Peu d’hommes politiques auront marqué l’évolution de l’Afrique contemporaine autant que François Mitterrand. Son discours de La Baule, en juin 1990, à l’ouverture du XVIe sommet franco-africain, a véritablement entamé une ère nouvelle sur le continent noir : il a sonné le glas des régimes de parti unique qui y étaient le plus répandu, et permis d’y instaurer le multipartisme et la liberté de la presse. Presque partout, cette ouverture démocratique – si limitée qu’elle soit parfois – a survécu aux conflits qui ont continué à ravager l’Afrique au sud du Sahara.
Au demeurant, l’itinéraire de François Mitterrand témoigne d’un attachement sans aucun doute sincère aux hommes et aux femmes d’Afrique, même si à l’occasion cet attachement a pu servir sa carrière : on sait qu’en 1951 il avait réussi un coup de maître en persuadant le Rassemblement démocratique africain (RDA) de Félix Houphouët-Boigny de rompre avec le Parti communiste français pour s’apparenter à son parti, l’UDSR, qu’il dirigeait alors avec René Pleven. Le couple UDSR-RDA devint alors un « groupe charnière » dont il était difficile de se passer dans les majorités de coalition en usage sous la IVe République.
François Mitterrand est alors ministre de la France d’outre-mer. Dans son livre Ma part de vérité, il raconte le tollé qu’il suscita dans la droite française en invitant Houphouët-Boigny, alors considéré comme un dangereux agitateur, à venir discuter avec lui.
Cette première passe d’armes sous la IVe République préfigure en quelque sorte l’orientation que prendra la politique africaine de la France pendant le temps où François Mitterrand assumera les fonctions de chef de l’État. Nous avons été de ceux qui ont regretté la mise à l’écart de Jean-Pierre Cot, évincé du ministère de la Coopération.
En fait, François Mitterrand avait évidemment compris que la morale ne peut pas toujours prévaloir en diplomatie : il avait cependant su marquer sa désapprobation envers des régimes qui claironnaient leur fidélité à la France surtout pour se faire pardonner la brutalité de leur comportement envers toute forme d’opposition.
C’est ainsi qu’il prit quelque distance avec le président Mobutu du Zaïre d’alors auquel il infligea un report d’un an du sommet franco-africain qui devait primitivement se tenir à Kinshasa en 1981 ; puis avec le président Eyadema du Togo, où il ne réussit pas tout à fait cependant à éviter le piège d’une visite officielle dont la date était aussi celle de l’anniversaire de l’assassinat en 1963 du président Sylvanus Olympio, abattu par le sergent-chef Eyadema lui-même.
Mais c’est surtout à propos du Tchad et de la Libye alors en guerre que François Mitterrand a donné la mesure de son habileté : d’abord avec l’opération Manta qui bloque l’avancée des troupes libyennes vers le sud, puis, après quelques péripéties diplomaticomilitaires, dont un illusoire retrait simultané de leurs forces du territoire tchadien en 1984, une longue patience.
Finalement, le colonel Kadhafi devra céder et se retirer de la fameuse bande d’Aouzou, tandis que la France pourra maintenir son dispositif Épervier à N’Djamena. François Mitterrand, selon son propre axiome, avait su « donner du temps au temps ».
Quant au discours de La Baule, où le Président annonça que « l’aide normale de la France sera [désormais] plus tiède envers les régimes qui se comporteraient de façon autoritaire sans accepter d’évolution vers la démocratie, et enthousiaste envers ceux qui franchiront le pas avec courage », il entraîna des répercussions énormes.
D’abord dans les pays africains francophones, où s’organisèrent des conférences nationales, suivies de l’instauration du multipartisme, et en conséquence de l’apparition d’une presse libre. Le plus remarquable sans doute est que les pays anglophones – et lusophones – suivirent le mouvement. Bien entendu, le chef de l’État a prononcé ce discours dans un contexte historique qu’on ne peut oublier : l’année précédente, le mur de Berlin était tombé et la fin du régime soviétique avait amené la fin de la guerre froide, ce que le ministre de la Coopération d’alors, Jacques Pelletier, avait résumé par une jolie formule : « Le vent d’est a secoué les cocotiers. »
Quoi qu’il en soit, avec ce discours, François Mitterrand a fait franchir à l’Afrique noire une étape significative de son évolution politique, même si les termes de l’équation « démocratie = développement » ne se sont pas assez souvent vérifiés.