Après une adoption difficile au Sénat, l’Assemblée nationale a voté, le 16 novembre dernier, la réforme des collectivités territoriales. Ce texte, largement contesté par les élus locaux, introduit de nombreuses évolutions dans l’organisation territoriale de la France.
Dès mars 2014, de nouveaux élus, les conseillers territoriaux, feront leur apparition et remplaceront les 6000 conseillers généraux et régionaux.
La clause de compétence générale, qui permettait à une collectivité d’intervenir au-delà des seules compétences attribuées par la loi, sera supprimée pour les régions et les départements au 1er janvier 2015.
Cette réforme vise également à favoriser l’intercommunalité et prévoit d’ici au 1er juin 2013 le rattachement de l’ensemble des communes à une structure intercommunale.
Enfin, la loi crée une nouvelle catégorie d’établissements publics de coopération intercommunale, la métropole, qui pourra regrouper les communes d’un seul tenant et sans enclave représentant au moins 500 000 habitants.
Cette réforme a suscité de fortes inquiétudes et pose la question du devenir de la décentralisation. Avec Alain ROUSSET, Député de Gironde, Président du Conseil Régional d’Aquitaine et Président de l’Association des Régions de France (ARF), La Lettre de l’IFM revient sur cette œuvre de modernisation du pays débutée en 1982.
Quel regard portez-vous sur la décentralisation de 1982 et ses évolutions récentes (Acte II puis aujourd’hui réforme territoriale) ?
Alain ROUSSET.- La décentralisation de 1982 a évidemment marqué l’histoire de la République et des institutions, en nous faisant sortir de siècles de tradition jacobine. Et cela a bien fonctionné. Nos collectivités ont considérablement amélioré les services publics qui leur avaient été confiés : que l’on se souvienne de l’état des TER ou des collèges et lycées, dans lesquels notre effort a quintuplé par rapport à ce qui était fait antérieurement. Je rappelle ici les travaux de Laurent Davezies qui ont bien montré l’effet de réduction des inégalités territoriales durant cette période.
Dans ces conditions d’ailleurs, l’argument gouvernemental classique de la compensation « à l’euro » est pour le moins tendancieux…
Se poser aujourd’hui la question de l’évolution de cette réforme, c’est d’abord mesurer quel bond en arrière on nous impose depuis quelques mois, même au regard de l’Acte 2, dont je rappelle que ce fut pourtant un acte manqué, avec un texte entrant régionaliste au Sénat et sortant départementaliste de l’Assemblée.
Pourquoi vous opposez vous au projet de réforme des collectivités locales ? Que vous inspire la création du conseiller territorial ?
Alain ROUSSET.- La loi désormais votée a comme premier défaut majeur de ne pas traiter le sujet clé des compétences, celles des collectivités mais aussi celles de l’Etat, qui s’est évidemment affranchi de ce devoir.
Le Chef de l’Etat voulait simplifier, il complexifie avec l’apparition des métropoles. Il parlait d’économies, et la création des conseillers territoriaux va évidemment coûter cher en fonctionnement et en investissement pour réunir de telles assemblées. Cette création était d’ailleurs le seul objectif de la réforme. Elle nous paraît soulever une quantité de problèmes de principe, en matière d’égalité des citoyens devant le suffrage universel, de parité, de confusion des rôles des collectivités. Surtout, cela nous fait courir le risque grave d’une « cantonalisation » des régions. De façon générale, ceci nous renvoie à 1985, avec des régions réduites en syndicats interdépartementaux qui perdront ainsi leur légitimité, sans compter les effets récessifs sur la parité.
Partagez-vous le sentiment que cette réforme consacre une « œuvre de recentralisation » ?
Alain ROUSSET.- Cette réforme est une évidente recentralisation, à un moment où l’Etat n’en a plus les moyens, ni financiers ni humains. De manière générale, l’Etat, l’administration centrale, rechigne à sélectionner ses interventions, à se concentrer sur ses responsabilités régaliennes, pourtant majeures. Au lieu de quoi, l’Etat paraît toujours désireux de s’occuper de tout, alors même qu’il porte un discours de rationalisation que l’on ne peut que partager sur le fond.
