En quelques mots, Pierre Bergé souligne habilement l’engouement de François Mitterrand pour la religion et pour la foi : «Mitterrand a grandi dans une odeur de sacristie et d’encens, suçant la foi au sein maternel, persuadé au même titre que deux et deux font quatre qu’il n’y avait pas de salut hors de l’Eglise. »1 Certes, l’éducation de François Mitterrand fut profondément catholique mais, bien qu’il s’en éloignât au fil de sa vie, son questionnement métaphysique ne cessa de s’intensifier. Son intérêt prononcé pour les religions, pour leur histoire et les croyances qu’elles engendrent suscita chez lui une véritable quête du savoir théologique.
Connaisseur, parfois même spécialiste, François Mitterrand comprenait et analysait les textes fondateurs afin d’attiser ses réflexions sur la foi. Son apprentissage des textes catholiques lui procurait un savoir considérable. Mais il prenait également goût à s’ouvrir aux autres religions et notamment au judaïsme dont il connaissait particulièrement les écrits. «Il avait une culture des religions, les rapports entre les religions l’intéressaient. Cela tenait à son éducation mais encore plus, je pense, à ses propres centres d’intérêts. »2 Alain Duhamel retranscrit ici la passion d’un président pour la métaphysique.
François Mitterrand avait certes grandi dans un univers où la religion s’imposait d’elle-même mais, les années passant, il en avait fait sinon un mode de vie par conviction personnelle, en tous cas un centre d’intérêt majeur pour ses questionnements. Au delà d’une seule religion, François Mitterrand puisait dans toutes les formes de croyance pour toucher du doigt l’essence de la foi.
Une réflexion plus vaste en somme, et souvent perçue comme antithétique avec la fonction présidentielle.
Pourtant, au-delà de ses réflexions métaphysiques, François Mitterrand portait un vif intérêt pour toutes les manifestations de la croyance, qu’elles soient manuscrites ou architecturales. Ce dernier point fut l’une des passions de sa vie. Toujours intrigué par les monuments religieux, le président s’enquérait toujours de nouvelles églises reculées à visiter. De même pour les sites religieux emblématiques de la France. La basilique St Denis, mais aussi la cathédrale de Bourges représentaient des lieux de recueillement où le président aimait s’imprégner d’une atmosphère à la fois religieuse et historique. « J’ai eu à la cathédrale de Bourges l’un des coups de foudre de ma vie.» François Mitterrand souligne avec intensité sa passion pour l’architecture religieuse et pour l’atmosphère spirituelle qu’elle dégage. Le lieu saint est probablement l’endroit le plus à même de nourrir les réflexions métaphysiques et de s’approcher au plus près des réponses sur la foi.
Les églises de campagne, souvent méconnues, avaient tout son intérêt et chaque voyage présidentiel était l’occasion de se rendre dans un sanctuaire de méditation. La petite église de Saintonge, à Touvent, qui a baigné son enfance, faisait écho aux églises reculées mais empreintes d’une atmosphère spirituelle propice au recueillement. «On s’est parfois étonné de sa passion pour les églises, romanes en particulier, et pour les abbayes, notamment cisterciennes. Qui ne l’a pas vu s’enflammer pour défendre la qualité esthétique de l’église d’Aulnay-de-Saintonge, ou les qualités exceptionnelles de celle de Talmont en Charente-Maritime, ne peut soupçonner sa passion lorsqu’il abordait ces sujets-là.» 3 Alain Duhamel retranscrit très fidèlement ce vif intérêt pour la pierre élevée par amour de la religion. L’ambiance spirituelle du lieu, l’esthétique, l’appel à la méditation étaient autant d’arguments favorables pour François Mitterrand. Ce goût très prononcé pour l’architecture religieuse trouve un écho dans la construction de l’un des principaux Grands Travaux du Président : la Bibliothèque Nationale de France.
La Bibliothèque nationale de France, l’atmosphère d’un cloître
Le choix du projet de Dominique Perrault fut l’un des emblèmes de l’intérêt présidentiel pour l’architecture religieuse. La partie inférieure de la bibliothèque reprenait en effet exactement le schéma classique du cloître. Ainsi, le cloître fut à l’image du Mitterrand religieux, de l’homme pour qui les églises et la méditation sont importantes. Il s’inscrit dans une dynamique d’intériorisation où chacun est amené à se questionner, à se tourner vers soi-même, à partir en quête de son âme. «Avec Perrault, nous en avons beaucoup parlé, nous avons voulu reconstituer l’atmosphère de cloître. Naturellement, avec les moyens modernes, et sans vouloir imiter les cloîtres anciens.»4 Cette intervention atteste l’importance du projet du cloître pour François Mitterrand.
On peut aisément déceler ici son intérêt très vif pour les lieux, sinon religieux, en tous cas dégageant une spiritualité très forte. Le choix même du projet de cloître de Dominique Perrault et de l’engouement présidentiel en sont les preuves inéluctables. Néanmoins, cette passion pour les ambiances spirituelles ne se lit pas uniquement à travers sa connaissance ou son intérêt pour les monuments religieux. En effet, le Président a établi tout au long de son existence une série de pèlerinages sacrés. Ces rituels lui permettaient de partager des instants de recueillements spirituels, catholiques ou non, assez peu connus du grand public et pourtant au cœur de sa vie.
Vézelay, Taizé, Solutré
Certains pèlerinages présidentiels avaient un objectif qui dépassait la simple visite, la rencontre avec un lieu historique… En effet, tandis que Solutré symbolisait davantage le retour aux racines, à d’autres rituels s’ajoutait une perspective spirituelle. En effet, si l’on observe des pèlerinages chers à François Mitterrand comme ses visites cycliques à Vézelay ou Taizé, il est explicite qu’elles ne sous-entendaient pas uniquement la recherche d’une architecture insolite.
