En 2012, la Révision générale des politiques publiques, plus connue sous le nom de « RGPP », a heureusement été interrompue. La réduction brutale et rapide des effectifs dans les fonctions publiques, loin de répondre aux inquiétudes d’une société française fracturée socialement et spatialement, loin de remédier à la défiance des citoyens envers l’Etat, a plutôt eu pour effet de les amplifier.
L’ampleur de la crise des finances publiques dans notre pays interdit de biaiser : la réforme de l’Etat est incontournable pour que les usagers, les entreprises, et les associations retrouvent confiance en l’avenir du pays. Cependant elle se pose bien plus en termes de réinvention du rôle de l’Etat, de réparation des excès de la précédente législature, et d’adaptation aux nouvelles réalités du pays. Pour bien comprendre l’ampleur de la tâche, il n’est pas inutile de revenir plus en détail sur les réformes menées ces dernières années au nom de l’efficacité et de la performance, sur leurs impasses comme sur leurs legs et leurs leçons.
Les années Sarkozy-Fillon : cinq ans de réforme de l’Etat sans discernement
Le quinquennat Sarkozy a constitué l’apogée d’une évolution idéologique de la droite française, que l’on peut qualifier de tournant reaganien. Pour le gouvernement Fillon comme pour l’ancien président américain, « l’Etat est le problème ». La protection des Français et la recherche d’une cohésion entre eux en ont dès lors été ravalés au rang d’objectifs secondaires, tandis que la diminution de la place de l’Etat dans la vie publique devenait une fin en soi. Cette évolution a amené la droite à rompre avec une fonction historique de l’Etat en France, celle de donner aux objectifs fondateurs de notre contrat social une portée concrète dans la vie de chaque citoyen.
Ainsi à compter de 2007, Nicolas Sarkozy et François Fillon ont affiché leur volonté de mettre à plat l’ensemble des missions de l’État et d’adapter les administrations aux besoins des citoyens au travers d’une « Révision générale des politiques publiques. Cette RGPP puisait son inspiration dans la « revue des programmes » effectuée au Canada entre 1994 et 1998, dont le principe était que les décisions de réduction des dépenses, par le biais d’une revue des programmes et dépenses de tous les ministères étaient, prises au plus haut niveau de l’État, en Conseil des ministres, cette implication politique forte étant considérée comme un gage de réussite de la réforme. Les plus spectaculaires d’entre ces réformes sont aujourd’hui bien connues : fusion d’administrations à Bercy, réforme au couteau de la carte judiciaire, création des Agences Régionales de Santé (ARS), ou encore dématérialisation de nombreuses procédures administratives.
Prise de façon transversale, la RGPP s’est traduite par des réalisations importantes autour notamment de trois objectifs affichés : l’amélioration des rapports entre l’administration et les citoyens, la réduction des dépenses publiques et la modernisation de la fonction publique. Certaines de ces réalisations sont à saluer. Evoquons ainsi l’amélioration de l’accueil physique dans les administrations par l’élargissement des horaires d’ouverture des guichets et par la mise en place de plages horaires de rendez-vous afin de réduire les temps d’attente aux guichets, ou encore le renforcement de l’administration électronique par la création, entre autre, d’un portail Internet unique de renseignements administratifs et d’accès aux téléprocédures.
Pourtant, sur le fond comme sur la forme, la RGPP présente de nombreux vices de fabrication. Sur la forme, qui a rendu indispensable l’arrêt de la RGPP dès la victoire des socialistes en mai et juin 2012, la méthode choisie par le Gouvernement Fillon a rapidement conduit la RGPP à l’échec dans sa dimension de revue des politiques publiques. Pour plusieurs raisons : d’abord l’incohérence entre l’ambition de revue des politiques de la RGPP et son périmètre, puisque si la plupart des politiques publiques sont aujourd’hui partagées avec les collectivités territoriales et les grands organismes sociaux en matière d’accueil de la petite enfance, de prise en charge des personnes âgées, des missions d’éducation, ces acteurs n’ont que rarement sinon jamais été réunis. Ensuite l’horizon temporel décidé au plus haut niveau de l’Etat, qui attendait essentiellement des résultats de court terme en décalage avec l’ampleur du changement attendu, rendant ainsi toute concertation et négociation des réformes impossible.
L’arrêt de la RGPP et la reconstruction du lien de confiance entre l’administration et le citoyen
La RGPP a été mal vécue par de nombreux agents de l’Etat, tant elle a été présentée de manière caricaturale en se référant aux pires préjugés sur l’image de l’Etat, comme sur celle des femmes et des hommes qui le servent.
Deux contradictions fortes ont achevé de disqualifier la RGPP comme méthode de réforme de l’Etat en France.
Première contradiction : les effectifs des agents ont fondu tandis que le nombre de missions de l’Etat n’a cessé de croître. Prenons deux exemples : la direction générale du travail a du absorber six nouvelles missions, telles que l’organisation du système de mesure d’audience syndicale dans les PME ou l’homologation des ruptures conventionnelles. Dans le domaine du développement durable, la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement a induit la création d’une douzaine de nouvelles missions. Le slogan « faire plus avec moins » pouvait avoir son charme pour les tenants d’une austérité à la française, il s’est traduit par des situations intenables pour celles et ceux qui construisent et portent le service public dans les administrations.
Enfin, seconde contradiction forte de la méthode RGPP, le rapport entre l’Etat et les collectivités dans le cadre d’une décentralisation incomplète. Pendant des années, l’Etat a poursuivi le transfert de compétences aux collectivités, mais sans leur donner les moyens de mettre en œuvre ces compétences par la fiscalité ou d’éventuelles compensations. Avec la montée en charge des allocations individuelles de solidarité que sont le RSA, l’APA et la PCH en raison de la crise et du vieillissement démographique, les finances locales et les collectivités ont été mises sous tension, au risque que leur capacité à amortir le choc de la crise sur les plus fragiles et les plus précaires en soit longtemps affectée.
