L’Institut François Mitterrand a le plaisir de présenter la réédition du livre de Tilo Schabert, membre du Conseil Scientifique de l’IFM :
France and the Reunification of Germany. Leadership in the Workshop of World Politics, Foreword by Jean Musitelli, Cham: Springer Nature/Palgrave Macmillan, 2021, XX + 459 p.
Il s’agit d’une réédition de l’édition américaine de l’étude de Tilo Schabert sur la France et l’unité allemande et, notamment, le rôle de leadership que la France a assumé et joué avec efficacité et imagination à l´époque de la réunification allemande. Le mot « réédition » veut dire ici une révision complète du texte, lui donnant une nouvelle structure, qui inclut une longue introduction rédigée particulièrement pour ce livre. En plus, de nouvelles parties furent intégrées, comme résultat de nouvelles consultations des documents d´archives, non seulement français, mais aussi britanniques, américains, allemands et russes, devenus récemment accessibles. Ainsi, il s’ouvrait pour la rédaction de ce livre une dimension d’analyse comparative qui, en effet, fut développée.
Une synthèse du livre pourrait être résumée en six conclusions :
▼ Pour la France la « question allemande » était toujours un problème actuel. À cet égard, le président Mitterrand avait le même point de vue que ses prédécesseurs, en particulier Charles de Gaulle. Vu de Paris, l’Allemagne restait loin d’avoir trouvé sa place dans la géopolitique européenne. Comment ce pays pourrait réussir, ce pays dont la division, décidée à Yalta, garantit cette division du monde qui semblait assurer un « ordre » mondial ? C´était précisément cet « ordre de Yalta » auquel la politique étrangère de la France se heurtait. Le président Mitterrand laissait rarement passer une occasion de désapprouver « Yalta ». Le monde était divisé depuis et la question allemande était, comme Mitterrand l’expliquait à Gorbatchev le 2 octobre 1985, au centre des problèmes de ce monde divisé. Mitterrand et ses conseillers (avec une exception) ne s’inquiétait pas de l’événement de la réunification allemande, mais plutôt de la manière avec laquelle elle pourrait avoir lieu. Si les Allemands le désiraient, elle se produirait, mais elle devrait se dérouler d’une manière devant être la meilleure pour tous, les Allemands aussi bien que les autres Européens. Cela, c’était le seul objectif de la France.
▼ La pratique créatrice d’un leadership politique qui est le sujet de ce livre, a culminé dans trois moments cruciaux :
(a) l’avancement significatif de la construction européenne au sommet européen de Strasbourg au début du mois de décembre 1989 ;
(b) la conceptualisation des négociations « quatre+deux/deux+quatre » et puis, leur exécution, par laquelle, en particulier, la question de la frontière germano-polonaise et l’appartenance de l’Allemagne réunifiée à l’OTAN furent réglées ;
(c) les actes de persuasion par des acteurs occidentaux, et parmi eux François Mitterrand au premier rang, guidant le gouvernement soviétique, et Mikhaïl Gorbatchev en particulier, vers une acceptation de l’appartenance de l’Allemagne réunifiée à l`OTAN.
▼ En automne 1989 François Mitterrand espérait de la part des Allemands, et surtout de celle du Chancellier Kohl, un acte de foi au nom de l’Europe analogue à celui qu’il avait accompli en 1983 en alignant l’économie de la France sur le projet européen. Sans un approfondissement de la conjonction européenne une unification de l’Allemagne ne pourrait pas être imaginée. Durant des années, Kohl avait fait croire à Mitterrand que son allégeance pour le projet européen était inébranlable, notamment le 2 juin 1988 à Évian. Mais alors, un ans plus tard, causant une vive préoccupation de Mitterrand, Kohl commençait à semer les graines du doute. Dans un combat des volontés qui dura jusqu’à quelques jours avant le Sommet de Strasbourg, Mitterrand prévalait et obtenait de Kohl l’engagement souhaité.
▼ En 1989 la France et la République Fédérale se trouvaient, quant à leur relation, face à une situation de friction. Durant des années, le gouvernement à Bonn avait senti une grande inquiétude à l’égard de la stratégie nucléaire de la France. Mitterrand, en tant que Président de la France étant la seule personne à pouvoir déclencher la force nucléaire de la France, fut convaincu qu’un élément essentiel de cette stratégie était son ambiguïté. Ainsi les Allemands ne savaient pas si la France voudrait vraiment utiliser sa force nucléaire pour les défendre, et, le cas échéant, quand. De l’autre côté, ils étaient parfaitement conscients du fait que les missiles nucléaires français à courte portée détruiraient des villes allemandes. Le Chancelier Kohl et son ministre de défense, Manfred Wörner, pouvaient implorer leur partenaires à Paris incessamment et Mitterrand continuait à refuser (ainsi que ses conseillers diplomatiques et militaires) d’atténuer la mainmise de la France sur l’Allemagne par sa force nucléaire.
De l’autre côté, la République Fédérale d’Allemagne avait longuement plané sur la France économiquement. De plus en plus, la France était contrainte de s’appuyer sur l’Allemagne pour maintenir sa souveraineté économique et monétaire. À l’Élysée un sentiment d’irritation se répandait quand à la nécessité de toujours demander aux Allemands de considérer favorablement, en vue des appuis, la situation économique et financière de la France.
▼ Dans l`hiver 1989 et au printemps 1990 la situation économique et financière de l’Union Soviétique était désastreuse. Gouverner l’empire soviétique équivalait à agir sous une nécessité de survie. À Moscou, le gouvernement, cherchant à ce qu’elle reçoive les aides indispensables, regardait à l’Ouest, et particulièrement vers l’Allemagne de l’Ouest. Cela coïncidait avec les exigences des Allemands concernant leur réunification. Les échanges des dirigeants soviétiques avec les dirigeants occidentaux – Mitterrand, Bush, Kohl, Thatcher – et leur propre sagesse – Gorbatchev l’articulait en tête-à tête avec Bush – les ont conduit à s’ajuster.
▼ Les dirigeants politiques à l’Ouest avaient en tête que les événements historiques en 1989-1990 étaient un accomplissement en faveur des modèles occidentaux concernant la forme politique de la vie humaine. Dans un entretien avec Helmut Kohl, le 2 novembre 1989, François Mitterrand s’exprima nettement dans ce sens. Finalement, il disait « la construction future de l’Europe nous amènera à un jour où la division de l’Europe sera surmontée et l’Allemagne unifiée. L’Union Soviétique aura des difficultés à comprendre cette évolution. Cela sera la civilisation occidentale qui prendra le dessus et le gardera. » L’Est changeait et pas l’Ouest (d’après Hans-Dietrich Genscher). C’était la révolution européenne.
Par Tilo Schabert
Pour retrouver la réédition du livre de Tilo Schabert (en anglais seulement) : https://www.palgrave.com/gp/book/9783030807627