«Il avait cette passion pour Vézelay, je pense, parce que c’est un lieu comme cela, très mystique, que l’on est bien obligé de ressentir.» 5 Pierre Bergé souligne l’enjeu capital du pèlerinage à Vézelay comme un rituel situé au cœur d’une procession et d’un questionnement religieux. Cette atmosphère mystique et spirituelle touchait énormément François Mitterrand. «Voici trente ans que je suis (à ma manière) un pèlerin de Vézelay. Ce que j’y cherche n’est pas précisément de l’ordre de la prière bien que tout soit offrande dans l’accord du monde et des hommes. Je pourrais tracer de mémoire un cercle réunissant tous les points d’où, du plus loin possible, on aperçoit la Madeleine.» On peut déceler ici la passion du Président pour Vézelay ainsi que sa connaissance assidue de la basilique.
Au delà de Vézelay et pour aller toujours plus avant dans le questionnement métaphysique, François Mitterrand avait l’habitude de se rendre à Taizé. «Taizé c’est l’interrogation métaphysique à l’état pur. C’est un centre de réflexion religieuse qui a été tenu pendant très longtemps par Frère Roger. C’était un homme qui avait une immense aura auprès des jeunes, qui était très ouvert à la modernité et qui s’efforçait de ne pas mettre de frontière entre les différentes religions, notamment entre les catholiques et les protestants. Je crois que cette réflexion religieuse au delà des frontières traditionnelles de l’Eglise était quelque chose qui était assez proche de la pensée de François Mitterrand.» 6
Ce pèlerinage représentait une facette du Président assez peu connue : François Mitterrand s’interrogeait beaucoup sur les religions, sur l’au-delà, sur la spiritualité… Georges-Marc Benamou partage ses souvenirs sur son voyage à Taizé : «Le lendemain de Solutré, il avait l’habitude de se rendre à Taizé et de passer un long moment avec Frère Roger. Il allait dans l’église de la communauté de Taizé. Il y avait quelque chose d’un peu mystique avec Mitterrand.» 7
La lecture des mystiques
«Il m’est arrivé de le voir au cours de voyages en train de lire des ouvrages de tel ou tel mystique, ce qui n’était pas la lecture ordinaire des dirigeants politiques.» Alain Duhamel mentionne ici le paradoxe d’un homme intéressé par des univers très rationnels (la politique) mais aussi irrationnels (le mysticisme). Cette caractéristique épaissit encore davantage le personnage de François Mitterrand, le rendant plus complexe et plus mystérieux.
Hubert Védrine évoque cette connaissance des mystiques : «Il connaissait les mystiques car il avait une culture générale mais il lisait plutôt Zola, et non les mystiques. Il avait fait des incursions dans ce monde là mais on ne peut pas en faire un mystique.» 8 Ces propos posent clairement les limites de l’intérêt présidentiel pour le mysticisme. Le sujet passionnait François Mitterrand et était au cœur de ses recherches métaphysiques. Néanmoins, le Président ne ressentait pas une inclination mystique suffisante pour orienter sa vie vers un tel destin.
Ainsi, par ses questionnements spirituels et par ses tentations mystiques, le personnage présidentiel qu’incarnait François Mitterrand a épaissi le mystère autour de lui. A l’homme politique s’est ajouté l’homme privé, celui dont les intérêts suscitent la curiosité et finalement, dessinent un personnage romanesque et fascinant.
- Pierre Bergé, Inventaire Mitterrand, Stock, 2001.
- Alain Duhamel – 27/02/2006
- Ibidem.
- «Bouillon de culture», Bernard Pivot – 14/04/1995
- Pierre Bergé – 11/01/2006
- François Stasse – 16/01/2006
- Georges-Marc Benamou – 17/01/2006]] Le journaliste souligne ici l’ambiguïté de François Mitterrand, son caractère proche du questionnement permanent, son intérêt très vif pour la métaphysique. Au-delà de son questionnement religieux sur la transcendance, il s’intéressait beaucoup aux mystiques. Il connaissait très bien les ouvrages des grands auteurs et percevait dans le mysticisme une dimension particulière de la foi qui le fascinait. Alain Duhamel souligne parfaitement cet engouement pour le mysticisme chez François Mitterrand : «Je pense que l’on peut parler de lui comme de quelqu’un qui avait une dimension spirituelle, des interrogations spirituelles et qui avait un rapport avec la métaphysique. Mais dire qu’il avait quelque chose de mystique, pas du tout. En revanche, cela l’intéressait chez d’autres parce qu’il pensait que cela était une des dimensions de la foi.» [[Alain Duhamel, Ibidem.
- Hubert Védrine 24/02/2006]] Le goût présidentiel pour le mysticisme et les mystiques n’en faisait certes pas un mystique. En effet, le Président lui-même reconnaissait ne pas pouvoir sacrifier sa vie à une contemplation mystique. «Lorsque vous lisez les grands mystiques, et ceux que l’on appelle les petits mystiques, bien qu’ils soient grands comme Thérèse de Lisieux, au fond on s’aperçoit qu’elle passe la moitié de son temps (…) à douter de l’existence de Dieu. Et je trouve cela absolument admirable et effrayant de penser qu’on va consacrer toute sa vie à une foi dont on doute. Mais c’est ce qu’il y a encore de plus beau peut-être, puisqu’il faut un enracinement extraordinaire, et moi je n’en suis pas là.»[[«Bouillon de culture» 14/04/2006