Parmi les grands travaux de François Mitterrand, l’aménagement des 55 hectares du site des abattoirs de la Villette occupe une place singulière. Il existe, ailleurs dans le monde, de grands musées tels le Louvre ou Orsay, de grandes bibliothèques telle la BNF. Nulle part on ne trouve l’équivalent de la Villette, ce campus culturel ouvert sur la cité où se rassemblent toutes les formes de l’art et du savoir. En outre, ce chantier, contrairement aux autres, ne résulte pas d’un projet préconçu, entièrement programmé dès son origine. Il se présente plutôt comme une mosaïque, dessinée au fil des ans, au gré des nécessités et des volontés.
On peut en rappeler brièvement l’histoire. Dès 1977 Valéry Giscard d’Estaing confie à Roger Taillibert et Maurice Lévy une mission d’étude sur la reconversion des anciens abattoirs et la création d’un musée des Sciences, des Techniques et de l’Industrie. En 1979, l’établissement public du parc de la Villette est créé sous la présidence de Paul Delouvrier.
Le 24 septembre 1981, lors d’une conférence de presse, le président Mitterrand annonce la construction d’une Cité internationale de la musique. Dès lors, les projets se multiplient : 1982, lancement par François Barré du concours d’aménagement du parc remporté par Bernard Tschumi ; 1984, ouverture du Zénith ; 1985, ouverture de la Grande Halle, rénovée par Reichen et Robert, et de la Géode ; 1986, ouverture de la Cité des sciences et de l’industrie ; 1987, ouverture des jardins du parc et de la Maison de la Villette ; 1988, ouverture du Conservatoire national supérieur de musique et de danse ; 1995, ouverture de la Cité de la musique ; 1997, ouverture du musée de la Musique.
Le calendrier reste ouvert. L’une des vertus de ce vaste jardin des cultures est de se prêter aux évolutions des arts, des publics, des techniques, des enjeux de société. Récemment, des locaux ont été équipés pour l’accueil d’artistes en résidence, des « folies » ont été dédiées à des ateliers pédagogiques, notamment musicaux, un espace consacré aux chapiteaux de cirque a été aménagé, de nouveaux lieux d’exposition et de spectacle ont été créés (pavillon Paul-Delouvrier, théâtre de la Francophonie, salle de musiques actuelles dans la folie du « Trabendo »). Aujourd’hui, la Villette rassemble 2 musées, 1 école nationale, 12 scènes de spectacle, 3 médiathèques, 10 jardins thématiques, 1 salle de cinéma, 10 lieux d’exposition temporaire, 3 ensembles de résidences de créateurs, auxquels il faut ajouter les espaces d’actions éducatives, des équipements de loisirs pour enfants. Elle accueille quelque huit millions de visiteurs d’origine, d’âge, de condition très variés. Cette fréquentation est en hausse régulière.
Au-delà de la diversité des activités permanentes, des manifestations et des publics, l’originalité et la richesse de la Villette dans le paysage culturel international tiennent à la conjugaison de plusieurs traits :
– d’abord l’ouverture sur la ville. Sans porte, ni barrière, le parc est librement accessible, jour et nuit, toute l’année ;
– ensuite, la qualité architecturale et paysagère. Une agora est créée au coeur d’un territoire de périphérie et de banlieue qui en était dépourvu. Cette « centralité » a puissamment contribué à la requalification des quartiers du Nord-Est francilien, à l’attraction de nouvelles activités de haut niveau, à l’enrichissement de la mixité sociale ;
– latroisième source du succès réside sans aucun doute dans l’alliance originale des cultures savantes et populaires, du plaisir et de la connaissance, de la fête et de l’esprit. La biologie moléculaire y côtoie « Star Wars », la musique baroque voisine avec le cirque, les danseurs de hip hop croisent les médecins navajos ou les moines tibétains ;
– une autre aspiration, qui s’exprime avec une vigueur croissante, est prise en compte par tous les établissements de la Villette : la présence au sein des spectacles, des expositions et des ateliers, des questions que soulèvent les mutations à l’œuvre dans la société (nature et culture, science et politique, identité et mondialisation, guerre et paix, etc.) ;
– enfin, le motif de satisfaction qui revient le plus souvent dans les enquêtes est celui de la « rencontre » : rencontre entre les arts et les sciences, entre les disciplines artistiques, entre les cultures, entre les publics. Les équipes de programmation, d’exploitation, d’accueil, de sécurité ont partagé, depuis l’origine, la volonté de répondre à ce désir de croisement, de rassemblement, de convivialité. C’est ainsi que la Villette s’est constituée peu à peu en laboratoire de la démocratisation et de l’innovation culturelles. Elle n’est pas la seule. Mais la diversité des programmes et des espaces lui permet d’expérimenter avec des moyens particuliers de nouvelles formes d’accès aux œuvres et aux savoirs, de nouvelles formes de création – tant dans le renouveau des écritures traditionnelles (le cirque par exemple) que dans l’exploration de langages inédits (liés notamment aux nouvelles technologies).
Cette Thélème du XXIe siècle, en prise sur les réalités du monde contemporain, soucieuse des publics éloignés de la culture, François Mitterrand l’a souhaitée. Le temps ne lui a pas été donné d’en connaître le plein accomplissement. Il l’eût aimé.