Et ce constat vaut même pour les compétences transférées, comme la formation ou l’apprentissage. En cela, c’est un profond contresens historique mais aussi économique car, encore une fois, tous nos voisins ont fait le pari des responsabilités locales et en tirent même des arguments d’efficacité économique, comme vient encore de le démontrer une vaste étude européenne.
Création par la majorité présidentielle de l’AERF (Association des élus régionaux de France), absence des membres du gouvernement au congrès de l’ARF, la situation s’est fortement durcie depuis la rentrée d’autant que le gouvernement a fait adopter son projet sans réel soutien du Sénat. On semble loin du climat apaisé et consensuel de 1982, nécessaire à la réalisation d’une telle réforme. Comment l’expliquez-vous ?
Alain ROUSSET.- Je constate que l’ARF réunit les présidents de région élus au suffrage universel et pour certains réélus. L’ARF regroupe les régions de France et a d’ailleurs parfaitement travaillé avec l’ancien président de la région Alsace, Adrien Zeller. A l’époque où la majorité gouvernementale contrôlait toutes les régions sauf deux, le Nord Pas de Calais et le Limousin étaient demeurées au sein de l’Association. Nous sommes l’interlocuteur naturel des pouvoirs publics et le resterons. Je répète donc que nous ne changerons pas notre mode de fonctionnement collégial, la porte reste ouverte à tous, dans un contexte où nos collectivités ont plutôt besoin d’unir les efforts de tous les responsables attachés à la décentralisation et aux pouvoirs locaux, ce qui transcende d’ailleurs largement les partis. Pour le reste, la réforme est mauvaise et a été mal adoptée, avec de fortes tensions même au sein de l’UMP, ce qui va en général de pair.
Le « millefeuille » institutionnel français rend-il nécessaire la révision de l’organisation territoriale ? Si oui, laquelle ? Faut-il envisager la redéfinition des compétences entre les différentes strates locales ?
Alain ROUSSET.- Il faut clairement un Acte 3 de la décentralisation et une clarification des compétences. Pour les régions, nous réclamons une pleine responsabilité, notamment, en matière d’emploi et de formation professionnelle, y compris la gestion des fonds européens.
J’observe en effet que l’emploi et le logement, qui sont les deux grandes préoccupations des Français, sont aujourd’hui des politiques sans pilote, alors que les régions sur le premier sujet et les intercommunalités pour le second pourront très bien y pourvoir. Ceci supposera sans aucun doute la dévolution de capacités normatives nouvelles et, bien entendu, une remise à plat de la fiscalité, avec la définition de ressources pérennes, ayant un rapport direct avec nos attributions, je pense notamment aux transports.
Deux courants « décentralisateurs » semblent coexister au parti socialiste : les départementalistes et les régionalistes. Les réactions au projet de réforme territoriale le démontrent : certains redoutent la disparition des régions quand d’autres y voient la consolidation de ces dernières au détriment des départements. Dans ces conditions, que serait une réforme territoriale ambitieuse portée par les socialistes ?
Alain ROUSSET.- Il ne s’agit pas tant de choisir entre départements et régions, qu’entre le tout Etat et une approche décentralisatrice, en bref « girondine », qui s’est imposée dans tous les pays modernes. La ligne de clivage, dans notre pays, transcende sans doute les partis politiques.
Il reste que le projet du PS pour 2012 ne pourra pas ne pas traiter de cette question, car se préoccuper des pouvoirs locaux et du fonctionnement des affaires publiques sur le terrain, c’est tout simplement se préoccuper des Français et de l’avenir du pays. Revenons à l’esprit des lois Defferre, en leur insufflant évidemment les dimensions qui s’imposent après trois décennies
Pourquoi, sur le plan « culturel » comme sur celui des mécanismes institutionnels, la décentralisation en France pose-t-elle tant de difficultés ?
Alain ROUSSET.- La France entretient avec la décentralisation des relations encore une fois complexes et nos propres élites l’envisagent dans des termes qui font sourire en Italie, en Espagne, au Royaume Uni et a fortiori dans les Etats fédéraux. La France est le seul grand Etat à avoir réussi sa centralisation, après une lutte permanente contre les provinces. Le problème est que nous avons changé d’époque, que le mythe de l’égalité doit faire place à une véritable prise en compte de la diversité des territoires et de leurs besoins et que ce modèle est devenu obsolète. Finalement, la France ne s’est pas remise de l’échec du référendum de 1969 sur la régionalisation.