C’est donc à juste titre que François Hollande a prononcé dès son arrivée au pouvoir un « coup d’arrêt à la procédure de révision générale des politiques publiques et à l’application mécanique du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux ». Après cinq années d’agitation, l’ouverture d’un cycle de concertation avec les organisations syndicales de la fonction publique sur les perspectives salariales, la précarité, les modes de nomination aux emplois supérieurs de la fonction publique et le déroulement des carrières s’imposait. Conformément à ces engagements, le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a présidé en juillet 2012 une réunion de ministres consacrée à la réforme de l’action publique et Marylise Lebranchu, la Ministre en charge de la Réforme de l’Etat, a engagé une démarche visant à mesurer les effets de la RGPP sur l’action publique. Les inspections générales (IGF, IGA, IGAS) ont remis à la fin du mois de septembre 2012 un rapport sur le bilan de la RGPP, qui a documenté et confirmé l’échec de cette méthode. Il fallait donc repartir sur de nouvelles bases.
Une tradition de présence forte de l’Etat à respecter…et à réinventer
Repartir sur de nouvelles bases, c’était déjà assumer un héritage historique auquel tiennent les Français, à savoir la présence des services publics dans leur quotidien. Cette présence rassure, car elle prouve l’engagement de la République pour les citoyens sur tout le territoire, y compris en milieu rural, en banlieue, et dans la France périurbaine. Le récent rapport thématique de la Cour sur des comptes sur l’administration territoriale de l’Etat, souligne en effet combien est spécifique à la France cette « présence forte de l’Etat » sur tout le territoire.
Il fallait ensuite s’atteler à la correction des pires excès de la RGPP, sur la base de réflexions de qualité telle celle menée dans le cadre de la mission conduite par le conseiller d’Etat Serge Daël, mais aussi des décisions courageuses rendues par la Garde des Sceaux. Ainsi des Chambres détachées seront créées dans des communes qui avaient vu leur TGI disparaître, compliquant l’accès à la justice pour des nombreux citoyens. C’est l’exemple d’une décision juste qui permettra le retour de la justice dans de nombreux territoires, tout en tenant compte du contexte budgétaire actuel.
Plus largement, la réforme de l’Etat supposait de retrouver une vision, de renouer avec le respect des usages et des agents, et de formuler un diagnostic sur les inégalités nouvelles nées de la crise de notre modèle productif. Les inégalités territoriales de santé, les inégalités de développement humain, les inégalités territoriales d’enseignement secondaire, supérieur et de recherche, sont les nouvelles formes d’une question sociale que la République, pour être en cohérence avec ses principes, ne peut ignorer. Car nous sommes encore à la croisée des chemins : nos grandes villes tirent globalement parti des opportunités de la mondialisation, mais des fractions entières du territoire national voient leurs emplois productifs se retirer, et certains ne tiennent plus que par l’injection de revenus de transfert. Nos écoles, nos hôpitaux et notre parc de logement social, fragilisés par la droite, ont perdu de leur efficacité pour rééquilibrer le jeu social en faveur des classes moyennes et populaires.
La voie est donc claire : il faut plus de concertation, plus de transparence, et plus de participation des agents. La RGPP était une méthode arrogante. Notre pays, nos citoyens, nos agents, méritent que nous ne cédions pas à une illusoire facilité de coupes budgétaires par le haut alors que c’est de la refonte d’un modèle d’intervention de l’Etat et de la puissance publique dans les territoires et dans la société qu’il est question.
Le Président de la République a engagé un « choc de simplification ». Il s’agit de près de deux cent mesures fortes et à effet immédiat, dont la principale caractéristique est de simplifier la vie des entreprises, des citoyens et de l’administration : la simplification des procédures n’affaiblit par les services publics, elle les renforce. Evoquons ainsi la dématérialisation des titres restaurants, l’accélération des délais de paiement pour les marchés publics de travaux, le passage de la durée de validité de la carte nationale d’identité de dix à quinze ans et surtout, la mise en place du principe de « silence valant accord de l’administration ». On trouve là matière à faciliter le quotidien des Français, et à changer une perception devenue négative. C’est tout l’esprit de la Modernisation de l’Action Publique (MAP) engagée par le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault dès octobre 2012.
Cette MAP est en outre étroitement liée aux travaux en cours sur la décentralisation. Il y a trente ans, le Président François Mitterrand ne s’y était pas trompé : la modernisation de l’action publique passe aussi par un grand mouvement de fond, une décentralisation engagée dès 1982 et jamais remise en cause depuis, au-delà même des alternances. La mise en cohérence de l’action publique, la bonne articulation entre l’Etat et les collectivités territoriales sont l’un des grands enjeux auquel les travaux, en cours au Parlement à l’heure où cet article part sous presse, apporteront de premières réponses.
En se mobilisant majoritairement derrière la candidature de François Hollande au printemps dernier, les Français ont exprimé leur préférence pour une réforme de l’Etat qui s’effectue dans la fidélité aux principes fondateurs de la République. Les socialistes et leurs partenaires ont désormais à décider des missions qui doivent être assurées par la puissance publique, mais aussi des institutions qui doivent les assumer, et ce pour les décennies à venir. Ce n’est là que justice, puisque « la notion de service public est aussi ancienne que le parti socialiste », ainsi que le disait déjà en son temps Léon Blum.