’étatisme n’est pas la chasse gardée du PS (RPR, PC), il est surtout remis en question par les libéraux comme Thatcher et Reagan. Et ce débat ne se limite pas à la sphère politique, mais touche aussi les intellectuels comme Althusser, Deleuze, Guattari, Foucault.
Enfin, on ne peut pas dissocier les mutations des représentations de l’Etat, des mutations de la réalité sociologique et des mutations de l’Etat lui-même. Valéry Giscard D’Estaing organise les premières réformes dans la fin de la décennie. Après avoir individualisé les promotions, c’est le rapport Longuet de 1979 qui propose de faire disparaître le statut de la fonction publique. Ces changements vont avoir un impact sur les relations entre la fonction publique et PS, les liens tissés sur la base d’un échange d’intérêt amènent au parti des hauts fonctionnaires keynésiens et aussi d’autres groupes de personnel comme les enseignants qui se sentent menacés.
Il faut donc sortir des débats internes pour restituer les controverses dans les discussions contemporaines de la décennie et mieux comprendre comment le PS qui se fait défenseur de l’Etat a pu être aussi instrumentalisé par les agents.
Mathieu Fulla, du Centre d’histoire de Sciences Po, et Mathieu Tracol, Sciences Po Paris, ont présenté leurs recherches concernant la pensée de la crise. La décennie 1970 est celle pour le PS de l’acquisition d’une crédibilité économique. Les réflexions au sein du parti sont guidées par trois impératifs : la conjoncture et les politiques de droite, le rapport avec le PC et les rapports entre les courants internes.
Jusqu’en 1974, la crise est peu pensée, s’il y a une crise, elle est globale et c’est celle du capitalisme. Le programme d’Épinay met la priorité sur les nationalisations, la planification et l’autogestion. Le fléau est l’inflation vue comme une bataille marxiste pour la conquête de la plus-value. Avec la dégradation des indicateurs et les élections perdues, la critique à partir de 1974 se fait plus précise, plus destinée à la droite. En même temps, la dégradation de la situation impose une révision des impératifs. C’est Jacques Attali en particulier qui réalise la synthèse entre marxisme et keynésianisme, mêlant ainsi un plan revenu en grâce et une rhétorique de la rigueur. Avec le franchissement du million de chômeurs, la pensée économique connaît une inflexion puisqu’après le syncrétisme, le temps de la bipolarisation oppose les majoritaires et les rocardiens. A Metz, Chevènement récupère le secrétariat national au projet et verrouille ainsi les influences à l’intérieur du parti.
La crise n’a pas vraiment changé l’appréhension de l’économie au parti, Mitterrand est convaincu que la France peut s’en sortir par elle-même.
C’est à Gilles Vergnon (IEP de Lyon) qu’est revenue la dernière intervention avant la conclusion. En s’intéressant au PS et au socialisme européen, c’est à une géopolitique de ce courant, vue de Paris, qu’il nous invite. La perception du PS est guidée par une opposition entre le Nord, avec lequel le PS ne se sent pas en position de force et constate en même temps les échecs des socialistes dans ces pays ; et le Sud, où la dynamique socialiste est largement positive et où le PS se voit davantage en position de force. Plus largement, le PS sur la décennie discute peu des questions internationales et dans tous les cas, c’est une position tiers-mondiste qui l’emporte.
Pour ce qui est de ses relations avec le Nord, la fin du modèle suédois suscite beaucoup de débats car la politique sociale démocrate du SAP connaît en 1976 un échec électoral important. Pour Mitterrand cette expérience de pouvoir socialiste doit montrer la voie, non pas de la sociale démocratie, mais de l’ampleur des changements que les socialistes ont à accomplir dans la société et ses structures profondes. L’expérience du SAP devient une boîte à outils. Autre parti imposant, le SPD attire une large part de l’attention de socialistes, l’objectif étant d’établir le meilleur rapport de force dans la perspective de la prise du pouvoir et de l’influence à l’Internationale.
Pour ce qui concerne les socialismes dans le Sud de l’Europe, on constate des archives beaucoup plus importantes témoignant de l’intérêt plus grand du PS et de l’activité du secrétariat national tentant de tisser des liens. Le cas espagnol est surement le plus intéressant. Le PSOE représente, en effet, le grand espoir déçu au Sud de l’Europe. Le PS est attentif à l’adhésion de l’Espagne à la CEE mais impose des conditions économiques strictes tandis que le PSOE cherche avant tout un bénéfice politique, le contact durable avec les démocraties européennes. Ce hiatus est renforcé par le choix du PSOE de se tourner davantage vers la sociale démocratie allemande et d’abandonner peu à peu le marxisme.
Globalement les enjeux et les causes profondes, de l’érosion au Nord comme de la dynamique au Sud, sont peu discutés par les militants autant que par les cadres. L’arrivée au pouvoir se fait dans une Europe sans parti référent mais avec des partis amis en appui.
En conclusion de ce colloque, Gérard Grunberg (Centre d’études européennes, Sciences Po Paris) a voulu revenir sur les vraies et les fausses ruptures de 1981.
Les fausses ruptures étaient aussi les plus attendues : économiques puisque la volonté de rupture avec le capitalisme échoue dès 1983. L’une des ruptures annoncées et attendues et qui n’aura pas lieu est celle qui concerne les institutions de la Ve République. Le PS s’installe au pouvoir et s’accommode du système en place.
Les ruptures effectives sont essentiellement politiques. La rénovation du parti devenu parti de gouvernement remodèle totalement la position à l’égard du pouvoir et à l’égard de la présidence ou à l’inverse du parlement. Le fonctionnement politique, induit par cette rénovation, est aussi une rupture véritable puisque qu’en rendant l’alternance possible, le PS remplace aussi la grande formation politique de gauche, le PC. Ces ruptures-là, la bipolarisation, la présidentialisation qui touchent et accompagnent les transformations du parti dans la décennie, sont celles que l’on peut voir encore aujourd’hui et qui marque la vie politique.