Les lois de 1982, en transférant des pouvoirs, des compétences et des moyens, ont irrigué et revitalisé notre démocratie comme elle ne l’avait jamais été. En se fondant sur l’expérience qu’elles avaient permis d’acquérir, à tous les niveaux, il était utile et nécessaire de les approfondir dans une deuxième grande étape, pour une véritable démocratie territoriale. Au lieu de cela, aujourd’hui, le Gouvernement trahit, dans l’esprit et dans les faits, le grand mouvement lancé il y a un peu plus de vingt ans.
La décentralisation telle que l’a voulue et mise en oeuvre François Mitterrand marquait une double rupture. Les lois et les décrets de 1982 ont rompu avec le passé. Pour la Gauche au pouvoir, il s’agissait de s’émanciper des « tendances lourdes » en décorsetant les territoires après trois siècles d’omniprésence et d’omnipotence de l’Etat central. Pour le nouveau Président, il fallait aussi rompre avec l’héritage du gaullisme, du pompidolisme et du giscardisme qui avaient porté à un haut degré l’affaiblissement politique des élus locaux. Pas de hasard si les mesures Mitterrand-Mauroy- Defferre furent celles d’un président de Conseil général et de deux grands responsables régionaux ! A l’expérience des aînés s’était agrégée, dans la foulée des élections locales à la fin des années 1970, l’aspiration de nombreux jeunes élus de Gauche – j’en étais – qui avaient soif de plus de liberté et de responsabilités à l’échelon local.
Il suffit en effet d’avoir à l’esprit la France institutionnelle et administrative d’avant 1981 pour comprendre la portée de la décentralisation, cette révolution tranquille – sauf au Parlement où la droite ferrailla dur pour l’empêcher. Pour la première fois depuis la loi de 1871, l’Etat abandonnait, de son propre chef et au profit des collectivités territoriales, en métropole comme outre-mer, une large partie de ses pouvoirs réglementaires et financiers. Tutelle supprimée, contrôles a posteriori, rapprochement des lieux de décision, progression de la démocratie locale, voilà les acquis de cet élargissement des « droits et libertés des communes, des départements et des régions » tel que l’a rendu possible la loi du 2 mars 1982. Le meccano parfois complexe de la nouvelle cartographie administrative puise sa cohérence dans une conviction forte du socialisme : le pouvoir doit être partagé et contrôlé.
Mais la décentralisation impulsée par François Mitterrand n’est pas seulement sans précédents dans l’histoire de la République. Elle est également – et c’est plus inquiétant – sans véritable postérité.
Certes, des prolongements importants furent réalisés pendant les législatures qui suivirent la séquence 1981- 1986 – la loi Joxe, qui fit progresser la coopération intercommunale ou, plus récemment, la loi Solidarité et Renouvellement Urbain ou encore les progrès en matière d’intercommunalité et de démocratie de proximité. Mais, malgré le travail accompli par la Commission Mauroy en 2001, la Gauche plurielle n’a pas engagé l’acte II de la décentralisation qui aurait été souhaitable. De retour aux responsabilités, la droite a donc récupéré cette espérance : mais elle ne l’a pas seulement déçue, elle l’a trahie. Les dispositifs mis en place par le gouvernement Chirac-Raffarin-Sarkozy ne sont qu’un vaste démembrement de l’Etat, un transfert massif de charges sur le dos des collectivités locales et un démantèlement programmé des services publics. Dans son esprit comme dans ses modalités, cette politique est donc en contradiction avec les avancées de 1982.
« La décentralisation est la grande affaire d’un gouvernement de gauche et le maître-mot d’une expérience de progrès », déclarait François Mitterrand en 1977. Cette exigence doit redevenir la nôtre à travers la « démocratie territoriale ». Des territoires financièrement solidaires, des institutions vraiment démocratiques, des échelons administratifs cohérents, des services publics à dimension humaine : tels sont les piliers de la démocratie territoriale que j’appelle de mes voeux. Ils sont au coeur de notre engagement socialiste et républicain. Ils devront, demain, être au coeur de notre projet pour l’alternance.