C’est le titre d’un ouvrage qui connut alors un grand succès et marqua les esprits. C’était en 1976. La question des libertés taraudait alors la société française. Non que la nation et ses citoyens étaient privés de tout en la matière. Mais ceux-ci étaient de plus en plus nombreux à constater le fossé entre une puissance publique qui ne savait que les infantiliser et leur réclamation des conditions d’un épanouissement démocratique plus grand, plus en rapport avec les modes de vie.
Le ministre de l’intérieur du gouvernement Barre, sans doute bien renseigné sur le bouillonnement des opinions un peu partout, avait cru bon de prendre alors l’initiative d’installer une « Commission des Libertés ». .
Le Parti communiste, lui-même, pour n’être pas pris de court s’empressa, en 1975, de publier un petit ouvrage préfacé par Georges Marchais, « Vivre libres », autour duquel il faisait campagne.
Le problème, après voir été nié, était donc d’importance.
« Qu’avait-il été fait de nos libertés depuis les débuts de la Vème République? » Cette question, François Mitterrand ne s’était pas lassé de la soulever depuis le début des années soixante. Ce qui l’avait d’ailleurs conduit à annoncer, au cours de sa campagne présidentielle de 1974, l’élaboration d’une « Charte des Libertés et des Droits des Français » s’il accédait à la magistrature suprême.
Une « Charte des libertés »
A défaut d’avoir été élu, son idée n’en était pas morte pour autant. Elle n’avait été que contrariée. La fièvre électorale passée, ce débat demeure ouvert. « D’où cet ouvrage, précise François Mitterrand dans la préface à l’ouvrage du collectif animé par Robert Badinter, « Liberté, libertés ». Il n’est pas en lui-même et ne saurait être la Charte des Libertés. Il n’est pas davantage la doctrine ou le programme du Parti socialiste – qui dira, à son heure, ce qu’il en pense -en pareille matière. Il pose publiquement des questions essentielles pour les libertés mais il est loin de les couvrir toutes. Il y faudrait une nouvelle encyclopédie. Quant aux réponses, chacun est convié à les critiquer, à les compléter, c’est-à-dire à affirmer par rapport à ce livre sa pleine liberté. »
Le « Comité pour une charte des libertés » réunit des femmes et des hommes de différentes disciplines ou expériences, des juristes, bien évidemment, mais aussi des philosophes, des économistes ou des scientifiques. (1) Tous n’étaient pas membres du Parti socialiste. Ils se mettent au travail avec une ambition: faire que le résultat de leur réflexion puisse s’adresser et parler à tous, des mieux documentés aux plus éprouvés.
On peut s’étonner que les travaux de ce comité ne se soient pas inscrits directement dans la cadre des procédures statutaires de fonctionnement du Parti socialiste. Mais tel qu’il était à cette époque, avec ses différentes instances de décision, ses courants encore très marqués par leurs origines et ses groupes d’experts, sans doute n’aurait-il jamais abouti à ce résultat.
Une nouvelle pratique de l’ordre social
La forme de ce texte est originale et féconde. Ses auteurs évitent en effet de s’enfermer dans le piège de la programmation ou de la réflexion théorique. Il fait bien davantage que de désigner des pistes: il affirme des principes.
Il se veut également réflexion globale, prenant en compte les interractions entre forces politiques, économiques, sociales et culturelles. Il établit une relation constante entre l’individu et la communauté nationale. Il se prononce pour la complexité, pour la vie. Et pour la découverte. Il évite le dogme: il propose des rendez-vous. « A l’horizon de notre recherche, préviennent les auteurs, s’esquisse un nouveau projet d’organisation, c’est-à-dire une nouvelle pratique de l’ordre social. »
Sa nature même fait que cet ouvrage ne se résume pas. Le mieux pour l’approcher un peu est sans doute de relever les points forts de quelques uns de ses articles, en constatant d’ailleurs que nombre d’entre eux sont malheureusement encore d’actualité.
La vie dans les entreprises
Concernant les travailleurs: « Aujourd’hui, comme par le passé, les décisions essentielles concernant les entreprises (que produire? qui engager? comment organiser le travail?) sont prises par d’autres que ceux qui y produisent. » Et « quand la crise survient, les jeunes, les étrangers, les vieux et les femmes sont les premiers licenciés. Cette division du travail et des rôles qui privilégie l’adulte, français, jeune, capable de produire à plein rendement, se maintient en dépit de l’égalité proclamée et renvoie à l’image que la société veut donner d’elle-même. »
Suit l’affirmaion d’une série de principes: sur la liberté d’opinion et d’expression, le droit à la protection de la santé, les conditions de travail, la sécurité du travail mais aussi le droit à l’information sur la situation économique de l’entreprise et sa gestion; à ceci s’ajoutent des principes concernant le pouvoir disciplinaire dans l’entreprise et l’encadrement des services de police interne (plus clairement dit, les milices privées).
S’agissant des consommateurs: « Il est celui qu’on manipule, celui qu’on vise, celui qu’on transperce (…) de messages publicitaires. Il est objet. Il est cible. Il est sans défense, ou presque. » Pour y réagir, le Comité se prononce, entre autres, pour une publicité vraiment informative controlée par un organisme où les consommateurs seraient représentés.
Villes et banlieues
La mutation désastreuse dans laquelle s’est alors engagée la ville est également signalée: « Dans des banlieues lointaines, ces fourmilières, ces villes-dortoirs, ces anti-cités. (…) Où l’on entasse dans des H.L.M. Promises à une détérioration rapide, démunies souvent d’équipements collectifs et vouées par leur site, leurs normes et leur architecture à la laideur. »
«Faire les libertés»
Sur chacun de ces sujets, les auteurs proposent des principes pour « faire les libertés », pour les travailleurs, les consommateurs et les habitants des villes.
Un autre grand chapitre de cet ouvrage est intitulé « Connaître ». Il y est traité, bien sûr, de l’éducation, ue rôle de l’école et de la famille autant que de la nature des savoirs. « Dans un monde où il faut avant tout s’adapter au changement, il serait absurde de river les jeunes, très tôt, à une formation unique et définitive. »
Information, nouvelle technologie
Il aborde également la question des inégalités devant l’information dans son champ le plus large et, bien sûr, celle délivrée par les différents médias. Concentrations dans la presse écrite, mode de désignation des responsables de l’ORTF, bien sûr, avènement des nouvelles technologies: tout y est mis en perspective pour que la maîtrise des flux d’informations ne soit plus l’apanage de quelques pouvoirs économiques ou politiques.
Plus loin, il parcourt nombre de champs pour appeler à des libertés qui alors sont loins d’être acquises.
Les malades, les détenus
Il en est ainsi de celles du malade, qui passent par un respect accru, par « son droit à l’information » autant que « son droit de ne pas souffrir » et celui de « mourir de sa belle mort. »
Il se préoccupe du sort des détenus et réclame pour eux un « droit à la réadaptation sociale », ce qui suppose au préalable que soient respecter et renforcer « leur droit à l’intégrité sociale, (…) « leur droit au travail » (…) et « leur droit à l’information ».
Libertés locales et régionales, administrations, justice, police: tels sont les thèmes déroulés dans cet ouvrage. Avec, le plus souvent, beaucoup d’audace. C’était au temps où les socialistes et ceux qui les accompagnaient en étaient capables. Ce qui permettait à François Mitterrand de constater au début des années quatre-vingts : « Nous sommes peut-être encore politiquement minoritaires, mais nous sommes déjà culturellement majoritaires. »
Cet ouvrage, aujourd’hui oublié, y avait certainement beaucoup contribué.