François Mitterrand était très attaché au régime parlementaire ; j’en vois la preuve dans la place qu’il voulait assigner au Premier ministre responsable devant l’Assemblée Nationale. J’ai recueilli son sentiment à ce sujet au cours de deux discussions.
La première se situe peu après la nomination de Laurent Fabius à l’Hôtel Matignon. François Mitterrand me déclara qu’après son élection en 1981 il avait été amené à prendre bien des décisions qui auraient dû être prises par le Premier ministre ou même les ministres; c’était pour deux raisons: d’une part la machine gouvernementale continuait les pratiques antérieures de Pompidou et de Giscard; d’autre part ni Mauroy, ni ses ministres (sauf Gaston Deferre) n’avaient occupé antérieurement des fonctions ministérielles et s’en remettaient donc à son jugement. Il espérait qu’avec Fabius les choses allaient changer. Effectivement, alors que j’étais délégué du Premier ministre pour les professions libérales, je fus convoqué à l’Elysée par un collaborateur du Président de la République pour participer à la préparation d’un texte supprimant le conseil de l’Ordre des médecins, ce qui, c’est vrai, se trouvait dans le programme présidentiel. J’en fus fort gêné car je préparais une réforme profonde de cet ordre en parfait accord avec le président de celui-ci. Je prévins aussitôt Fabius qui me demanda de ne pas aller à cette réunion, que d’ailleurs l’Elysée décommanda dans les 48 heures.
J’ai su par la suite qu’il était recommandé aux collaborateurs du Président de ne pas participer à des réunions interministérielles ou bien, s’ils le jugeaient nécessaire, de s’y rendre en tant qu’observateurs, mais à condition de ne pas prétendre exprimer les vues du Président de la République.
La deuxième discussion se situe lors de la première cohabitation. J’avais apporté au Président de la République le premier exemplaire des » documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution de 1958 « . Il a alors tenu à dire que, d’après cette Constitution, il revient au Gouvernement, responsable devant le Parlement, de déterminer et de conduire la politique de la Nation. Le lendemain, je présentais au Premier ministre Jacques Chirac l’exemplaire n°2 de l’ouvrage précité; il me remercia, mais en tenant exactement les mêmes propos que le Président de la République; comme je le lui faisais remarquer, il me jura qu’il ne s’était pas concerté avec le Chef de l’Etat pour me faire la même déclaration.
Enfin, je n’ai jamais entendu de la part de François Mitterrand des phrases désagréables sur l’Assemblée Nationale. Certes, on ne peut l’accuser d’avoir voulu l’affaiblir; elle l’avait été suffisamment avant lui. Toutefois, il est bien certain que sa personnalité charismatique retirait, dans l’opinion publique, beaucoup de poids à l’autorité des parlementaires. C’est lui et non l’Assemblée Nationale qui, à plusieurs reprises, hors les périodes de cohabitation, a mis fin aux fonctions du Premier ministre.
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